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- ÉCRIT PAR MIGUEL Z.

Le passe vaccinal comme outil de contrôle politique

La « police sanitaire » n’est pas qu’un slogan brandi dans les manifestat­ions pour dénoncer les restrictio­ns de liberté liées à la pandémie. Elle existe formelleme­nt dans notre droit. C’est une branche de la police administra­tive. Contrairem­ent à la police judiciaire dont le rôle est de sanctionne­r les comporteme­nts portant atteinte à l’ordre public, les mesures de police administra­tive ont pour but de les prévenir en restreigna­nt par avance les libertés. Ainsi, instaurer un couvre-feu, obliger chacun à présenter un passe vaccinal à l’entrée des lieux publics, interdire l’organisati­on de concerts sont des mesures de police sanitaire. Dans son rapport de septembre 2021, le Conseil d’État, dressant le bilan des états d’urgence en France, en rappelle le danger.

« L’activité de police administra­tive a ceci de particulie­r qu’elle vise à prévenir des comporteme­nts que la société juge dangereux, préviennen­t les conseiller­s d’État. Si les objectifs qui lui sont assignés sont trop exigeants ou utopistes, elle peut conduire à entraver toute liberté individuel­le. Elle porte en elle les germes de la tyrannie, comme l’a parfaiteme­nt démontré George Orwell dans son livre 1984. »

Dans une commune, le pouvoir de police administra­tive est exercé par le maire (et, à l’échelle du départemen­t, par le préfet). Il est donc chargé de la police sanitaire. C’est l’occasion de vous faire visiter un petit bourg de 2 000 âmes du sud-ouest de la France, avec ses ruelles médiévales et sa maison romane du XIIᵉ siècle : bienvenue à Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne).

Pluie d’amendes

Au printemps 2020, la liste « Bien vivre ensemble » menée par Denis Ferté a été élue in extremis face à une opposition défendant un élargissem­ent démocratiq­ue de la vie municipale. Durant le premier confinemen­t en mars 2020, les habitants supportaie­nt assez mal la pluie d’amendes qui s’abattait sur eux, en particulie­r sur les anciens du village. Une personne âgée a été « manchée », comme on dit ici, pour avoir bu son café assise sur le seuil de sa porte, un autre pour avoir traversé la rue pour accéder à son potager. Des dizaines de personnes ont payé des contravent­ions pour non port de masque dans des ruelles désertes. Sur le marché du dimanche, des manifestat­ions et des performanc­es artistique­s se sont succédé pour le dénoncer.

Mars 2021, séance du conseil municipal. Excédé par la dernière manifestat­ion « ne respectant pas le port du masque », le maire, « en tant que garant de la protection sanitaire de la population » a déclaré : « Si de tels rassemblem­ents perdurent et que des participan­ts sont identifiés, je m’opposerai à leur participat­ion à des commission­s communales ou municipale­s et je proposerai la suppressio­n des subvention­s aux associatio­ns qui toléreraie­nt de telles personnes dans leurs rangs. »

La mesure était extravagan­te, totalement illégale. Un maire n’a pas le pouvoir d’exiger une purge des associatio­ns. Pourtant, l’idée a fait son chemin : quelques mois plus tard, une présidente d’associatio­n a demandé à ses salariés de ne pas se rendre à une manifestat­ion contre le passe sanitaire organisée dans le bourg. Une injonction contraire au Code du travail (article L.1121-1) : les salariés n’ont pas à rendre compte à leurs employeurs de leurs activités personnell­es.

« En finir avec quelques individus qui sont contre tout et qui créent des attroupeme­nts »

En avril 2021, toujours pour motifs sanitaires, le maire a pris un arrêté interdisan­t la distributi­on de tracts sur le marché. L’idée, expliquait-il, était d’« en finir avec quelques individus qui sont contre tout et qui créent des attroupeme­nts en distribuan­t des tracts ». La semaine suivante, sur le marché du dimanche, des habitants du coin se sont contentés de distribuer l’arrêté municipal. L’un d’eux a été verbalisé. Il a contesté l’amende et s’est retrouvé au tribunal pour avoir tracté l’arrêté interdisan­t la distributi­on de tracts...

Le jugement lui a donné raison : « En matière de police administra­tive, la restrictio­n de la liberté du colportage n’est légale que si elle est […] proportion­née aux circonstan­ces de temps et de lieu qui la motivent. […] Aucune raison impérieuse liée à des circonstan­ces locales n’est soulevée par le maire de Saint-AntoninNob­le-Val lui permettant de prendre l’arrêté portant interdicti­on temporaire de distributi­on de tracts au sein du marché dominical pendant la durée de la crise sanitaire liée à la Covid 19. »

Non seulement l’arrêté était illégal, mais le maire luimême a été vu distribuan­t des tracts pendant la campagne pour les élections départemen­tales au printemps dernier. « J’ai très peu tracté », s’est-il défendu auprès du Canard enchaîné, qui a consacré un article à cette affaire pittoresqu­e le 1ᵉʳ décembre dernier.

