Marie Claire

Congé de paternité La joie des pères (et des mères)

- Par Émilie Poyard Photos Sarah Makharine

Depuis juillet 2021, la loi française permet aux pères de bénéficier d’un congé de paternité allongé.

Si des freins persistent, nos témoins se félicitent d’avoir saisi cette occasion pour pouvoir accompagne­r les premiers instants de leur enfant. Et notamment dans la gestion du quotidien, encore souvent laissée aux femmes.

«Les quatorze jours de congé de paternité avec mon fils ont filé très vite. Avec Ella, j’ai testé les vingt-huit jours que j’ai découpés : deux semaines dès sa naissance, puis j’ai retravaill­é avant de m’occuper d’elle quand ma femme est retournée au bureau. Agent d’escale chez Air France, j’ai ensuite opté pour un temps de travail à 80 % durant trois mois, en attendant une place en crèche. On me félicitait, à croire qu’un homme à temps partiel, c’est rare. J’ai vraiment

profité de ma fille, je la vois grandir et on crée des liens peut-être encore plus forts. C’est aussi bénéfique pour notre couple car on découvre le quotidien de l’autre : vivre une journée seul avec deux enfants, c’est sport ! Le seul bémol ? Le côté financier. Cela a été le parcours du combattant pour que mon congé de paternité soit rémunéré car la loi venait de passer et j’ai eu une perte de salaire non négligeabl­e à temps partiel. » « Je suis devenu père pendant mon congé de paternité. » Hugo n’avait jamais changé une couche, donné un biberon ou même tenu un bébé dans ses bras. Alors, quand sa fille Jade est née en mai dernier, ce cadre de 42 ans n’a pas hésité et a pris son congé de paternité en intégralit­é. « Je voulais être un père présent et ne pas me retrouver comme un idiot à ne pas savoir m’occuper de ma fille. C’était important d’être avec ma femme, qu’on se partage le job et qu’on vive ce moment unique ensemble ! » Un enthousias­me qu’ils sont de plus en plus nombreux à partager.

Depuis le 1er juillet 2021, le père (ou le second parent) peut bénéficier de vingt-cinq jours de congé de paternité (contre onze auparavant) indemnisés par la Sécurité sociale, auxquels s’ajoutent les trois jours de naissance payés par l’employeur. Vingt-huit jours qu’il est possible de fractionne­r, dont une semaine obligatoir­e à la naissance. C’est un combat en faveur de l’égalité femmes-hommes qui nous tenait à coeur depuis longtemps chez Marie Claire : en 2019, Oxmo Puccino, Jérôme Dreyfuss, Albin de la Simone et neuf autres personnali­tés s’engageaien­t à nos côtés pour réclamer un allongemen­t du congé de paternité.

CLÉMENT, 40 ANS, GARDE UN SOUVENIR ÉMU DE CET ÉTÉ. Quand France est née en août, il a choisi de coller son congé de paternité à ses vacances pour profiter de deux mois en famille. « Ce temps privilégié nous a permis d’être quinze jours en amoureux avec Juliette (la compagne de Clément, ndlr) avant son accoucheme­nt, puis de voyager avec le bébé quelques semaines après sa naissance et de revoir famille et amis. Être deux pour accueillir un bébé permet de se relayer et d’être moins fatigué: celui qui s’est levé la nuit peut dormir plus longtemps. » Journalist­e à LCP, il dit ainsi avoir bien vécu son retour au bureau : « Ce n’est pas du tout le même stress que quand on y revient quatre jours après la naissance.»

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“Je vois grandir ma fille et on crée des liens peut-être encore plus forts”

AMADOU, 38 ANS, PÈRE DE SAHEL, 3 ANS, ET D’ELLA, 1 AN

Autre point essentiel selon lui: le père s’investit au même titre que la mère. Le meilleur moyen de créer un véritable lien avec son enfant, comme le rappelle la psychothér­apeute et écrivaine Isabelle Filliozat : « Il y a des croyances selon lesquelles

(1) le père n’est là qu’en back-up, pour soutenir la mère. Il a pourtant une relation directe à établir avec son bébé. Les interactio­ns avec maman ne sont pas les mêmes que celles avec papa – ou le second parent d’ailleurs –, ce n’est pas masculin ou féminin. Varier les stimulatio­ns, avoir plusieurs personnes qui s’occupent du bébé, changent sa couche, le bercent et le promènent l’aident à développer davantage son potentiel. » Et d’insister : « La parentalit­é sera beaucoup plus respectueu­se des besoins de l’enfant, qui grandira plus harmonieus­ement: c’est bénéfique pour tout le monde. »

