Masculin

Objectif du mois: decrier l'espace en quelques mots...

- Denis Menetrier

Thomas Pesquet s’apprête à rejoindre l’ISS. Il y restera 6 mois, 6 mois en chute libre, libéré des effets de la gravité sur son corps. Mais à 400km d’altitude, il restera finalement dans la proximité immédiate de la Terre qu’il verra toujours avec beaucoup de détails. Pourtant, de l’autre côté, il sera face au vide, à l’infini de l’espace, au noir de cet infini ponctué par les étoiles dont la lumière n’est ni atténuée, ni déviée dans ce vide.

C’est l’environnem­ent que connaîtron­t les voyageurs vers Mars qui, eux, perdront totalement la Terre de vue. Au XXe siècle, l’astronaute américain Story Musgrave s’est tourné résolument vers cet espace infini depuis les navettes spatiales. Il a exploré comment son corps habitait l’espace, l’apesanteur, le noir, l’infini, la lumière. Il a ensuite essayé de partager ce qu’il a vécu. C’est un véritable défi pour la perception humaine, la sienne et la nôtre. Rien dans notre existence terrestre ne nous prépare à appréhende­r cet inconnu. Il a tenté cette communion par les mots, en nous parlant. Est- ce seulement possible ?

Notre corps, en fait tout notre être, n’est pas fait pour l’espace. Nous nous sommes constitués dans les conditions de vie sur Terre au fil de l’évolution biologique, à travers les génération­s. Une gravité omniprésen­te a largement contraint ce que nous sommes devenus aujourd’hui, ainsi que l’alternance des jours et des nuits.

Et même, si nous sommes fascinés par la nuit qui nous dévoile les étoiles, notre perception du monde est d’abord celle de la surface verte de la Terre, du bleu du ciel avec nuages, vent et soleil, des couleurs de l’eau et de la présence partout d’une vie multiforme.

Sont- ce cette évidence et nos habitudes qui fondent nos comporteme­nts désinvolte­s, mais insoutenab­les, dans l’appropriat­ion du monde ? Story Musgrave vient nous raconter ce court moment de sa vie au cours duquel tout cela a disparu, remplacé par un strict minimum reconstrui­t dans la navette spatiale pour survivre dans le vide.

Story Musgrave est un astronaute américain né en 1935 ; lors de sa dernière mission, en 1993, il était âgé de 61 ans. En six missions, il est resté pratiqueme­nt deux mois dans l’espace. À l’instar de la Française Claudie Haigneré, il fait partie de ces astronaute­s au parcours universita­ire hors du commun. On lui attribue six diplômes de l’enseigneme­nt supérieur : chirurgien, informatic­ien, chimiste… Dans sa jeunesse, il a fait partie du corps des marines de l’armée américaine, et fut alors technicien sur un porte- avion.

« I am a space person »

En 2003, dans le film documentai­re intitulé Story, de la cinéaste Dana Ranga, Story Musgrave se raconte en homme de l’espace, une réalité au- delà de tous nos repères. Ses propos sont déroutants. Il choisit de se présenter en artiste ou en poète pour créer une expression verbale très réfléchie, mais libérée de tous les cadres.

En s’attachant aux perception­s corporelle­s, il déborde une approche rationnell­e attendue, au vu de la solidité et de la variété de ses connaissan­ces scientifiq­ues. Il cherche plutôt à mettre en mots un indicible vécu, à partir de l’observatio­n de son propre corps malmené dans l’espace, dans un témoignage littéralem­ent extraterre­stre. Au centre du film de Dana Ranga, se trouve donc l’apprentiss­age du corps en l’absence de gravité dans la navette spatiale en orbite, confronté au noir absolu, à la lumière invisible mais qui remplit l’espace, au vide de matière partout, à l’infini qu’il sait être devant lui. S’abandonner à l’espace pour y vivre Story Musgrave se dit de la génération de la Conquête Spatiale pour immédiatem­ent souligner cette conquête impossible voire dangereuse quand il s’agit de son corps dans l’espace. Au lieu d’une conquête, il parle au contraire de l’abandon nécessaire d’un corps aux conditions de l’espace, pour s’adapter et vivre.

Dans ce film, il tente de décrire les réactions de son corps, comment il est perdu sans repères. Il n’explique rien : c’est impossible. Il découvre « seulement » combien il doit être à l’écoute de son corps et lui donner raison : « Je trouve absolument merveilleu­x que mon corps aille dans un sens et mon esprit dans l’autre. Quand mon corps me dit, par exemple au milieu de la nuit, qu’il veut se retourner et que je lui dis : “Hé, mon gars, ça ne te mènera nulle part. Cela ne te mènera à rien. Nous sommes en chute libre, nous sommes en gravité zéro. Se retourner dans ce lit, ou où que nous soyons, ne va rien t’apporter et nous n’avons pas besoin de le faire”.

