Illustres illustrés
Mythes littéraires réinventés, auteur·rices cultes révélé·es dans leur intimité, rééditions précieuses: six pépites où l'image et le texte rivalisent de trouvailles et de surprises, à glisser sous le sapin.
1. UNE BIO ÉCLAIRANTE Sidonie Gabrielle Colette d’Emmanuelle Lambert
À Genet, Robbe-Grillet ou Giono, elle a consacré des livres éblouissants. À l’aise dans la fréquentation des monuments, l'autrice s’empare aujourd’hui de Colette, entrelaçant, dans une langue virtuose, ses souvenirs du Blé en herbe ou de Mes apprentissages à l’existence fantasque d’une écrivaine qui fut aussi vedette de music-hall, journaliste à Marie Claire ou marchande de produits de beauté – photos savoureuses à l’appui. Une fille de la campagne et une amoureuse bisexuelle, aussi, sur laquelle Emmanuelle Lambert braque une lumière tendre et féministe qui suscite en nous admiration et affection sans bornes pour cette femme jamais dans les clous.
Éd. Gallimard, 29,99 €. 2. DES MYTHES REMIXÉS L’enlèvement de Perséphon de Karrie Fransman et Jonathan Plackett
Et si l’Olympe avait été aux mains des femmes ? En renversant le genre des dieux/ déesses et des héros/héroïnes, les auteur·rices de ce livre de contes pour tout âge mettent à jour les valeurs patriarcales qui charpentent la mythologie tout en inventant, illustrées à traits vibrionnants, des figures féminines qui envoient du lourd : Ulyssa ferraille contre la Cyclopesse, Icaria rêve de hautes sphères, la Minogénisse en fait voir à Théséa, histoire de rappeler que puissance, tactique, ambition et séduction ne sont pas l’apanage d’une seule moitié du monde. Traduit de l’anglais (RoyaumeUni) par Marguerite Capelle et Hélène Cohen, éd. Stock, 20,90 €. 3. UN AUTOPORTRAIT STYLÉ T – Ma vie en T-shirts d’Haruki Murakami
L’écrivain japonais star le concède: il accumule beaucoup trop. À commencer par les T-shirts, dont il inventorie ici, dûment photographiés, quasi biographiés, ceux qui l’amusent le plus. En voici un estampillé Heineken: pas vraiment sa bière favorite, mais c’est la rare marque dont il parvient à prononcer correctement le nom à l’étranger, face aux serveurs, alors bon. En voici un autre bardé d’un iguane : l’animal ne lui plaît guère mais c’est l’occasion de rendre hommage à celui que Darwin, lors d’une expérience fameuse, a noyé. Un exercice de style presque oulipien qui raconte, par l’absurde, un peu des plaisirs et déplaisirs de l'auteur.
Traduit du japonais par Hélène Morita, éd. Belfond, 24 €. 4. UNE PRINCESSE RESSUSCITÉE Salammbô de Gustave Flaubert
Certes, le chef-d’oeuvre de Gustave Flaubert de 1878, malgré son orientalisme d’un autre temps, crépite toujours d’une sensualité inoxydable. Mais là où cette édition de luxe nous ravit le plus, c’est par les illustrations, surannées elles aussi mais si flamboyantes, de Suzanne-Raphaële Laigneau. Oubliée aujourd’hui, l’artiste en pinçait pour les cultures d’Inde, voyagea en Tunisie, s’est fait la main sur Les mille et une nuits, puis, en 1928, croqua la Carthage d’Hamilcar, coeur de l’action de Salammbô, en soixante-dix dessins: ce qu’elle fantasme, tout en ors et violence, de l’Afrique du Nord d’avant notre ère est fascinant. Illustrations Suzanne-Raphaële Laigneau, éd. Callidor, 39 €.
5. UN OVNI POÉTIQUE L’histoire de l’hiver qui ne voulait jamais finir de Shane Jones
Février, ici, refuse de passer à mars. Février, ici, a le visage d’un crypto-ogre qui fait disparaître les enfants dans le sol gelé. Un village, alors, fomente une rébellion contre lui. Ce conte de fées pour adultes, où des mousses colonisent les corps, a paru confidentiellement en 2009 avant de connaître un engouement inattendu – le cinéaste Spike Jonze en a même acquis les droits. Inattendu car il relève presque, avec ses polices et tailles de caractères variables, de l’expérimentation textuelle. Une bizarrerie superbe que les dessins d’Anastasia Kardashova, magnifient plus encore.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Joy Setton, éd. La Croisée, 18 €.
6. DES STRIPS CULTES Quelques idées simples pour profiter pleinement de son temps libre! vol. 1 de William Heath Robinson
Apprendre à nager la tête dans un seau, patiner sur échasses… L’illustrateur William Heath Robinson (1872-1944) couchait sur papier, pour la presse notamment, des saynètes cocasses où les hommes et les femmes, augmenté·es de tuyaux, cordes et manivelles, se livrent à d’invraisemblables occupations défiant la gravité et la logique. Culte outre-Manche mais quasi inconnu ici, le voilà célébré – chez une très jeune et très belle maison d’édition – par une anthologie qui, en deux cents pages délicieusement légendées, moque les idéaux de la vie moderne.
Éd. des Monts Métallifères, 40 €.