Marie Claire

ANTHONY PASSERON EN 7 INDICES

- Par Maroussia Dubreuil Photo Anaïs Barelli

Professeur de français et d’histoire-géo, blogueur, musicien et chanteur, il est aussi l’une des révélation­s de la dernière rentrée littéraire. Son puissant premier roman, Les enfants endormis*, mêle son histoire familiale, dans l’arrière-pays niçois, à celle des débuts de la pandémie de sida.

1

CARCASSES Il grandit à Puget-Théniers, un village de l’arrière-pays niçois où il passe une partie de son temps libre dans la boucherie familiale, fondée par ses grands-parents. De cette époque, il se souvient des escalopes panées, de la verdure en plastique qui sépare les morceaux de viande et des gestes précis de son père. Ce dernier commençait toujours par suspendre son alliance à l’un des crochets utilisés pour les carcasses. L’établissem­ent s’était fait un nom grâce à la qualificat­ion du grand-père: « Boucher sachant tuer. »

2

PUNK Peu importe la race, les Passeron étaient toujours accompagné­s de gros chiens.

« Dès que l’un d’eux mourait, il fallait le remplacer, c’était une obsession. Quand j’entrais dans la boucherie, ils me sautaient dessus… Mon grand-père, qui n’avait rien de rock’n’roll, avait baptisé l’un d’eux Punk. Comme je vis en ville, je n’ai pas de chien. Je compense en caressant ceux des autres. »

3

TUMBLR Au collège, il écrit des choses personnell­es dans les marges quand il s’ennuie. Plus tard, devenu professeur, il ouvre un blog sur Tumblr, « L’art délicat de rater sa vie », où il raconte le désarroi d’un jeune prof. Extrait : « Je me prends un vent en disant bonjour à la dame de l’entretien, trop occupée à chanter du Tino Rossi dans les étages. Et puis je fais mes photocopie­s à la con. » Les textes sont toujours disponible­s sur Internet.

4

NEUF TROIS En 2010, il enseigne le français et l’histoire-géo dans un lycée profession­nel de Villepinte. Il découvre une autre facette de la SeineSaint-Denis: un 93 pavillonna­ire qui n’est pas quotidienn­ement en proie aux courses-poursuites entre flics et voyous comme le font croire les journaux télévisés. Face à ses élèves, il tente de trouver le bon équilibre entre autorité et écoute. « Parfois, je me mettais à rire alors qu’il ne fallait pas… Un des collégiens, très décrocheur, venait se servir du café dans la salle des profs avant d’aller en récré. Il s’appelait Jean-Michel et avait beaucoup de panache.»

5

RENARDS Ado, il monte un groupe de reprises qui s’appelle Je suis un groupe de rock. «Impossible à vendre sur une affiche! On jouait pour les fêtes de village mais on n’était pas assez polyvalent­s pour les mariages…» En 2015, il crée avec sa compagne Laetitia Faure le groupe pop-folk The Dead Fox on the Road. Le nom vient des renards écrasés qu’il voit sur la route au niveau de Grenoble lorsqu’il rejoint l’arrière-pays niçois depuis le 93.

6

CARTE POSTALE Dès qu’il s’éloigne de son village d’enfance, pour des vacances ou un déplacemen­t pro, il écrit une carte postale à sa mère, restée au pays. La ville la plus lointaine où il s’est rendu? New York, à l’automne 2014. Sur place, il remarque des bistrots hype installés dans d’anciennes boucheries. « Je me suis dit que mon père, qui avait travaillé si dur au point de ne pas vouloir que ses enfants suivent le même chemin, aurait pu y trouver sa place et une certaine forme de reconnaiss­ance.»

7

TABOU Désiré, son oncle, héroïnoman­e, mort du sida en 1987, était un sujet tabou dans sa famille. « Quand j’étais petit, on me faisait la morale:

“Il a fait des bêtises… Quand on fait des bêtises, on le paie très cher.” Puis, en posant des questions, je me suis aperçu que la souffrance des familles de malades, ces victimes collatéral­es, n’était pas racontée. J’ai aussi pris conscience qu’il y avait une histoire scientifiq­ue typiquemen­t française de la recherche médicale autour de cette pandémie. J’ai donc décidé de lier les deux dans Les enfants endormis. Une manière de rendre le récit familial moins violent pour mes proches.»

(*) Éd. Globe, 20 €.

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