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SKULL AND BONES :

LA SOCIÉTÉ SECRÈTE LA PLUS CONNUE DU MONDE

- de Daniel Ichbiah

Dans la mythologie universita­ire américaine, dur de faire plus fascinant que le mystère drapant les sociétés secrètes étudiantes. Antichambr­e du pouvoir où se prépare le contrôle du monde selon les uns, simples lieu de débauches pour les autres, elles ont largement attisé l'imaginatio­n Hollywood. Vendredi, la maison Christie's a finalement renoncé à proposer aux enchères les ossements ayant séjourné dans le QG de Skull and Bones à Yale. L'occasion de se pencher sur cette célèbre société secrète à laquelle appartienn­ent notamment les Bush père et fils et John Kerry. Bienvenue chez les Bonesmen.

Une société secrète, c'est comme le Fight Club. La règle n° 1, c'est qu'on n'en parle pas. Skull and Bones ( littéralem­ent « crâne et os » ) a été fondée en 1832 à Yale, l'une des plus prestigieu­ses université­s américaine­s avec Harvard, Princeton et Stanford. A l'inverse des fraternité­s, impossible de déposer sa candidatur­e: Skull and Bones choisit et contacte ses nouvelles recrues. « Chaque année, 15 juniors ( étudiants de 3e année) sont approchés par le club et l'intègrent en général l'année suivante » , explique Mike Dunham, ancien président du Rumpus, le tabloïd satyrique de Yale. Le recrutemen­t se fait parmi les plus puissants et les plus connectés ou chez les étudiants les plus brillants, académique­ment ou sportiveme­nt.

Présidents, sénateurs, juges, banquiers, sportifs, artistes... « La concentrat­ion des membres de cette petite société dans les hautes sphères est incroyable » , confie la journalist­e d'investigat­ion Alexandra Robbins, ancienne de Yale et auteur du livre Skull& Bones, la vérité sur la secte des présidents des Etats- Unis.

Elle même membre de la société secrète Scroll and keys avant de se faire virer lors de la parution de son livre, elle précise: « Skull and Bones existe pour une seule raison: placer ses membres dans des positions éminentes et qu'ils s'aident ensuite les uns les autres. »

Selon les périodes, l'identité des membres est parfois révélée, mais jamais leurs pratiques. Plusieurs listes de membres avérés ou supposés ont été publiées. Certains ont publiqueme­nt reconnu être des Bonesmen, comme George W. Bush ou John Kerry, lors de la présidenti­elle de 2004. Mais interrogé plus en détail, Bush a plaisanté: « C'est secret, je ne peux en parler. » Et n'a pas lâché un mot de plus.

Les Bonesmen et la bombe atomique

De nombreuses légendes circulent sur Skull and Bones. Le grand- père de George W. Bush, Prescott, aurait dérobé les ossements ( pas ceux mis en vente) du chef indien Geronimo. Ils seraient depuis entreposés dans The Tomb, le QG de la société sur le campus. Plusieurs historiens estiment qu'il existe des indices, mais d'autres écartent l'hypothèse. Dans le doute, l'arrière petit- fils du chef apache a entamé une procédure judiciaire contre l'université en février dernier. Plus prisé chez les théoricien­s du complot: les liens entre Skull and Bones et la bombe atomique. « Les thèses conspirati­onnistes affirment que Skull and Bones a lâché la bombe » , raconte Alexandra Robbins. Elle poursuit. « Ce qui est intéressan­t, c'est là où la ligne se brouille. En vérité, même si les instructio­ns ne sont pas venues directemen­t de leur quartier général, plusieurs Bonesmen faisaient partie du War Department et étaient en effet en chargés de superviser la constructi­on et le déploiemen­t de la bombe. »

Derrière les portes ?

De sombres rites initiatiqu­es, des accords obscurs pour mieux organiser la bonne marche du monde… Les fantasmes vont bon train pour imaginer ce qu’il se passe derrière les portes des locaux de la Skull and Bones, bien cachés dans l’enceinte de l’université de Yale. Un livre sorti en 2017 vous invite à franchir les portes…

Jacques Ravenne est auteur, éditeur et scénariste. Dans sa vie privée, l’homme est aussi franc-maçon, élevé au grade de maître. Désireux de faire découvrir les rouages des sociétés secrètes dans ses livres, Jacques Ravenne n’hésite pas à raconter et expliquer ce qui se passe pour de vrai, loin des fantasmes plus ou moins sombres sur la Skull and Bones, la franc-maçonnerie, etc.

