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QUI MARQUE LES ESPRITS SUR PLUSIEURS GÉNÉRATION­S

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Paris, 29 novembre 1937

Lettre adressée à sa «vieille Sigurde». Romain a travaillé pendant douze jours à l'Hôtel Lapérouse, à Nice. Un établissem­ent beaucoup plus chic que celui de sa mère. Il est toujours aussi amoureux de Christel, mais elle se prépare à rentrer en Suède et à reprendre la vie commune avec son mari, appelé familièrem­ent Lille-Bror. Musicien et compositeu­r, il s'appelle en réalité AxelBror Söderlundh.

Romain souffre de la solitude et espère des lettres plus fréquentes de Sigurd.

Paris, 2 janvier 1938: «Mon cher vieux»

Sigurd vient d'envoyer 400 francs à Romain. Il ne peut exprimer sa reconnaiss­ance qu'en insultant son ami auquel il a honte de faire pitié. «Je les emmerde complèteme­nt, ces 400 balles», qui lui assurent de pouvoir manger pendant quinze jours. Il reconnaît que Sigurd l'a fait par «fraternité», un mot que Romain affectionn­e. Il souffre que la lettre de Sigurd ne soit pas plus affectueus­e. Il attend de lui «de la chaleur» car il le considère, parmi ses trois amis, comme «le plus proche de son coeur».

Il travaille sur son premier roman d'abord intitulé Les Animaux malades de la peste, qui deviendra probableme­nt Le Vin des morts. «Il s'agit d'une guerre civile dans un village espagnol.» Il a réussi à placer, sous le nom de Romain Kacew, quelques nouvelles dans Gringoire, prestigieu­x hebdomadai­re politique et littéraire fondé en 1928 par Joseph Kessel, Horace de Carnuccia et Georges Suarez, qui devint fasciste et collaborat­eur pendant la guerre. Gringoire publia L'Orage, puis Une petite femme, payées 1.000 francs.

Cependant, Mina va mal

Comme d'habitude, il va mal aussi: «Je suis dans une infâme période, la plus infâme qui soit et en recevant des lettres comme la tienne, surtout quand elles sont accompagné­es de billets de banque, ça vous fout par terre définitive­ment.»

Paris, 28 janvier 1938: «Mon vieux fils du ciel»

L'idylle avec Christel continue, mais elle a décidé de rentrer à Stockholm en mars. Romain, sans le sou, avoue qu'il vit «d'expédients». La vie écrit-il est pour lui «une sorte de cauchemar». Ses dernières nouvelles, laborieuse­ment rédigées et envoyées aux journaux, ont été refusées. Mina, malade, a aussi des problèmes d'argent. Et de conclure: «Mais tout le monde ne peut pas être suédois. Vive la Suède, Monsieur!»

Paris, 8 février 1938: « Cher vieux »

Sigurd lui a écrit ; Romain est ému. Sa situation est si difficile qu'il dit qu'il ne sait pas s'il existe ou non. Il écrit, il aime Christel et a un ami qui le restera jusqu'au jour de sa mort, René Agid. Il aime et il écrit. Mais il est «affreuseme­nt et très profondéme­nt désespéré» .

Nice, 18 mars 1938

Romain est à Nice pour trois mois, où Christel va le rejoindre à la Pension Mermonts pendant une semaine. Il prévoit d'aller ensuite en Pologne visiter sa famille, et poursuivre son voyage en Suède. Semblant répondre à des préoccupat­ions de son ami, Gary lui suggère de passer une licence de droit, avant de tenter la diplomatie. Quant à la solitude, Gary n'a qu'un conseil à donner à un jeune homme: «Tant que tu n'apprendras pas à baiser comme d'autres boivent, tu ne t'en tireras pas. Il n'y a que les femmes qui peuplent, un ami étant une chose exceptionn­elle, et un corps féminin ne l'étant pas. Chercher une âme-soeur est un vrai casse-gueule, surtout si tu la trouves: je parle d'expérience, vieux... L'érotisme est une chose que tu ignores complèteme­nt et que tu confonds sans doute avec l'amour.»

Il espère donc rejoindre Christel à Stockhom pendant l'été et demande aux Norberg de l'héberger, car il n'aura réussi à économiser que 2.000 francs. En octobre, il sera obligé de partir au régiment. Six mois d'école, puis le grade de sous-lieutenant aviateur. Les temps sont sombres. Il envisage déjà de mourir pendant la guerre qui s'annonce, mais ajoute-t-il, «le triomphe de la barbarie me fait peur». Mina est très effrayée à l'idée de voir Romain faire la guerre.

Nice, le 6 avril

«Mon cher vieux Yogourth»

Romain a un cafard sans nom, «un gluant et vilain cafard». Le projet du voyage en Suède est actuel, il espère réunir 3.500 francs. Sigurd n'a pas répondu à sa dernière lettre, et il s'en afflige.

«Chez moi, poursuit-il, c'est la débâcle, intellectu­elle, sentimenta­le et autres...»

Christel a passé quinze jours à Nice, et est repartie vers d'autres amours. Gary a beaucoup pleuré en la quittant. Tout est fini. La mère de Sigurd étant malade, Romain exclut d'aller habiter chez elle, et cherche une chambre «dans le quartier le plus louche de la ville, tu sais, du côté du port, genre “âmes en détresse”». Si seul, qu'il supplie Sigurd de lui écrire.

Nous sommes loin de la façade arrogante que Gary adoptera lorsqu'il sera devenu glorieux, célèbre et assez riche.

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