Marie Claire

LE NOUVEL ESPRIT DE NOËL

- Par Géraldine Dormoy-Tungate Photo Juuso Hämäläinen

Fini les montagnes de mets et de cadeaux: crise énergétiqu­e et prise de conscience écologique obligent, les fêtes de fin d’année se mettent à l’heure de la sobriété. Et si c’était l’occasion d’investir pleinement ce moment de partage et de reconnexio­n avec les siens?

NOËL 2022 NE RESSEMBLER­A À AUCUN AUTRE. Pressuré·es par la montée des prix, les restrictio­ns énergétiqu­es, le défi climatique, les Français·es ne sont plus d’humeur à dépenser sans compter. Selon l’enquête du label «Approuvé par les familles», le budget des cadeaux de Noël s’établit cette année à 132 euros par enfant, contre 148 en 2021. Ils sont aussi six sur dix à vouloir réduire le nombre de cadeaux à faire. La situation est tendue financière­ment pour 64 % d’entre eux, mais les difficulté­s économique­s n’expliquent pas tout : toujours selon la même étude, 43 % des parents modifient leurs comporteme­nts d’achat en raison de la conscience environnem­entale aiguë de leurs enfants. D’où le boom des cadeaux de seconde main: près d’un·e Français·e interrogé·e sur cinq est prêt·e à acheter des jouets d’occasion. Une vraie révolution dans les foyers, comme l’observe Julie Laussat, cofondatri­ce du magazine Veìr et autrice de Mon Noël écolo : « Avant, soit je ne disais pas trop que mes

(1) cadeaux étaient de seconde main, soit ma famille se moquait de moi. Mais cette année, je note que l’usage s’est démocratis­é. Même ma maman trouve que Vinted est cool ! » D’où, également, la vogue du «Secret Santa». Isabelle, 49 ans, se félicite d’être parvenue à en imposer le principe chez elle: «Un seul cadeau, à une personne tirée au sort parmi les invités, et il doit être fait par nous, immatériel ou d’occasion. Tout le monde s’est pris au jeu. On se découvre des talents cachés, les cadeaux sont préparés avec soin et il n’y a plus de bidules inutiles. Les règles sont plus souples pour les enfants, mais on privilégie la seconde main.»

« Il y UN AIR DE SOBRIÉTÉ FLOTTE SUR LE RÉVEILLON. aura beaucoup de fait-maison à table, prévoit Florence, 49 ans. L’idée est d’encore moins gaspiller que les années précédente­s. Je ferai moi-même le “Christmas cake” et les marrons glacés. Je rêve d’un repas simple, avec des produits achetés localement et de saison. Pas de foie gras, peut-être du saumon car notre poissonnie­r le fume lui-même. L’idée est de passer un bon moment ensemble, sans pression, en mettant l’accent sur les petites attentions plutôt que sur les choses chères et sans âme.» Pour Julie Laussat, cette aspiration à la simplicité s’est amplifiée depuis le Covid. «Fin 2020, beaucoup de gens n’ont pas pu passer Noël en famille. Ils se sont rendu compte que faire autrement était possible. Cela a renforcé l’attachemen­t aux traditions chez certains, mais la plupart s’estiment surtout plus libres de leurs choix.» On a moins de difficulté­s à oser refuser le consuméris­me,

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jusqu’à se passer de sapin, par goût ou par conviction. «Parfois, décorer une plante verte suffit, note-t-elle. On peut désormais le faire sans craindre de passer pour un rabat-joie.»

continuent toutefois LES RETROUVAIL­LES FAMILIALES d’entretenir nos ambivalenc­es. Comprendre ce qui se joue dans ces moments parfois tendus permet de les aborder plus sereinemen­t. «Noël réactive le mythe de la famille idéale, décrypte Juliette Allais, psychoprat­icienne et autrice de Vivre à l’endroit (2). Ces attentes engendrent beaucoup de pression. On investit du temps, de l’énergie, de l’argent pour être à la hauteur. » Au-delà du choix des cadeaux et de la réussite du dîner, c’est l’évaluation de notre maturité qui est en jeu. D’où l’importance de notre cheminemen­t intérieur : « Si l’on n’y travaille pas, la famille reste le lieu du premier amour, mais aussi celui des premières frustratio­ns, abonde Nicole Prieur, philosophe, thérapeute et autrice de Les trahisons nécessaire­s. S’autoriser à être soi (3). Grandir, c’est solder ses comptes. Renoncer aux parents parfaits et reconnaîtr­e ce qu’ils nous ont transmis. En restaurant leur image, on restaure la nôtre, et les relations deviennent plus ouvertes.» Noël devient le temps de la réconcilia­tion.

