Il est grand temps de casser les codes du vestiaire « masculin »
Si les femmes peuvent aujourd'hui revêtir aisément des habits jugés masculins, l'inverse est encore très mal accepté.
Dans une période où le genre est questionné, où les frontières s'estompent, n'est-ce pas le timing idéal pour casser les codes de la masculinité? Engoncé dans son costume deux pièces ou décontracté dans ses tenues de sport, l'homme ne pourrait-il pas bousculer sa garde-robe traditionnelle? Les créations dans les défilés multiplient les propositions, mais cela ne se vérifie pas encore vraiment dans la rue.
Les a priori sociétaux ont la vie dure.
Si dans le vêtement occidental aujourd'hui le port du pantalon est la norme absolue, historiquement, il n'en est rien. Dans l'Antiquité, les hommes portaient la toge. Le vêtement ne s'est véritablement fermé qu'au XVe siècle, devenant de plus en plus proche du pantalon d'aujourd'hui, perdant au fil du temps son côté bouffant et ses fioritures. Dans le monde, de nombreuses populations portent encore très naturellement la «robe» au masculin, que ce soit le boubou, la djellaba on encore la «jupe» sous forme de kilt, de paréo ou de hakama.
À l'inverse, en Occident, le port du pantalon a été pour les femmes un combat féministe. En France les autorisations étaient nécessaires (sauf en compagnie d'un cheval ou d'un vélo) pour porter le pantalon. Et si l'usage a fini par l'emporter à partir des années 1960, ce n'est qu'en 2013 que la loi a été officiellement modifiée.
Dans les mentalités, cet acquis, d'une certaine façon, valorise la femme: elle prend symboliquement le pouvoir avec des attributs masculins. A contrario, un homme portant la jupe peut être perçu comme s'habillant de façon moins virile, voire se travestissant. Demeure une sorte de hiérarchie archétypale des sexes inconsciente, mais encore extrêmement vivace. L'évolution actuelle où la question du genre n'est plus vue de la même façon par les jeunes générations aura peut-être une influence dans l'évolution de la mode.
Question de genre
Le vêtement est le plus souvent genré et quand il est unisexe, comme le jean ou le tee-shirt, il est toujours du côté du «masculin», comme l'observe le consultant de mode Donald Potard. On peut citer comme exemple la mode très genrée du début des années 1960 (robes en vichy, balcons…), puis à partir de Mai 68 l'adoption du jean et du tee-shirt par les filles.
En Grande-Bretagne, entre les deux guerres, le mouvement Men's Dress Reform Party tenta, avec pour point de départ la notion de bien-être, de faire évoluer le vêtement masculin notamment en portant des jupes. Un des membres, le psychanalyste John Carl Flügel (auteur de The Psychology of the Clothes en 1930) voulait que le mouvement réagisse en réponse à son constat sur l'historique renonciation masculine: «Les hommes renoncèrent à leur droit d'employer les diverses formes de parure brillantes, gaies et raffinées, s'en dessaisissant entièrement au profit des femmes et faisant par la du métier de tailleur un des artisanats les plus austères et neutres qui soient.» Quelques clichés en noir et blanc témoignent des tentatives du port de la jupe par les membres du groupe dans les années 1930.
Jacques Esterel, dont le nom est oublié aujourd'hui, a été souvent avant-gardiste. Après une première approche unisexe avec sa collection «Négligé Snob» en 1967, il proposa une véritable mode unisexe en 1970 avec notamment des robes sumériennes qui ont été exposées au MAD, avec un modèle porté à la fois par des hommes et des femmes.
Rudi Gernreich, à qui on doit le monokini, opta dans les années 1970 pour l'unisexe et disait de la mode: «Je vois les conditions actuelles ainsi: anonymat, universalité, unisexe, nudité et au-dessus de tout, réalité… Je veux dire par là l'utilisation de choses vraies, comme les blue jeans, les polos, les tee-shirts; la mode statutaire n'existe plus.» Des tentatives réfléchies et intéressantes, mais elles sont restées des épiphénomènes sans doute trop tôt en regard de l'évolution des mentalités.