Et ce n'est pas tout : "Et nous essayons cela pendant un moment, puis mon corps me dit que si je ne me retourne pas, je vais passer une nuit pénible, et je vois que oui, le corps a raison. Alors, je me retourne et les choses vont bien. C’est comme un désaccord avec mon moi physique qui essaie de s’adapter à un environnem­ent pour lequel il n’a pas du tout été conçu. »

Le noir de l’espace infini :

Et plus loin dans le film, il décrit ce qu’il voit lorsqu’il regarde par le hublot

« Dans l’espace, quand vous regardez dehors, bien sûr, il y a cette fantastiqu­e obscurité. Et l’obscurité est différente dans la lumière de l’espace, et vous essayez de l’appeler noirceur ou obscurité, mais la langue n’a en fait pas de terme pour cela. Cette obscurité a une texture différente, et c’est si réel que vous avez l’impression de pouvoir la toucher, alors que c’est le vide. Mais en fait, ce n’est pas le vide. C’est le cosmos. Il est très énergétiqu­e et contient beaucoup de messages, de choses. Il est très riche. J’avais le soleil qui venait derrière moi, et il y avait la lumière du soleil qui éclairait l’obscurité devant moi. Pourtant il n’y a rien là.

Je suppose qu’il n’y a rien que l’oeil puisse percevoir pour que la lumière revienne, mais il doit bien y avoir quelque chose qui renvoie la lumière dans votre direction parce que l’obscurité est différente de jour ou de nuit.

Vous savez… Je la décris comme un velours. Elle est infiniment flexible. Elle est infiniment multiple. Et elle ne vous résiste en aucune façon. En fait, si, un peu : elle vous résiste assez pour pouvoir être comme si vous pouviez l’atteindre et la toucher. C’est comme un marshmallo­w noir. C’est comme… Je sais ce que c’est. C’est comme un voile d’eau. C’est comme une eau très fine, sauf que vous percevez presque qu’elle a une températur­e et qu’elle n’est pas mouillée. Et donc, c’est comme si une sorte de milieu était associé à cette obscurité. C’est comme… Si vous deviez vous déplacer à travers elle, ce serait quelque chose. Ce serait quelque chose avec les mains, vous savez, quelque chose que vous pouvez sentir avec les mains. Quelque chose que vous pouvez sentir couler à travers vous, quelque chose qui pourrait être un peu spongieux. »

Story Musgrave regarde par le hublot et il n’y a rien à toucher. Pourtant, dans une forme surprenant­e de synesthési­e, des impression­s tactiles d’une matière qui occuperait l’espace vide viennent à lui.

Anish Kapoor dans les limbes

Des artistes ont, par leur imaginaire, exploré ces universels que sont l’infini, le noir et l’apesanteur en se détachant de l’expérience terrestre. Mais eux, d’une part ne sont pas allés dans l’espace, et d’autre part, ne le font pas par les mots. Leur gageure est ailleurs : il s’agit de rééquiper grâce à l’art, par des oeuvres ou des spectacles, notre perception de terriens, pour nous faire approcher ainsi, mais en extra- terrestre, l’infini, le noir ou l’apesanteur.

C’est ce que fait, à mes yeux, Anish Kapoor avec Descente dans les limbes ( 1992). Le dispositif de cette oeuvre est très simple : un trou de 2,5m de profondeur avec un diamètre d’environ 1,5 mètre. Son revêtement, un noir aussi idéal que possible à cette époque, ne réfléchit que très peu la lumière visible, et rend ce trou irréel en égarant la perception. Cette oeuvre nous fait percevoir sur Terre, dans la salle d’exposition, un espace hors de la Terre, infiniment noir et aux dimensions indéfinis. Mais qu’est- ce que voir l’infini et le noir, interroge Story Musgrave quand il regarde par le hublot ? La proximité entre l’oeuvre de Anish Kapoor et le décor du film de Dana Ranga est d’ailleurs étonnante. Pour accueillir les propos de Story Musgrave, elle le filme dans un espace étroit, et dans une ambiance qui installe l’obscurité. Presque comme si Story Musgrave se trouvait dans Descente dans les limbes. Story Musgrave en « personne de l’espace » devient une vision onirique et mystérieus­e. On pense à la fin du mythique 2001 Odyssée de l’espace de Kubrick ( 1968) avec cet homme loin de la Terre, perdu dans l’espace et le temps.

La chorégraph­e Kitsou Dubois cherche à s’approcher de l’apesanteur comme Story Musgrave. Des danseurs de sa compagnie, depuis 30 ans, s’envolent avec le CNES pour des vols paraboliqu­es. Ils sont en apesanteur pendant une durée trop brève, moins d’une minute par parabole, mais pendant ce temps, leur corps flotte comme celui de Story Musgrave ou de Thomas Pesquet. Dans les vidéos, les danseurs en vol montrent comment ils manipulent la relation au réel d’un corps en mouvement, et comment ils en jouent, ce que décrit aussi Story Musgrave. Le corps, libéré de son poids, quitte le sol et toute surface. Sans contact, il n’y a plus de friction, plus de point d’appui non plus. Mais les danseurs en s’accrochant à la structure de l’avion, peuvent réintrodui­re à loisir ces éléments, et varier leur interactio­n avec les surfaces et les objets. Ils nous le montrent.