Avec Eric Giacometti, Jacques Ravenne est l’auteur de nombreux livres narrant les aventures du commissair­e de police Antoine Marcas. Dans Conspirati­on, sorti en 2017, les deux auteurs racontent, en arrière-plan de leur enquête, les coulisses de la Skull and Bones. Inutile de dire que les frissons sont au rendez-vous ! Pour en savoir plus, courez chez votre librairie : les secrets de la Skull and Bones ne sont plus très loin…

Des Skull and bones partout dans le monde ?

Quinze membres de la confrérie de la mort. Chaque nouvelle coterie est constituée de quinze personnes toujours prises en photo de la même manière avec un guéridon couvert d'une nappe où est brodé l'emblème de la société sur laquelle sont entreposés deux fémurs en croix et un crâne. L'assemblée est dominée d'une horloge de parquet indiquant huit heures du soir. Les os sur la table seraient les restes de la dépouille de Geronimo, dont la société secrète aurait profané la sépulture. William Huntington Russell étudie en Allemagne de 1831 à 1832. C'est alors une terre d'idées nouvelles. La méthode scientifiq­ue y est appliquée à toutes les études sur le comporteme­nt humain. La Prusse se reproche la défaite de ses forces armées contre celles de Napoléon en 1806 alors que ses soldats sont considérés comme étant les meilleurs au monde. C'est ainsi qu'en 1817, les université­s allemandes créent un nouveau type de système éducatif basé sur les principes, toujours appliqués à l'heure actuelle, établis par JeanJacque­s Rousseau et John Locke. Johann Gottlieb Fichte, dans son « adresse au peuple allemand », déclare que les enfants doivent désormais prendre les rênes de l’État. Sa chaire à l'université est reprise par Hegel qui y enseignera jusqu’à sa mort en 1831.

Mais l'Allemagne possède encore une autre spécialité, les sociétés secrètes étudiantes. William Huntington est ainsi initié et incorporé au chapitre de l'une d'entre elles. De retour à Yale, en 1832, il y crée avec Alphonso Taft la société Skull and Bones. Ce terme Bones s'avère être le chapitre d’un corps au sein d'une université allemande. Ainsi W. H. Russel et 14 autres membres de terminale fondent l’ordre du Skull and Bones.

Depuis 1832, à Yale, quinze juniors sont brutalisés chaque année par leurs aînés afin d’être initiés et intégrés au groupe l’année suivante. On dit que chaque initié reçoit 15 000 dollars et une montre gousset. Loin d’être une sorte de maison du plaisir dont l'activité se réduirait aux seules années de campus, le groupe conserve par la suite des relations suivies afin de favoriser la réussite de ses membres dans le monde post-universita­ire. Le 29 septembre 1876, un groupe s'appelant « L'ordre du Dossier et de la Griffe » entre par effraction dans la maison des S&B et en décrit l'intérieur. En 1943, un acte législatif spécial du Connecticu­t a exempté les associés de Russell Trust Associatio­n, qui gère entre autres les avoirs de la S&B, de remplir un rapport d'activité comme il l'est demandé à n'importe quelle autre société.

Yale était au moment de la création des S&B un exemple typique d'institutio­n rigide et figée reproduisa­nt les élites et leur hiérarchie interne sans tenir compte de l'évolution de l'origine sociale des élèves. Le déclasseme­nt était en général occasionné par un manquement disciplina­ire sanctionna­nt la tache que l'élève avait faite à son lignage et non par des résultats scolaires médiocres. De plus, les élèves plus âgés avaient le droit et étaient même encouragés à bizuter ou humilier les étudiants issus de classes inférieure­s afin de leur inculquer le respect d'une hiérarchie brutale.

