À Paris, artisanat et art tissent des passerelles
La foire Art Paris met cette année l’accent sur les jeunes artistes et la tendance Arts & Crafts, à travers des oeuvres vivifiantes qui font la part belle au travail des femmes. On s’y presse !
LES FOIRES D’ART CONTEMPORAIN, c’est a priori le meilleur moyen pour faire un tour de piste de la création actuelle. On fait la queue avec excitation, on achète son billet d’entrée, on mise sur le coup de foudre, mais une fois lancé·e dans les allées, l’euphorie baisse d’un cran. D’un salon l’autre, on retrouve souvent les mêmes parcours balisés, les mêmes oeuvres internationalisées, les mêmes artistes «bankable». De quoi ressentir un sérieux parfum de globalisation, comme si les scènes de Paris, de Bâle, de Los Angeles ou de Hong Kong étaient alignées sur les mêmes méridiens.
Scarlet Letter, Sheila Hicks, 2024.
ART PARIS OUVRE SES PORTES CE MOIS-CI, et on aime que cette foire assume sa différence : elle mise sur la découverte de jeunes talents réunis dans un vrombissant secteur « Promesses », elle privilégie les galeries françaises tout en ouvrant le champ à un panorama mondial, elle propose des éclairages spécifiques, des sélections d’oeuvres réalisées par des curateur·rices indépendant·es ayant une bonne vision des tendances du moment. Son commissaire général Guillaume Piens a ainsi confié au critique d’art suisse Nicolas Trembley le soin de nous guider dans un parcours « Art & Craft» qui met en lumière les passerelles entre art et artisanat. La tendance n’est pas nouvelle, l’expression «Arts & Crafts» fait référence à un mouvement pionnier né au Royaume-Uni à la fin du xixe siècle, mais les savoirs du geste et de la main sont décidément de retour. Au fil des 136 galeries présentes, les artistes font leur miel du bois, de la céramique, du verre, du textile, redonnant corps et chair aux oeuvres. Le tandem franco-britannique Daniel Dewar & Grégory Gicquel surprend chez Loevenbruck avec des céramiques organiques auxquelles il pousse des doigts de pieds ou des protubérances en forme d’escargots. La grande Sheila Hicks tisse sa toile avec de la corde et des crins de cheval à la Galerie Claude Bernard. La Polonaise Barbara Levittoux-Świderska, chez Richard Saltoun, s’inspire de pratiques textiles rurales pour produire des fétiches âpres et intrigants. Et au stand de Françoise Livinec, on découvre de merveilleux patchworks chinois qu’on appelle « Ge Ba», réalisés par des communautés de femmes à partir de vêtements usagés – des pièces de tissus recyclés, découpés et remontés selon un art vibrant de la couleur, revivifiant la tradition du « tableau textile ». Toutes ces oeuvres hors normes sont le plus souvent le fait de femmes artistes qui définissent ainsi leur territoire de création, en s’émancipant des protocoles de la grande histoire de l’art dont les hommes, de tout temps, ont fixé les canons.
Art Paris, du 4 au 7 avril au Grand Palais Éphémère, Paris 7e. artparis.com