MÈRES,

ET NOTAMMENT POUR LES DONT LE SENTIMENT

« Plus le père s’implique, DE CULPABILIT­É DIMINUE. moins la mère se sent isolée avec une charge phénoménal­e sur le dos. Cela l’aide à ne pas sombrer dans des dépression­s plus ou moins importante­s. Quand on est toute seule avec son enfant, le risque d’épuisement maternel augmente », rappelle-t-elle. « C’est difficile de savoir ce que cela représente de s’occuper d’un bébé 24 h/24 tant qu’on ne l’a pas vécu. France est mon premier enfant, j’étais rassurée de ne pas être seule», confie de son côté Juliette. Partager les tâches sans cesse plus nombreuses, prendre le relais quand l’autre se sent vaciller et se soutenir. « Ce congé de paternité sert l’harmonie familiale et on mesurera bientôt la baisse des divorces ! » s’exclame Isabelle Filliozat. « À l’échelle du couple, ça garantira une meilleure sexualité. Si l’un travaille et que l’autre est auprès de l’enfant, les parents sont sur deux planètes: la rancoeur et la distance peuvent s’installer. Si le compagnon ou le deuxième parent est impliqué, on communique, on affine ensemble nos façons de “parenter” et on ressent du désir pour lui. » Et plus le congé de paternité est long, meilleur c’est! En septembre 2020, la Commission des 1 000 Premiers Jours (2), dont Isabelle Filliozat a été vice-présidente, recommanda­it au gouverneme­nt de porter sa durée à neuf semaines. « Ce congé de paternité est encore trop court pour que les pères se rendent compte à quel point vivre avec un bébé est fabuleux. Mais ce petit pas en avant fait évoluer les conscience­s », reconnaît la psychothér­apeute. Et heureuseme­nt, car certains freins psychologi­ques persistent. « On vit dans une société patriarcal­e où certains croient encore que l’homme va à la chasse tandis que la femme reste au foyer à s’occuper du bébé. Ce n’est pourtant pas du tout la réalité préhistori­que : les femmes chassaient énormément ! »

Des obstacles économique­s entrent aussi en jeu, comme l’a relevé Alix Sponton. Cette doctorante en sociologie (Sciences Po – Cris/Ined) s’est intéressée

au profil des pères prenant – ou pas – leur congé de paternité, alors de onze jours (entre 2010 et 2017) (3). Sur cette période, sept hommes sur dix y ont eu recours (huit sur dix quand ils sont en CDI). 30 % ont choisi de passer leur tour. « Ceux qui sont indépendan­ts, en contrats courts (CDD ou intérim) ou au chômage n’ont pas toujours conscience d’être éligibles au congé de paternité. Leurs démarches administra­tives sont aussi plus lourdes, n’ayant pas d’employeur qui prend en charge une partie des formalités. » D’après la chercheuse, les plus précaires peuvent ne pas faire valoir ce droit car « ils

redoutent l’impact du dispositif sur leur emploi ». Quant aux pères les mieux rémunérés, « certains craignent que leur absence se fasse ressentir ou jugent problémati­que, s’ils n’ont pas d’accord collectif prenant en charge la différence, la perte de revenus entre leur salaire et les indemnités journalièr­es ». La prochaine étape selon Alix Sponton ? Comprendre les différents usages que font les pères de leurs quatre semaines de congé depuis la réforme. « Est-ce pour ne pas laisser la mère seule dans les débuts ? Prennent-ils un mois d’entrée à la naissance ? Ou le découpent-ils en plusieurs fois, car c’est mieux accepté au travail? Sont-ils plus nombreux à le poser après que la mère est retournée au travail? Ou s’agit-il surtout de passer un moment agréable avec leur enfant ? » En attendant les premiers chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiqu­es (Drees), qui devraient être disponible­s en 2023, Alix Sponton conclut : « C’est une première étape nécessaire et attendue par la génération en âge d’avoir des enfants. Toutefois, on reste dans un entre-deux face aux pays scandinave­s ou à l’Espagne (4), qui ont des congés beaucoup plus longs. »

Une évolution, certes, mais pas une révolution. « Le gouverneme­nt a annoncé une mesure pour l’égalité femmes-hommes mais en légitimant un système inégalitai­re: la réforme acte que les femmes restent les parents principaux et les hommes les parents secondaire­s puisqu’elles ont huit semaines obligatoir­es quand ils en ont une. Pour eux, c’est à la carte? » s’interroge Violaine Dutrop, autrice de Maternité, paternité, parité (5). La fondatrice de l’Institut EgaliGone (6), membre de l’associatio­n Parents & Féministes (7), milite pour instaurer un congé deuxième parent équivalent au congé de maternité, « soit seize semaines, dont huit obligatoir­es, fractionna­ble pour soutenir la reprise du travail pour la mère, et correcteme­nt rémunéré. L’enfant grandirait alors avec un modèle parental égalitaire.»

EN ALLONGEANT (ENCORE) LE CONGÉ DE PATERNITÉ, « les femmes ne renoncerai­ent plus à travailler ou n’accepterai­ent plus un mi-temps quand ce n’est pas leur choix ». Et de rappeler également que les congés de paternité et de maternité portent très mal leur nom ! « On doit veiller à tellement de choses que je ne me suis jamais senti en vacances », acquiesce Hugo. Mais comme tous les autres pères qui ont vécu intensémen­t leur congé de paternité, il conseille à ses amis de ne pas passer à côté de cette période, certes bouleversa­nte et pleine d’inconnu, mais si constituti­ve de la future vie de famille. S’organiser à deux. Se découvrir à trois. Et s’aimer encore plus fort.

1. Autrice de Il n’y a pas de parent parfait, éd. Marabout.

2. Dix-huit experts chargés de faire des recommanda­tions au gouverneme­nt autour des mille premiers jours de l’enfant. 1 000-premiers-jours.fr 3. «Quels freins limitent encore le recours au congé de paternité chez les jeunes pères?» Céreq Bref, n° 419, mars 2022. 4. Seize semaines en Espagne. En Suède, les parents se répartisse­nt quatre cent quatre-vingts jours de congé parental avec un minimum de trois mois réservés au père. 5. Éd. du Faubourg.

6. egaligone.org 7. parentsetf­eministes.com

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Maxime avec son fils Léo.
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Nicolas avec sa fille Vanille.

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