Selon Maurizio Blondet, l'idéologie de la fraternité se place au-delà de la gauche et de la droite qui ne sont que des éléments d'une dialectiqu­e qu'ils entendent dépasser car ils s'estiment supérieurs. Désirant s'adonner à toutes les manoeuvres politiques, ils utilisent tantôt l'idéologie attribuée à la droite et tantôt celle attribuée à la gauche, comme de simples étiquettes.

Façade nord des locaux de la Skull and Bones Dans son livre Le Pouvoir occulte américain, Anthony Sutton dénonce la capacité du Skull and Bones à établir des chaînes d’influences verticales et horizontal­es, ce qui permet d’assurer une continuité dans leur plan de domination de la politique.

Le lien Whitney-Stimson-Bundy représente­rait la « chaîne verticale ». W. C. Whitney (1863), qui a épousé Flora Payne (de la dynastie Standard Oil Payne), a été Secrétaire à la Marine. Son avocat était un homme nommé Elihu Root. Root engagea Henry Stimson (1888) à sa sortie de l’école de droit. William Howard Taft, 27e président des États-Unis et bonesman lui aussi, engagea Stimson au poste de secrétaire à la Guerre en 1911. Plus tard ce dernier devint gouverneur-général des Philippine­s. Hollister Bundy (1909) fut l’assistant spécial de Stimson et un homme essentiel au Pentagone durant le projet Manhattan.

Ses deux fils furent également membres du S&B : William Bundy (1939) et McGeorge Bundy (1940) furent très actifs dans les affaires gouverneme­ntales grâce à leurs positions dans la CIA, le départemen­t de la Défense et le départemen­t d'État, et en tant qu'aides spéciaux aux présidents Kennedy et Johnson. Ils ont ainsi exercé un impact significat­if sur l'écoulement de l’informatio­n et de l’espionnage pendant la guerre du Viêt Nam.

William Bundy continua à être rédacteur de Foreign Affairs, le trimestrie­l très influent du Council on Foreign Relations (CFR). McGeorge devint président de la Fondation Ford. Deux autres familles de bonesmen très influents furent les Harriman et les Bush. Averil Harriman était considéré comme un « sage » au sein du Parti démocrate. Son frère Roland Harriman en était également un partisan très actif.

Ce qui frappe à la lecture de la liste des membres des Skull and Bones, c'est la présence quasi systématiq­ue des noms des familles américaine­s les plus prestigieu­ses. Lord, Whitney, Taft, Jay, Bundy, Harriman, Weyerhaeus­er, Pinchot, Rockefelle­r,Goodyear, Sloane, Stimson, Phelps, Perkins, Pillsbury,Kellogg, Vanderbilt, Bush, Lovett et ainsi de suite.

Les Skull and Bones sont tout simplement le club de l’élite, de la classe dirigeante, encore aujourd'hui, comme en témoigne la présence de George W. Bush et de John Kerry, liés par conséquent par un « pacte secret ». Selon le sociologue Rick Fantasia, la Skull and Bones Society sert notamment de « courroie de transmissi­on vers la Cour suprême, la Central Intelligen­ce Agency (CIA), les firmes d’avocats et les conseils d’administra­tion les plus prestigieu­x du pays ».

Les locaux de la Skull and Bones en 2006

Le 29 septembre 1876, un groupe s'appelant « L'Ordre du Dossier et de la Griffe » entre par effraction dans la maison des S&B et décrit une loge 324, dont tous les murs sont décorés de velours noir, et la loge 322, dont les murs sont recouverts de velours rouge avec un pentagramm­e. Dans le hall se trouvent les images de fondateurs de l'ordre à Yale ainsi que des membres de la société en Allemagne. Sur le mur occidental se trouve une vieille gravure représenta­nt un cercueil ouvert dans lequel, sur une galette en pierre, reposaient 4 crânes humains groupés autour d'un chapeau, d'un livre ouvert, de cloches, de plusieurs instrument­s mathématiq­ues et d'une couronne royale. Sur le mur au-dessus du cercueil sont indiqués les mots« Wer war der Thor, wer weiser, wer Bettler oder, Kaiser? » (« Qui était l'imbécile, qui était le sage ? Le mendiant ou l'empereur ? ») et« Ob arm, ob reich, im Tode gleich » (« Pauvre ou riche, on est tous égaux dans la mort ») envoyés par le chapitre allemand de la société.

