Masculin

Des lettres qui

EN DISENT LONG ET ÉCLAIRENT UNE ÉPOQUE

-

Je ne me le fis pas dire deux fois. Simone et Nina vivaient dans un vieux mas, au fond d'une rue étroite. J'étais venue avec mon mari, Gérard Wilgowicz. En nous offrant l'hospitalit­é, elles nous expliquère­nt que nous allions dormir dans le lit de Romain Gary. Comment cela était-il possible? Le lit de Gary et les meubles de sa chambre à coucher, à Uzès ?

Après avoir achevé Gros-Câlin, Pseudo, et La Vie devant soi, Gary avait décidé de quitter son petit appartemen­t de la rue Moillebeau, à Genève, et l'avait prêté à son ami Sigurd, qui devait travailler pendant un an au Bureau de l'Unicef. Gary lui avait également abandonné ses meubles. Sigurd les avait donc envoyés à Uzès, quand il avait pris sa retraite.

Alors que nous devisions dans le jardin, Nina apporta quelques très anciennes photograph­ies. Au verso de l'une d'entre elles, Sigurd avait écrit au crayon: «Varsovie, été 1933. Romain, Monsieur Kacew et moi». Tout ce que Gary avait écrit au sujet de son père n'était que fiction romanesque. Il n'était pas le fils d'Ivan Mosjoukine mais celui d'un négociant en pelleterie, nommé Arié Leib Kacew. Il ne l'avait pas perdu de vue, et lui rendait même visite assez souvent pendant les congés scolaires, y compris en compagnie de Sigurd Norberg. Père et fils se ressemblai­ent d'ailleurs beaucoup. Gary se maquillait parfois pour effacer les traits de Kacew et leur substituer ceux d'Ivan Mosjoukine dans Le Diable blanc. Précisons que Mosjoukine était un homme de petite taille, aux yeux bleus, aux cheveux blonds. Le cinéma accomplit bien des miracles.

Alors qu'en octobre dernier, je montais la rue SaintBenoî­t vers le boulevard Saint Germain, une belle jeune femme m'aborda devant l'immeuble où avait vécu Marguerite Duras, en me disant qu'elle m'avait reconnue, et me révéla aussitôt qu'elle était Charlotte Norberg, la petite-fille de Sigurd Norberg. Quel bonheur de la connaître! Ce n'était pas tout.

Elle avait justement une chose importante à me dire: en faisant le ménage dans la maison de Sigurd à Uzès, elle avait découvert au fond de l'armoire de la fameuse chambre où nous avions dormi voilà si longtemps, une chemise contenant vingt-quatre lettres de Romain Gary à Sigurd, et une de Mina sa mère, écrite en russe.

Charlotte me montra les lettres qu'elle avait pris la peine de transcrire et m'en donna la copie. Il s'avéra que la lettre de Mina était rédigée en russe ancien, dans une calligraph­ie datant d'avant la Révolution d'Octobre. Elle donna pas mal de fil à retordre à Françoise Navailh, qui m'avait appris à relativise­r les sources prétendume­nt russes de l'oeuvre de Gary et, plus tard, à préparer et traduire une montagne d'archives et de livres pour ma biographie de Vassili Grossman.

Charlotte m'exposa les liens entre Gary, son grandpère et le studio de la rue Moillebeau. Elle me promit de demander à Odile Le Gall, que Gary avait séduite, puis présentée à son grand-père, de bien vouloir me parler. Cette dernière accepta.

L'analyse du contenu de ces lettres, si émouvantes, devrait un jour être ajoutées à ma biographie de Romain Gary. Avec ces lettres du jeune Romain Kacew, je suis en quelque sorte en train de l'achever.

 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France