Au Mexique, le fentanyl est la nouvelle drogue à la mode
Malgré l’arrestation du baron de la drogue, le commerce de stupéfiants est en plein essor au Sinaloa – là où les producteurs troquent l’héroïne pour des opiacés mortels.
Dans le champ de pavots, les seuls bruits qu’on entend sont le chant des oiseaux et le vent qui souffle sur les arbres voisins. Uniquement accessible après quarante minutes de trajet en 4x4 tout-terrain depuis la ville la plus proche, le champ parsemé de jolies fleurs rouges, blanches et violettes, s’incline dangereusement vers le bas. Derrière lui se trouvent les montagnes du Sinaloa, l’État natal de Joaquin « El Chapo » Guzman, qui a été reconnu coupable par un tribunal new-yorkais en février dernier d’avoir dirigé le cartel international qui siège toujours dans la région.
Quatre hommes sont penchés sur les pavots et marquent des lignes de repères autour de leurs capsules. Ils reviendront demain pour récolter l’opium qui s’en écoule et qui sera ensuite mélangé et vendu à des intermédiaires, puis transformé en héroïne et envoyé dans le nord avant de tomber entre les mains des junkies américains. Mais l’héroïne est moins demandée ces jours-ci. C’est désormais le fentanyl, un opiacé synthétique mortel, que les toxicomanes réclament.
« L’héroïne synthétique [le fentanyl, ndlr] a tué ce secteur », dit l’un des travailleurs, qui a souhaité garder l’anonymat. Pour les petites mains comme lui, qui gagnent environ 300 pesos (20$) par jour en cultivant les plantes – et pour les milliers d’agriculteurs qui cultivent le pavot depuis plusieurs générations au Sinaloa, au Durango et au Guerrero – le boom économique de l’héroïne est terminé.
Le pavot est cultivé dans ces montagnes depuis plus de cent ans, mais c’est réellement au début de cette décennie que les toxicomanes des États-Unis, accros aux analgésiques sur ordonnance, ont commencé à se tourner vers l’héroïne, moins chère et plus facilement accessible, ce qui a provoqué un boom de la production au Mexique.
Aujourd’hui, l’opium produit par des champs comme celui-ci se vend pour une fraction de son prix initial – si tant est qu’il se vende. Au plus fort du boom, un kilo d’opium se vendait pour environ 36 000 pesos (2 200$). Au cours des trois dernières années, sa valeur a chuté à seulement 10 000 pesos (650$).
Le fentanyl – ou la chiva sintetica (l’héroïne synthétique), comme on l’appelle ici – est la nouvelle drogue à la mode. D’après les cuisiniers et les mules à qui j’ai parlé, il est envoyé dans le Nord par dizaines de kilos chaque mois. Bien que l’investissement soit élevé – un trafiquant peut avoir à investir jusqu’à 60 000$ dans les produits chimiques ou le fentanyl brut nécessaires à la fabrication du produit – les bénéfices sont énormes.
Les cellules criminelles préparent l’opiacé mortel – qui a tué quelque 28 000 personnes aux États-Unis en 2017 – avec des produits chimiques importés de Chine et d’Allemagne. Bien que la majorité du fentanyl consommé par les toxicomanes aux États-Unis provienne directement de Chine par la poste, les groupes criminels mexicains adoptent de plus en plus la drogue mortelle dans leur portefeuille qui comprend déjà la cocaïne, la méthamphétamine, l’héroïne et, dans une moindre mesure, la marijuana. Et comme l’héroïne avant lui, le fentanyl est une tendance dictée par la demande.
Jose – que j’ai interviewé dans une voiture garée dans la ville de Culiacan – me dit qu’il obtient six kilos de drogue à partir du kilo de fentanyl brut qu’il achète à des importateurs. Il les envoie ensuite à des clients aux États-Unis, qui peuvent les diluer davantage, mais il réalise un profit de 15 000$ sur chacun de ces six kilos, après déduction des coûts de préparation, de taxes et de transports.
« Malheureusement, dans les années à venir, nous nous concentrerons davantage sur le fentanyl. Nous n’en avons pas envie, mais le business de l’héroïne est en baisse. Et nous devons faire avec », dit-il.
Je lui demande ce qu’il y a de malheureux à cela, étant donné que c’est une affaire qui roule. « Toutes les drogues sont nocives, mais l’héroïne naturelle ne tue pas [aussi souvent que le fentanyl, ndlr]. Et on peut survivre à une overdose d’héroïne. Mais beaucoup de gens meurent après avoir consommé du fentanyl. Nous le savons, mais c’est notre travail – et même si nous n’aimons pas ça, nous devons rester compétitifs sur le marché. »