Marie Claire

À la table d’Olia

- Par Elvira Masson Photos Joe Woodhouse

Cuisinière ukrainienn­e installée à Londres, autrice et militante, Olia Hercules nous reçoit chez

(1) elle pour préparer un menu de fêtes traditionn­el en trois actes. Un généreux mélange de saveurs terriennes, symbole de la générosité du répertoire culinaire familial, mais aussi un acte de résistance.

Sa maison de l’est de Londres est caressée par un doux soleil d’automne qui nous accompagne jusqu’à l’immense cuisine-salle-àmanger-capharnaüm grande ouverte sur le jardin. Olia s’empresse de nous faire visiter le potager, ondulant de kale, de coriandre vietnamien­ne, de courge feuillue… Le four tourne à plein régime, la poitrine de cochon dore tranquille­ment et le gâteau aux pommes vient d’être enfourné. Le chou cuit tout doucement. Des jarres et des jarres de légumes fermentés peuplent les étagères et les billots en bois patinés, partout des épices, de l’huile de tournesol: «On ne cuisine qu’avec ça en Ukraine. » Depuis son premier livre, en 2014, Mamushka (2), on a été sous le charme de la cuisine d’Olia, de son savant mélange de recettes traditionn­elles, de sa connaissan­ce érudite et joyeuse d’une région du monde si méconnue culinairem­ent, mais aussi de sa grande sensibilit­é. «La sortie de ce premier livre correspond­ait à la fin d’une période particuliè­re de ma vie. J’avais perdu mon travail, j’étais mère célibatair­e, mon fils Sasha avait presque 2 ans. J’étais seule en Angleterre sans perspectiv­es particuliè­res et la guerre venait de commencer en Crimée. L’écriture de ces recettes a été un moyen de ne pas sombrer. Je ne cherchais pas à être publiée mais c’est arrivé, et tout s’est mis en place. » Depuis, elle n’a pas arrêté. Son dernier livre, Summer Kitchens (3), le seul pour l’heure à avoir été traduit en français, est un hommage magnifique à une pièce spécifique des maisons des campagnes ukrainienn­es: «litnya kuhnia», petite constructi­on souvent en briques, séparée du bâtiment principal, comme une dépendance où l’on cuisinait et mangeait tout l’été. Une pièce, aussi, où l’on préparait l’hiver. «Ce n’est pas qu’une idée romantique, elle symbolise la colonne vertébrale de la vie, un lieu de dur labeur et un sanctuaire.»

UN SANCTUAIRE, UNE CHAMBRE À SOI, C’EST AINSI QU’OLIA CONÇOIT

« Quand la Russie a envahi l’Ukraine, pour la première SA CUISINE. fois de ma vie, je n’ai pas pu cuisiner. Puis je me suis réveillée. La joie de cuisiner ne peut pas, ne doit pas m’être volée. » La cuisine valeureuse de celle qui a créé, avec son amie Alissa Timoshkin (4), autrice culinaire russe, le hashtag #CookFor UKRAINE pour mobiliser l’attention, créer du partage de recettes chez soi et au restaurant, est au coeur d’un élan de solidarité qui se traduit par des levées de fonds et un soutien concret à son peuple. Quand elle a convaincu son père de quitter l’Ukraine (il est retourné y vivre depuis), il lui avait fait promettre de prendre en charge les vingt familles qui travaillai­ent pour lui dans son usine d’équipement agricole. Olia y consacre une grande partie de son temps et de son éner-

• • •

gie. Elle a lancé au printemps dernier un «book club» en ligne 5), dont l’intégralit­é des recettes est versée à ces familles. (

qui épate aussi ON SE DEMANDE D’OÙ LUI VIENT CETTE ÉNERGIE

Joe, son mari, père de son deuxième enfant, ex-cuisinier devenu photograph­e qui officie avec nous ce jour-là. La réponse ne se fait pas attendre: « Les Ukrainiens ont longtemps eu des rapports ambivalent­s avec leur pays. Après des décennies de privations, tout le monde rêvait de partir. Aujourd’hui, nous savons que c’est chez nous que nous nous sentons le mieux. Les troupes russes ne savent pas pourquoi elles se battent, sinon la folie de leur dirigeant. Nous, c’est pour notre vie.» Et Olia de nous servir ses délices: le chou aux épices et fruits secs est une merveille inoubliabl­e, tout comme le gâteau aux pommes, une recette qui lui vient de sa mère. Une préparatio­n qui contient de la semoule fine, secret de ce goût d’enfance. Comme une dernière note qui rappelle que cuisiner, c’est aussi résister, se souvenir des jours heureux et prier pour qu’ils reviennent. 1. oliahercul­es.com 2. Éd. Mitchell Beazley (non traduit). 3. Summer Kitchens d’Olia Hercules, photograph­ies de Joe Woodhouse, éd. Hachette Cuisine. 4. alissatimo­shkina.com 5. À suivre sur Instagram : @oliahercul­es Les recettes qui suivent sont extraites de Summer Kitchens. «En Ukraine, on considère que ce plat est une salade, mais je l’ai aussi dégusté comme le font les Britanniqu­es, à la façon d’un ‘relish’ – lors d’un déjeuner typique, accompagné de fromage et de pain. »

Salade de betteraves à la pomme et aux noix

Pour 4 personnes

3 betteraves de taille moyenne,

2 c. à s. de vinaigre de Xérès,

1 c. à s. d’huile de tournesol,

1 pomme granny smith,

1 poignée de noix ou de noix de pécan légèrement toastées, sel de mer, poivre noir.

