Est-il possible de préférer
UNE RÉALITÉ VIRTUELLE ?
Pareillement, l’entreprise Atari a déboursé plusieurs centaines de milliers d’euros pour acheter des terrains à son effigie dans le metaverse : The Sandbox, un metaverse qui utilise la technologie blockchain gouvernée par la crypto-monnaie décentralisée SAND. Les exemples similaires sont légion, avec des entreprises prêtes à débourser des centaines de milliers de dollars pour acquérir des encarts publicitaires virtuels, des terrains virtuels, ou des objets virtuels. En d’autres termes, pour prendre le contrôle de ces mondes numériques.
Ces mondes parallèles prennent ostensiblement leur essor à une vitesse étonnante, un phénomène encouragé par le contexte sanitaire qui tend à encourager la digitalisation du monde et des rapports humains, un phénomène sur lequel surfent donc déjà quelques marques. Certes, en observant tout cela, nous pourrions être tentés d’y voir simplement un effet de mode ou le délire de quelques utilisateurs déphasés et finalement très marginaux. Mais cette « ruée » vers le metaverse pose des questions autant éthiques que politiques.
S’il est vrai que jusqu’à présent tous ces univers parallèles étaient construits en support et en complément du monde réel, cette tendance s’inverse à mesure que les premiers prennent le pas sur le second. Les expériences et relations de la vie réelle deviennent alors des commodités à digitaliser. Pour certains utilisateurs, c’est désormais le monde réel qui sert de support à leur vie virtuelle. Des joueurs travaillent la journée pour avoir assez d’argent virtuel à dépenser dans leur jeu, des utilisateurs d’Instagram pensent leur vie dans l’optique de la mettre en scène sur leur timeline de réseau social, etc. La vie physique devient le moyen de notre vie virtuelle. Le numérique n’est plus un moyen, mais une fin en soi.
De là, il n’y a qu’un pas à franchir pour affirmer que, dans le monde de demain, on se mariera dans le metaverse, que les enfants se divertiront et étudieront dans le metaverse, que les parents travailleront dans le metaverse et aideront leurs enfants à faire leurs devoirs dans le metaverse. Il n’y a qu’un pas à franchir pour affirmer que demain on travaillera dans le monde réel pour obtenir de quoi acheter des habits de marque à son avatar virtuel, afin qu’il soit bien habillé pour la réunion d’entreprise ayant lieu dans le metaverse. Il n’y a qu’un pas à franchir pour affirmer que demain on travaillera dans le monde réel pour avoir assez d’argent pour aller en vacances ou à un concert avec ses amis dans le metaverse.
Cela paraît absurde. Pourtant, la question ne se posera pas demain. Elle s’est posée hier, à l’heure de Facebook, et la société dans son ensemble a adhéré au modèle proposé par les réseaux sociaux.
En d’autres termes, l’humanité est mûre pour le metaverse, c’est-à-dire mûre pour voir formaliser de façon stricte et technique, ce qui est déjà le cas dans les faits : nous vivons dans des bulles virtuelles, une existence digitale entrecoupée de moments physiques.
Le metaverse n’est donc que le prolongement d’un mode de vie déjà acté mais qui était jusqu’alors inachevé pour des raisons techniques. Le metaverse, c’est cette promesse de pouvoir continuer à se divertir sans limites alors que le monde réel perd de plus en plus de saveur. Le metaverse, c’est la promesse de pouvoir continuer à consommer de façon infinie, alors même que les ressources s’épuisent : acheter une voiture ou prendre l’avion dans le « metaverse » ne se résume qu’à une ligne de code pour les utilisateurs. Les entreprises peuvent donc vendre à l’infini des objets qu’elles n’ont même plus à fabriquer, qu’elles peuvent générer via des lignes de code.
Les agences de voyage peuvent vendre des road trips et des croisières sans avoir à gérer le déplacement de leurs clients, et sans avoir à anticiper les éventuels confinements à répétition. Aussi longtemps que les gens accorderont de la valeur à leur double virtuel, cette économie digitale fonctionnera, engrangeant des profits colossaux. Voilà ce qu’est en définitive le metaverse, la formalisation par la technologie d’une réalité qui existait déjà en puissance à travers les réseaux sociaux et la digitalisation du monde. Or c’est bien la clé fondamentale pour comprendre l’ensemble de ce sujet : puisque le metaverse n’est que la finalisation d’un long processus, les acteurs de l’économie numérique actuelle sont en bonne place pour maintenir leur domination et asseoir une forme de suprématie plus totale encore.
Le metaverse n’est donc pas un espace mais un moment. C’est le moment où notre vie virtuelle aura plus de valeur que notre vie réelle. Un moment dans le temps où l’intégration dans le web de tous les éléments de notre vie, au travers d’objets connectés, donnera naissance à une nouvelle manière de consommer, de travailler, d’avoir des relations sociales, et au final d’avoir une identité. Nous accordons déjà de plus en plus d’attention, et donc d’énergie, à nos vies numériques. Le metaverse est donc le moment où nos vies basculeront presque entièrement dans le monde virtuel, ce qui ne peut être qu’un processus (déjà enclenché) sur plusieurs décennies.