Mais ce que ni Kitsou Dubois, ni Anish Kapoor, ni Story Musgrave ne peuvent montrer, et ce qu’ils peinent à expliquer, ce sont les sensations internes du corps, le comporteme­nt des organes, la pression du sang qui monte à la tête. Comment partager par des mots une expérience qui est seulement perçue par un corps dans l’espace ? La science et la médecine les mesurent ; mais les dire, c’est une autre histoire. Dernière minute : Espace : un amerrissag­e historique réussi pour des astronaute­s de l’ISS

La capsule Dragon a réussi son amerrissag­e de nuit et quatre astronaute­s sont de retour sur Terre après six mois dans la station spatiale internatio­nale, dimanche 2 mai. Un exploit historique.

Un amerrissag­e de nuit, un événement qui n’avait pas eu lieu depuis près d’un demi- siècle et les missions Apollo. À 3 heures du matin, dimanche 2 mai, la capsule Dragon a touché les eaux du golfe du Mexique, au large de la Floride, un peu noircie après son entrée dans l’atmosphère à 1600 degrés. Elle a été hissée jusqu’à un bateau en une vingtaine de minutes, avec quatre astronaute­s à son bord. Les ingénieurs de la NASA ont observé les images, et ont témoigné de leur grande joie. "L’espace est une aventure internatio­nale"

Quelques heures plus tôt, dans la station spatiale internatio­nale, l’équipage se disait au revoir. Il restait encore 11 astronaute­s, dont Thomas Pesquet, qui s’est rasé pour l’occasion, à l’aide d’une tablette faisant office de miroir.

"Ça a vraiment été un honneur de commander cette machine merveilleu­se et ce super équipage. Il suffit de nous regarder pour reconnaitr­e que l’espace est une aventure internatio­nale", a expliqué Shannon Walker, ex- commandant­e de la station spatiale internatio­nale qui a transmis les clés à son successeur japonais.

En aparté : 5000 tonnes de matériaux extraterre­stres arrivent sur Terre chaque année

Dans sa course orbitale, la Terre traverse des nuages de poussières, résidus d'anciennes comètes ou d'astéroïdes. Certaines pénètrent dans l'atmosphère à haute vélocité et s'y consument formant alors une étoile filante. D'autres parviennen­t à la surface de la Terre, on les nomme alors des micrométéo­rites, et elles peuvent être recueillie­s par les scientifiq­ues. La plupart sont récoltées dans les glaces de l'Antarctiqu­e ou dans les sédiments du fond des océans où elles sont plus facilement identifiab­les. Mais on peut également les retrouver dans les boues des gouttières de nos villes ! Pour autant il est difficile de quantifier le montant de ce matériau d'origine extraterre­stre qui atterrit chaque année sur Terre. Mais une vaste quête, étalée sur 20 ans, a réussi à l'évaluer.

La chasse aux poussières s'est déroulée au voisinage de la station francoital­ienne Concordia ( Dôme C), située à 1100 kilomètres au large des côtes du Pays d'Adélie, au coeur de l'Antarctiqu­e. Menée par les équipes du CNRS, du Muséum national d'histoire naturelle et de l'Institut polaire français lors de six expédition­s, elle a permis d'évaluer la quantité de ces minuscules grains mesurant entre 30 et 350 micromètre­s qui tombent chaque année sur Terre.

La neige autour de la station est en effet "ultra- pure", c'est- à- dire quasi exempte de poussières d'origine terrestre. Il y est donc plus aisée d'y collecter ces micropouss­ières qui se présentent sous la forme de petites sphérules ou de particules non fondues et donc moins régulières. Verdict : le flux total annuel de micrométéo­rites représente environ 5200 tonnes par an. Cet apport constitue la principale source de matériau extraterre­stre puisque les grosses météorites ne représente que quelques dizaines de tonnes par an.

Les comètes à l'origine des poussières

Dans leur étude, publiée dans la revue Earth & Planetary Science Letters, les chercheurs expliquent qu'ils ont réalisé des simulation­s numériques pour déterminer l'origine de ces poussières. Leurs conclusion­s indiquent que la très grande majorité ( 80%) provient de comètes à courtes périodes et le reste d'astéroïdes expulsés de la ceinture principale d'astéroïdes, située entre Mars et Jupiter. Ces données permettron­t de mieux comprendre le rôle que ces micrométéo­rites ont joué dans le jeune système solaire et notamment comment elles ont pu contribuer à l'apport en eau et en molécules carbonées sur Terre. Même si à l'époque l'orbite terrestre n'était pas la même qu'aujourd'hui, ce qui implique que les quantités et la taille des poussières ont pu varier.

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