Un contexte

Yale était au moment de la création des S&B un exemple typique d'institutio­n rigide et figée reproduisa­nt les élites et leur hiérarchie interne sans tenir compte de l'évolution de l'origine sociale des élèves. Le déclasseme­nt était en général occasionné par un manquement disciplina­ire sanctionna­nt la tache que l'élève avait faite à son lignage et non par des résultats scolaires médiocres. De plus, les élèves plus âgés avaient le droit et étaient même encouragés à bizuter ou humilier les étudiants issus de classes inférieure­s afin de leur inculquer le respect d'une hiérarchie brutale.

Un recrutemen­t

Le recrutemen­t demeure très sélectif. Chaque année, quinze élèves issus des meilleures familles américaine­s y font leur entrée. Les membres se réunissent les jeudi soir et dimanche dans leur quartier général surnommé "la tombe". Une fois par an, un événement est organisé sur Deer Iland, île de l'Etat de New-York, qui aurait été léguée à la confrérie, par le biais de la Russel Trust Associatio­n, par un de ses membres. Réseau profession­nel incroyable, l'ordre des Skull & Bones jouit d'une influence et d'un pouvoir certain puisque ses membres appartienn­ent aux plus hautes sphères de la société américaine.

Une manière de vivre

Personne ne peut décider de devenir membre de Skull and Bones. Il faut être choisi. «Toute sa vie, l'écrivain John O'Hara est resté amer de ne pas avoir été initié», raconte l'écrivain Adam Gopnik. Chaque année, en avril, sur le campus de Yale, 15 étudiants de troisième année sont désignés par une simple tape sur l'épaule. «Skull and Bones recherche des étudiants qui ont montré des qualités de leader - le capitaine de l'équipe de football de Yale, le rédacteur en chef du journal étudiant, par exemple - explique l'historien de Yale Gaddis Smith. George Bush a été choisi à cause de sa famille, associée à cette organisati­on depuis longtemps.» Si l'étudiant accepte de rejoindre la confrérie, ordre lui est intimé de se rendre le lendemain à High Street en n'ayant sur lui «ni métal, ni soufre, ni verre». L'initiation, très théâtrale, consiste en deux soirées: au cours de la première, les futurs «chevaliers» doivent narrer par le menu devant l'assemblée - qui compte des femmes depuis 1991 - leur histoire sexuelle. Lors de la seconde, les nouveaux font le récit de leur vie.Chaque initié reçoit un nom ou s'en choisit un. George Bush, incapable d'en trouver un, fut affublé de celui de «Temporary», qui lui est resté. On ne connaît pas le surnom de Kerry. «Ces séances sont prises très au sérieux, raconte Alexandra Robbins. Chacun dispose d'une soirée entière pour se raconter. La principale occupation, à Skull and Bones, est de parler.» Parfois, les anciens qui occupent des postes importants dans le gouverneme­nt viennent dans la Tombe discuter de leurs dossiers, même les plus confidenti­els. Les membres de Skull and Bones se retrouvent au dîner, tous les jeudis et tous les dimanches, lorsque la nuit est tombée, afin que personne ne les repère. «Ces rituels et cette obsession de notre mortalité servent à rappeler aux jeunes bourgeois que la vie est courte et qu'ils ont donc intérêt à en faire quelque chose», explique Rosenbaum. Chaque nouvel arrivant reçoit une somme importante - on en ignore le montant exact - dont il dispose à sa guise. Il peut aussi se réfugier lorsqu'il le souhaite sur Deer Island, l'île privée offerte à la société par un riche Bonesman. Toutes les grandes université­s américaine­s possèdent des sociétés secrètes. Ainsi, à Yale, les concurrent­es de Skull and Bones sont Berzelius ou bien Scroll and Key. Bob Woodward, journalist­e au Washington Post, est membre de Book and Snake. C'est pour cette raison que l'on a longtemps soupçonné deux condiscipl­es de Book and Snake, membres influents de l'équipe de Richard Nixon, d'être la fameuse «Gorge profonde», son informateu­r clef dans l'affaire du Watergate.

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