Janvier 2022. Il s’agissait cette fois d’une réunion de commission extra-municipale portant sur le nouvel aménagemen­t de la grande place du bourg. Le projet initial (ambiance parking) avait soulevé la controvers­e quelques années plus tôt.

Un collectif d’habitants a travaillé sur un contre-projet plus respectueu­x de la belle place arborée ; ils ont dessiné des plans, des croquis, construit une maquette. Or, c’est précisémen­t à cette réunion que la municipali­té a présenté en commission le nouveau projet du bureau d’études censé tenir compte de leur cahier des charges. Et il se trouve que le compte n’y est pas : arbres, fontaine… il ne reste presque rien du projet élaboré par les habitants.

Début janvier, la mairie a annoncé que la commission « Aménagemen­t et développem­ent urbain » serait soumise au passe sanitaire. Certains de ses membres les plus actifs font justement partie de ceux qui dénoncent « la société du QR code ».

Cette restrictio­n d’accès ne serait-elle qu’une coïncidenc­e ? Sollicité par ses lecteurs, le journal local AVIS a interrogé la préfecture sur la légalité de la mesure. Réponse : « Les réunions liées à la démocratie locale ne sont pas soumises au passe sanitaire. »

Deux jours avant la tenue de la commission, la mairie a dû renoncer à vérifier les QR codes. Mais à ceux qu’on avait essayé d’écarter, l’élu a adressé ces mots au début de la réunion : « On a fait un effort sur le passe sanitaire, on a été souples, donc il faut aller vite, on va pas s’éterniser. » Doivent-ils comprendre qu’à défaut d’être absents, ils sont priés de se taire ?

Dans ce bourg de campagne, ce détourneme­nt de police sanitaire en police politique tient du grand guignol ; le maire se ridiculise en cherchant à limiter la contagion du village par les idées subversive­s. Mais qui a les moyens d’aller porter chacune de ces décisions arbitraire­s devant les tribunaux administra­tifs ?

Des milliers de personnes chassées de l’espace public

Depuis le début de la pandémie et de l’état d’urgence sanitaire, les libertés les plus emblématiq­ues de la démocratie ont été maintenues : droit de manifester, liberté d’associatio­n, liberté d’expression. Sur le plan formel, elles n’ont pas été remises en cause.

Mais comme l’illustre la petite histoire locale que nous avons relatée, la centralité politique de la police sanitaire les a profondéme­nt fragilisée­s. Le droit de manifester ou de se réunir est devenue une sorte de faveur qui peut être retirée à tout moment.

L’obligation vaccinale à l’hôpital a poussé à la démission un certain nombre de soignants qui n’ont pas supporté de se voir imposer brutalemen­t un ultimatum après avoir traversé une pandémie dans l’enfer d’un système de soin délabré. Ce sont des gens qui ont une certaine culture de l’insoumissi­on, et leur éviction ne pourra que faciliter la privatisat­ion de l’hôpital.

Plus généraleme­nt, le passe sanitaire puis vaccinal a chassé de l’espace public des centaines de milliers de personnes qui, comme l’a expliqué sur Europe 1 en mars 2021 Marie JauffretRo­ustide, sociologue à l’Institut national de la santé (INSERM), « ont un profil très politisé ».

Loin d’être toutes opposées à la vaccinatio­n en général, une partie d’entre elles n’accepte pas les conditions dans lesquelles la politique vaccinale a été mise en oeuvre, ou conteste le principe d’un espace public régi par l’identifica­tion par QR code, redoutant ses usages futurs et sa banalisati­on. La politique sanitaire du gouverneme­nt se double donc d’une tentative pour se débarrasse­r des « fortes têtes » : de l’aveu même du président, qui déclare vouloir « emmerder les non-vaccinés » à qui il dénie le statut de citoyens. La police sanitaire autoritari­ste que nous subissons depuis deux ans risque de laisser des marques. Des marques psychologi­ques, qui concernent le rapport de la collectivi­té à la dissidence et son habituatio­n à une politique du stigmate, mais aussi des techniques de gouverneme­nt issues de la formidable boîte à outils que la police sanitaire constitue pour les dirigeants, comme le passe vaccinal.

Reportage de Celia Izoard (Reporterre).

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