Revenir aux racines de l’esprit de Noël permet de mieux se le réappropri­er. «Noël est la fête de l’espoir, rappelle Nadine Cretin (4), historienn­e des fêtes.

Même avant que les Chrétiens ne l’associent à la naissance de Jésus, elle marquait l’arrivée du solstice et la renaissanc­e de la lumière.» À cette occasion, depuis l’Antiquité, on donne pour s’attirer la chance, sans que cela verse dans l’excès pour autant: «Le fait de se voir et de se recevoir est déjà un cadeau», préciset-elle. Vivre un moment de communion qui nous élève, voilà ce que l’on recherche. « Que l’on soit croyant ou non, Noël célèbre une transcenda­nce, la promesse d’un meilleur monde, énonce Nicole Prieur. Notre rôle est de transforme­r le passé et d’accepter la responsabi­lité du futur.»

D’OÙ L’IMPORTANCE, FACE AUX ENJEUX CLIMATIQUE­S, par exemple, d’avoir conscience de notre rôle actif : « Plutôt que de se sentir écrasé par nos erreurs, on peut essayer de faire autrement. Les enfants demandent des cadeaux, mais ils ont aussi un sens aigu de la justice. Si on leur explique la situation, ils sont prêts à recevoir moins», suggère la thérapeute. Juliette Allais invite aussi au pas de côté : « Noël célèbre le partage, le lien, l’amour. On peut mettre l’accent sur cela plutôt que sur les aspects techniques. Se décaler des obligation­s collective­s pour réinterpré­ter cette fête afin qu’elle ait du sens pour soi. » Bien manger, mais sans oublier de se concentrer sur la profusion de lumière et de joie. « Je rêve d’un Noël plus spirituel, confie Élisabeth, 47 ans. À mes yeux, c’est le seul élément qui peut redonner du sens à cette fête. Une forme de respect en découle : pas de surbouffe, pas de surconsomm­ation, seulement un moment où l’on se retrouve en étant très bienveilla­nts les uns avec les autres. »

Quand la famille n’est plus une option, Noël devient un nouveau territoire à explorer. MarieGabri­elle, 42 ans, divorcée et célibatair­e, préfère prendre le large les années où elle n’a pas son fils. «Un jour, à la place, j’ai cherché un lieu de retraite, raconte cette coach. J’ai trouvé The Sharpham Trust, un centre de méditation dans le Devon, au RoyaumeUni. Une expérience sublime, et pas uniquement parce qu’elle se tenait dans une “mansion” du XVIIIe siècle. On se fait plaisir, la nature fait du bien et Noël est un moment idéal pour se recueillir : il fait nuit tôt, on médite avec l’obscurité dehors, on rencontre d’autres personnes qui ont fait ce choix quand même assez spécial. La connexion se fait naturellem­ent et mène à des conversati­ons profondes. Un vrai ressourcem­ent, qui permet d’attaquer la nouvelle année en ayant eu le temps de faire le point sur sa vie.»

1. Éd. Hachette Pratique (version numérique uniquement).

2. Éd. Eyrolles. 3. Éd. Robert Laffont. 4. nadine-cretin.com

• DÉCRYPTAGE: POURQUOI PEUT-ON SE SENTIR PARTICULIÈ­REMENT DÉPRIMÉ·E AU MOMENT DES FÊTES? À DÉCOUVRIR SUR MARIECLAIR­E.FR

“Avant, soit je ne disais pas trop que mes cadeaux étaient de seconde main, soit ma famille se moquait de moi. Mais cette année, je note que l’usage s’est démocratis­é.”

Julie Laussat, autrice de Mon Noël écolo (1) et cofondatri­ce du magazine Veìr

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