Placer les betteraves entières, lavées mais non pelées, dans une casserole d’eau froide et porter à ébullition, puis laisser mijoter jusqu’à ce qu’elles soient cuites, pendant 1 heure, voire un peu plus. Commencer à vérifier la cuisson avec la pointe d’un couteau au bout de 40 min: une fois prêtes, elles devraient être relativeme­nt tendres et présenter un petit peu de résistance. Égoutter et rincer sous un filet d’eau froide. Ôter la peau avec les doigts.

Dans un grand saladier, fouetter

1/2 c. à c. de sel dans le vinaigre jusqu’à ce qu’il soit dissout. Fouetter l’huile, l’ajouter, goûter et rectifier l’assaisonne­ment : ajouter poivre et sel si besoin.

Râper la betterave à l’aide d’une râpe à gros trous. Bien l’égoutter. Faire de même avec la pomme débarrassé­e de son trognon. Ajouter la betterave et la pomme râpées dans le saladier, puis les noix hachées. Mélanger et servir.

Gâteau aux pommes caramélisé­es

Pour 8 à 10 personnes

200 g de beurre en pommade,

200 g de pommes pelées coupées en tranches,

1 c. à s. de cassonade,

200 g de sucre blond,

3 oeufs, blancs séparés des jaunes,

1 c. à c. d’extrait de vanille,

500 g de ricotta ou de cottage cheese, 120 g de semoule fine ou de polenta, 1 pincée de sel.

Faire fondre 25 g de beurre dans une poêle à feu moyen, ajouter les pommes et cuire

2 à 3 min de chaque côté jusqu’à ce qu’elles prennent une coloration dorée. Saupoudrer la cassonade et cuire 1 min sur chaque face, puis mettre les pommes dans un saladier. Préchauffe­r le four à 200 °C (chaleur tournante 180 °C ou th. 6-7) et beurrer un moule à gâteau de 20 cm de diamètre. Disposer les pommes caramélisé­es dans le fond du moule. «Lorsque je prépare cette recette de porc, je dois parfois empêcher ma famille de tout terminer, pour pouvoir utiliser les restes comme farce des “pyrizhky” (petits pains briochés). J’ai goûté cette délicieuse recette pour la première fois lors d’un Noël chez moi, en Ukraine. J’étais arrivée en retard, après douze heures de train entre Kyiv et Kherson, quand ma mère m’a tendu un petit pain doux farci de porc, de chou fermenté et de fruits secs.»

Poitrine de cochon au chou fermenté et aux fruits secs

Pour 6 personnes

2,5 kg de poitrine, d’épaule ou de jarret de porc,

1 c. à c. d’huile de tournesol, 1 gros oignon coupé en tranches épaisses,

500 g de chou pommé, 100 g de pruneaux dénoyautés hachés,

50 à 100 g d’abricots secs émincés,

2 c. à c. de carvi en poudre, 2 c. à c. de coriandre moulue, 2 c. à c. de graines de fenouil moulues,

500 g de pommes pelées et tranchées.

Mélange d’épices

2 c. à c. de sel de mer, 5 gousses d’ail pressées,

3 c. à s. de moutarde,

3 c. à s. de vinaigre de cidre,

c. à c. de noix de muscade râpée,

1 c. à c. de miel. Préparer le mélange d’épices. Badigeonne­r avec la poitrine de cochon et laisser mariner,

Placer le beurre dans le bol d’un robot pâtissier muni d’un fouet, avec 150 g de sucre en poudre, fouetter jusqu’à ce que l’appareil soit léger. Ajouter les jaunes d’oeufs petit à petit, puis l’extrait de vanille et le fromage en fouettant. Transférer l’appareil dans le saladier puis ajouter la semoule ou la polenta (cette dernière permettra d’obtenir un gâteau ayant plus de texture). Laver et sécher le bol et le fouet du robot pâtissier, y placer les blancs d’oeufs (ou les battre au batteur électrique) et fouetter jusqu’à ce qu’ils soient mousseux. Ajouter les 50 g de sucre en poudre et le sel, et fouetter jusqu’à obtenir un bec d’oiseau. Prélever une grande cuillérée du mélange de blancs d’oeufs et ajouter vigoureuse­ment à l’appareil pour le détendre. Ajouter le reste de blancs à l’appareil et l’incorporer avec délicatess­e. Verser l’appareil sur les pommes dans le moule et cuire 30 min, jusqu’à ce qu’il soit encore un peu mou, mais pas liquide. La texture du gâteau deviendra plus ferme en refroidiss­ant. Démouler et servir. à couvert, quelques heures à températur­e ambiante ou au réfrigérat­eur toute la nuit. Préchauffe­r le four à 200 °C (chaleur tournante 180 °C ou th. 6-7). Tapisser un plat de cuisson de papier aluminium et placer une grille au-dessus. Placer le porc sur la grille et faire rôtir 15 à 20 min, puis baisser le four à 160 °C (chaleur tournante 140 °C ou th. 5-6) et cuire une heure.

Chauffer l’huile dans une poêle et faire revenir l’oignon jusqu’à ce qu’il commence à colorer. Ajouter chou, fruits secs, carvi, coriandre et fenouil, cuire 5 min puis ajoutez les pommes. Retirer le porc du four et ôter la grille du plat à rôtir. Verser le contenu de la poêle dans le plat et placez le porc dessus. Couvrir de papier aluminium et placer à nouveau dans le four pour deux heures de plus. Retirer du four et laisser reposer 10 à 15 min.

Trancher le porc

(ou l’effilocher) et servir sur le chou aux fruits secs.

 ?? ?? Olia Hercules, dans sa maison londonienn­e : « La joie de cuisiner ne peut pas, ne doit pas m’être volée. »
Olia Hercules, dans sa maison londonienn­e : « La joie de cuisiner ne peut pas, ne doit pas m’être volée. »
 ?? ??
 ?? ?? 1
1
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France