RIEN N'EST censuré. Tout est dit
L'amitié, la misère, la solitude
Commençons par les lettres qui toutes, sauf une, ont été écrites par Gary avant la Seconde Guerre mondiale. Ce sont les cris et les plaintes d'un jeune homme dans une extrême pauvreté et dans la plus grande détresse psychique.
La première lettre est datée du 1er juin 1936
Il s'agit d'un courrier de Mina, la mère de Romain, adressé à Sigurd Norberg à Stockholm.
La mère de ce dernier est malade et hospitalisée. Mina propose aux membres de la famille Norberg un séjour à la Pension Mermonts, pour lequel elle leur consent un prix d'ami: le prix coûtant, soit 25 francs par jour, chambre et pension complète, plus 10% de service. Nous apprenons aussi par la présente que Romain prépare ses examens dans un hôtel à cafards situé 4, rue Rollin, à deux pas de la place de la Contrescarpe. Le numéro de téléphone de L'Hôtel de l'Europe est: Odéon 10-11. On peut en trouver la photo signée Eugène Atget, au Musée Carnavalet. Six mois plus tard, le 17 janvier 1937 Romain répond tardivement à une lettre de son «Cher vieux» Sigurd.
Il a réussi un oral à la Faculté de Droit. Mention bien. «Je ne l'ai pas volé.» Nous verrons que ce doit être un partiel.
Glicksmann, leur condisciple au lycée Masséna, est parti aux États-Unis. Romain voit approcher avec résignation son service militaire de deux ans: «C'est comme ça qu'on nous vole notre jeunesse.» Suivent des considérations de potache sur la situation en Europe, accompagnées d'un code, impossible à déchiffrer. Il achève sa lettre par d'autres plaisanteries, remplies d'amertume, sur la misère dans laquelle il vit: «Je me consacre à un sujet extrêmement passionnant: comment installer un appartement de neuf pièces.»
Nice, le 29 août 1937
Sigurd devient «Ma vieille Sigurane».
Romain, collé à tous ses examens, devra se représenter le 15 octobre. Il projette de passer dix jours à Stockholm entre le 25 décembre et le 10 janvier. Sigurd pourrait-il l'héberger, ou lui trouver «quelque chose de bon marché»? Pourquoi ce voyage? Parce qu'il vient de rencontrer Christel, une jeune et belle Suédoise, journaliste au Stockholm Hödlingen. Il a passé avec elle «des journées et des nuits inoubliables... [Il] a cette fille dans la peau.»
Si Sigurd venait à Paris, il pourrait partager, à l'hôtel de l'Europe, «son lit et ses punaises».