Guerre froide entre les
MASTODONTES DES GAFAM EST- ELLE EN COURS ?
Absence de marché unique
Autre avantage dont bénéficient les multinationales du numérique : l’accès à un marché unique. Qu’il s’agisse des États-Unis ou de la Chine, les grands acteurs d’aujourd’hui sont nés avec un accès local immédiat à un marché intérieur vaste et uniformisé : la Chine représente 18 % de la population mondiale et les États-Unis 50 % de l'ensemble des investissements en capital-risque. Des conditions propices au développement de marchés nationaux du numérique. André Loesekrug-Pietri, président de la fondation Joint European Disruptive Initiative (JEDI), l’ARPA européenne, qui lance des grands défis technologiques et scientifiques pour que l’Europe soit leader dans les technologies de rupture, insiste: "Aujourd’hui ce ne sont pas uniquement les milliards qui manquent dans la tech, le vrai problème du secteur, c’est l’absence de marché unique. Les innovations de rupture sont particulièrement risquées et la capacité à créer de la valeur à un niveau continental aux États-Unis et en Chine limitent ce risque et encouragent les fortes valorisations des acteurs locaux."
Une observation partagée également par Éléna Poincet, cofondatrice et CEO de Tehtris, leader européen des solutions de cybersécurité et de cyberdéfense : "Il y a dix ans quand nous avons lancé notre solution contre le cybersabotage, nous étions les premiers mais le décollage s’est opéré paradoxalement à l’arrivée de la concurrence étrangère. Grâce à notre avance technologique et malgré la fragmentation des normes sur le marché européen, nous bâtissons un géant de la cyberdéfense."
Des concurrents hors pairs
La place prise sur le marché par les Gafam et BATX rend l’émergence de concurrents équivalents plus difficile, l’effet de taille des géants du numérique instaurant une distorsion de la concurrence. En novembre dernier, le Tribunal de l’UE a condamné Google à 2,42 milliards d’euros d’amende pour abus de position dominante. Le moteur de recherche ayant profité de sa popularité pour mettre en avant son propre comparateur de prix au détriment de concurrents, notamment le suédois PriceRunner.
Il faut distinguer l’objectif de politique industrielle qui a pour vocation de faire émerger des géants de la tech européens et la politique de la concurrence censée être plus favorable aux consommateurs. L’ampleur prise par les Gafam et les BATX pose la question de l’adaptation du droit aux économies de plateformes.
Un problème pris au sérieux par l’instance exécutive européenne avec le Digital Market Act (DMA) dont l’adoption des textes est prévue pour 2022. Il s’agit d’un cadre harmonisé de règles destinées aux géants du secteur du numérique pour permettre un marché plus juste. Afin de cibler au mieux les Gafam sans les viser explicitement, la Commission suggère de créer une catégorie juridique, les "contrôleurs d’accès" (gatekeepers), des acteurs en mesure de créer des barrières à l’entrée du marché. Un marché que l’Europe va encore devoir uniformiser pour permettre de voir émerger ses propres "gatekeepers" de demain.