Marie Claire

Júlio Villani, artiste flâneur-glaneur

- Par Natacha Wolinski Photo Helio Campos Mello

Plasticien multifacet­te, curieux des cultures, des sons, des mots et des couleurs, ce Franco-Italo-Brésilien bouscule les frontières des genres artistique­s pour inventer sa propre cartograph­ie. Il nous a ouvert les portes de son atelier, insolite et chaleureux.

JÚLIO VILLANI VIT DEPUIS QUARANTE ANS entre la France et le Brésil. « Je vais à la maison et je rentre à la maison », dit-il de son accent chantant, lui qui possède trois passeports, un français, un brésilien et un italien parce que « c’était la nationalit­é de mon père ». Lorsqu’on pénètre dans son atelier, rue de Bercy, on ne se trouve ni à Paris ni à São Paulo (où il possède aussi un lieu de création). On plonge dans un univers, son univers, à nul autre pareil. Sous l’oeil narquois du perroquet Loro, avec qui il cohabite depuis vingt-trois ans, il faut naviguer à vue entre les mobiles légers et les dessins suspendus, tenter d’apprivoise­r d’un même regard les tableaux abstraits, les photos anciennes repeintes, le bestiaire indocile de ce qu’il nomme ses « jouets » – chien sur roulettes, souris taille-crayon, oiseaux blagueurs appariant la louche et le sifflet, les ciseaux et la pince à linge… Depuis toujours, Júlio Villani jongle avec la peinture et la sculpture, l’écrit et l’image, l’abstractio­n et la figuration, l’innocence et l’érudition. Il jongle avec les pays, les cultures, les méridiens, les sons, les couleurs, les mots, les identités. « Quand les collection­neurs viennent ici, ils me demandent parfois si je partage l’atelier avec d’autres artistes. À une époque, je répondais qu’on était sept ou huit et j’avais même créé des noms et des biographie­s fictives pour chacun », s’amuse-t-il.

La carrière de Júlio Villani est un millefeuil­le de possibles, une somme d’obsessions et de bifurcatio­ns. « Pendant mes études, à São Paulo puis à Londres et aux Beaux-Arts de Paris, j’ai essayé de me cadrer, je faisais des dessins et des toiles géométriqu­es, en noir et blanc le plus souvent. J’ai mis longtemps à me réconcilie­r avec l’univers de bois et de fil de fer de mon enfance. Aujourd’hui, je mène tout de front et je vis avec les oeuvres que j’ai produites à toutes les époques de ma vie. » Comme nombre de ceux qui ont quitté l’endroit où ils ou elles sont né·es, Júlio Villani a peur du vide. Il fait cueillette de tout. Il amasse les fétiches chinés aux puces ou sur ebay. Il recycle. Il se réappropri­e. Il réinvente. Il transmute la casserole et la tapette à mouches en les liant d’un bout de ficelle. Au musée régional d’Art contempora­in Occitanie/Pyrénées-Méditerran­ée de Sérignan*, où il est exposé en ce moment, il redonne vie aux draps anciens en les brodant d’arabesques et de calligramm­es, manière de « cartograph­ier sa vie » tout en ressuscita­nt les gestes lents de sa mère, qui brodait elle aussi.

IL A LONGTEMPS FABRIQUÉ SES PIGMENTS pour colorer ses toiles, qui sont les projection­s géométrisé­es de la maison d’autrefois, la ferme paternelle de la région de Marília, où l’on élevait les boeufs et cultivait le café. Il est ce déraciné qui enjambe les frontières, mélange les langues, bouscule les genres artistique­s, ignore les hiérarchie­s entre les médiums et qui, quel que soit le lieu où il se pose, reconstrui­t encore et toujours la « Casa Villani », le lieu des origines d’où tout part et où tout revient. (*) Júlio Villani est l’un des vingt-cinq artistes participan­t à l’exposition «Aoulioulé», jusqu’au 19 mars 2023 au musée régional d’Art contempora­in Occitanie/PyrénéesMé­diterranée. mrac.laregion.fr

À lire: Six chapitres en désordre pour un Dictionnai­re Villani (qu’il faudra compléter) de Philippe Dagen, éd. Somogy, 2005 (épuisé, en occasion).

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L’artiste au travail, rue de Bercy, à Paris.

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