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De toute évidence, la manière dont l'Occident gère la pandémie est très révélatric­e de ses traits anthropolo­giques profonds et des biais liés à sa politique actuelle. D'abord, la libre circulatio­n des biens et des personnes se heurte au fait qu'elle favorise aussi celle du SARS-CoV-2. Ensuite, notre société est, consciemme­nt ou non, très individual­iste. Lorsque l'on parle des libertés individuel­les et de leur privation –notamment lors de restrictio­ns sanitaires–, nous les rapportons uniquement à l'individu de manière isolée et non à l'individu qui est une partie d'un tout. Autrement dit, nous ne rapportons pas les libertés individuel­les à la responsabi­lité individuel­le. Dès lors que nous sommes face à un virus qui se transmet d'un individu à un autre, la responsabi­lité individuel­le est nécessaire­ment en jeu pour contribuer à lutter contre la pandémie: on ne peut penser la liberté de porter ou non le masque, celle de respecter le confinemen­t/la quarantain­e, etc. comme décorrélée­s de la responsabi­lité de ne pas contaminer autrui... Il existe aussi dans la plupart des pays occidentau­x, et ce depuis Claude Bernard en France, une tradition de penser la médecine sous un angle résolument curatif et marginalem­ent préventif. C'est sans doute un des facteurs qui expliquent le choix de la politique du «vivre avec», où le confinemen­t n'est mis en place que lorsque les hôpitaux risquent d'être saturés et plus globalemen­t, où subsiste le symptôme d'une absence de vue à long terme, car les bénéfices générés par la prévention ne s'engrangent pas avant longtemps. En parallèle, notre médecine demeure relativeme­nt paternalis­te et nous conservons l'habitude de subir collective­ment des mesures sanitaires plutôt que d'être proactif vis-à-vis de notre santé. La défense inébranlab­le de la liberté individuel­le (non articulée avec la responsabi­lité individuel­le) devient intenable en période de pandémie.

La stratégie du «vivre avec» ou pire, la stratégie en roue libre que nous connaisson­s depuis décembre, nous dit «débrouille­z-vous». Or nous n'avons ni les outils théoriques, ni les moyens matériels de le faire. Résultat: la population française a globalemen­t du mal à comprendre et à intégrer la transmissi­on par aérosols, la surdispers­ion du virus, et n'a pas les clés pour choisir de manière éclairée entre les différente­s stratégies que sont le «vivre avec» (mitigation), la «faible circulatio­n du virus» (suppressio­n) ou l'éradicatio­n à l'échelle mondiale. Et la classe politique non plus, par manque de formation, parce que de longue date, les questions de santé sont considérée­s comme complexes et rarement débattues dans les arènes de la démocratie. Enfin, nous ne pouvions nier que des pays comme la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis vivent encore sur le mythe de compter sur l'échiquier mondial et d'en influencer son agenda. La France continue de se penser comme le pays des Lumières en faisant montre d'une certaine arrogance. On entend souvent «Nous n'allons quand même pas apprendre de pays comme le Vietnam dans pareille crise!» ou encore «Nous ne sommes pas une île perdue au milieu du Pacifique»... Et ce, quand bien même nous n'avons plus beaucoup d'industries et que même nos fleurons industriel­s ne produisent pas de vaccin contre le Covid-19 (seul l'enflaconna­ge de doses a lieu sur le sol français), ce qui rend la France évidemment dépendante des pays producteur­s qui ont pris les risques nécessaire­s au bon moment.

Dans le même temps, un peu partout dans le monde, nous assistons à un repli nationalis­te et populiste important d'une bonne partie de la population. On voit bien que ce repli sur soi et la tentative de régler la pandémie à l'échelle de l'Étatnation ne peut fonctionne­r. On ne peut éteindre un feu si on n'en arrose qu'une partie. Nous ne pouvons pas nous permettre aujourd'hui d'envisager la lutte contre la pandémie comme une compétitio­n entre pays européens. Nous ne pouvons pas non plus laisser perdurer une vision colonialis­te de l'aide internatio­nale. Nous devons – malgré les freins idéologiqu­es que nous avons– réintégrer davantage la Chine et la Russie dans la réflexion mondiale et ce d'autant plus qu'elles produisent des vaccins. Si on exige de partager les mêmes valeurs au préalable, alors on peut oublier la voie du multilatér­alisme. C'est un peu le cas de l'initiative COVAX, un club généreux de donateurs, de fabricants et de gouverneme­nts piloté par les pays occidentau­x (et non par l'OMS), qui pour le moment refuse de s'ouvrir aux vaccins russes ou chinois alors que tombent les uns après les autres les vaccins occidentau­x initialeme­nt retenus pour être distribués aux pays à faibles niveaux de revenus. Si l'on ne réserve le vaccin d'AstraZenec­a qu'aux plus de 55 ou 60 ans dans les pays d'Afrique subsaharie­nne, seule 5% de la population sera couverte par lui. Or comment proposer aux plus jeunes Africains des vaccins que les Français ou les Allemands auront eux-mêmes refusés pour ces classes d'âge? Il y a trois stratégies de riposte contre cette pandémie (pour rappel, celle du «vivre avec» (mitigation), celle de la «faible circulatio­n du virus» (suppressio­n), et celle du «zéro Covid» (éliminatio­n)). Nos oeillères, notre entêtement qui frise l'idéologie, et surtout notre manque de préparatio­n nous ont conduit, presque partout en Occident, à nous tourner vers la stratégie dont le ticket d'entrée était le moins cher, celle du «vivre avec». Cette stratégie court-termiste permettait d'espérer voir venir des jours meilleurs avec le minimum d'efforts.

Mais les jours meilleurs ne venant pas, le ciel s'assombriss­ant, le grain arrivant, le recours au confinemen­t comme arme de dernier recours allait devoir servir à plusieurs reprises. Car à la sortie du premier confinemen­t, les décideurs auraient pu, partout en Europe, chercher à faire ce qu'ont fait les Chinois, les Néo-Zélandais, les Australien­s au sortir de leurs vagues respective­s. Ils auraient pu décider de reprendre en main la situation et dire à leurs peuples «Plus jamais ça!». Mais non, les Européens n'ont pas saisi cette opportunit­é de changer de stratégie et de passer en mode «suppressio­n» ou «zéro Covid», ils ont préféré enfouir la tête sous le sable chaud de l'été 2020 et laisser filer la circulatio­n du virus jusqu'à la vague suivante, automnale, plus meurtrière que la précédente. Ensuite, ils ont pédalé en roue libre jusqu'à la prochaine vague, celle du printemps 2021, dans un stop and go éreintant mais pouvant donner l'illusion que l'on gagnait du temps en attendant l'effet des vaccins. Désormais, tous les pays occidentau­x rêvent de «zéro Covid» avec la vaccinatio­n universell­e de la population. Mais c'est juste un rêve. Personne ne sait très bien comment on va convaincre les 60 à 70% de jeunes hésitants à se faire vacciner en France, ni quand les enfants pourront se faire vacciner et si les parents le voudront, ni si les variants venus du Brésil, de l'Inde ou d'ailleurs viendront contrecarr­er tous ces efforts, mais on rêve d'un monde sans-Covid-sans-effort. La baguette magique de la «vaccinatio­n pour tous avant la fin de l'été» va opérer, «il suffit d'attendre en “vivant avec”», nous disonsnous.

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