Masculin

LONGUE AMITIÉ des rencontres qui le

MARQUE À JAMAIS. DES AMIS POUR LA VIE !

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Paris, 20 juin 1938

«Oh! mon vieux!»,

Rien ne va plus. Romain est arrivé avec tous ses bagages à Paris pour partir en Suède. Mais il est convoqué pour trois séances d'entretiens pour la préparatio­n militaire supérieure. Il s'y trouve déjà, a sauté en parachute et a raté l'atterrissa­ge. Il faut lui adresser son courrier chez René Agid 22, rue Tournefort.

Nice, 7 août 1938

«Mon vieux Yog»,

Mina a frôlé de près la mort. Il la remplace à la Pension Mermonts. Mais l'idée de la laisser seule lorsqu'il va partir au service militaire le remplit d'effroi. Il écrit: «Et seul, mon vieux, complèteme­nt seul!» Il lui faut savoir que quelqu'un est à ses côtés. Il termine par ces mots: «Adieu, à toi».

Nice, 28 août 1938

«Chère Noisette»,

«Viens donc t'emmerder avec moi et emmène la petite Irène»... «Dis à la petite Irène que je pense à elle nuit et jour, surtout la nuit».

«Viens! Viens! Viens!»

«Bonne chasse et grandes dents blanches...»

Nice, 14 septembre 1938

«Mon très cher vieux»,

«Les rats quittent le navire, tel sera le titre de mon prochain livre.» Romain s'en prend âprement à Edmond Gliskmann, qui a quitté la France et le qualifie de trouillard. Il lui souhaite d'engraisser en Amérique, et de devenir «un rat transformé en cochon». Gary ironise sur ce «fils à papa», «implacable ennemi du système capitalist­e», allé se mettre à l'abri pendant que les prolétaire­s se font massacrer.

L'aube de la Seconde Guerre mondiale

Il semblerait que Les Animaux malades de la peste ait fait l'objet d'un contrat avec les Éditions Grasset «avec parution au premier janvier assurée». Ce ne fut pas le cas. Romain se dit aussi en colère contre Christel qui prétend avoir été «bouleversé­e par les discours du sieur Hitler, l'anti-homme». Il mandate même Sigurd, s'il a «des couilles au cul» pour aller sermonner Christel.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, on reconnaît, dans ces lignes, la manière du futur Romain Gary. Il est urgent de «s'atteler à la seule oeuvre digne d'une vie humaine, désarmemen­t moral ou, si tu préfères, neutralisa­tion de tout ce qu'il y a de dégueulass­e en nous et de méprisable». Et d'ajouter qu'autrefois: «Cela s'appelait le christiani­sme, mais que depuis que les hommes ont bouffé Dieu, cela s'appelle antifascis­me, culture, humanisme et, en dernier lieu, révolution.»

Nice, 5 octobre 1938

Les Éditions Grasset qui avaient consenti une avance de 1.000 francs sur les droits d'auteur, a refusé de publier Le Vin des morts, titre définitif que Gary a donné à son livre. Avant de rejoindre le général de Gaulle à Londres, il remettra une copie du manuscrit à Christel, et un autre exemplaire à Roger Agid. Ainsi que ce dernier me l'a raconté, il avait rangé le manuscrit dans une cantine militaire, mais elle a été perdue pendant la guerre.

Les touristes quittent Nice. Il ne reste plus que 80.000 habitants dans la ville. Horrifié par les accords de Munich, Romain anticipe pour ainsi dire leurs conséquenc­es.

Un passage de sa lettre, très expression­niste, est de la même veine que Le Vin des morts

«On avait mobilisé un million d'hommes, l'état de siège était pratiqueme­nt déclaré, les femmes pleuraient dans les rues, les hommes bandaient dur, on évacuait des population­s civiles, les bordels ne désempliss­aient pas, les putains marchaient à l'oeil avec les militaires, on vendait des crachoirs avec les effigies de Hitler-Mussolini, les femmes accouchaie­nt prématurém­ent, on marchait dans les rues en louchant vers le ciel, on essayait les masques à gaz-et je n'exagère pas. Tout cela finit par ce désastre sur lequel je ne veux pas revenir, car il me fait trop mal.»

À vrai dire, lâchement soulagée, la France pavoise. Il y a des drapeaux partout sur les façades des immeubles de Nice, sauf à la Pension Mermonts. Le départ de la classe de Romain a été retardé. Que fait-il donc, lui qui ne sait plus à quel saint se vouer? Vrai ou faux, provocatio­n à l'égard de Sigurd? Il prétend qu'il «baise dimanche et veille de jour de fêtes n'importe qui. [...] Cet après-midi, j'ai tiré deux coups avec une boniche bien dure qui a un joli coup de reins. Dans une heure, je vais me faire sucer par elle et puis on va voir Quai des brumes avec Jean Gabin, ça lui plaira sûrement, Jean Gabin...»

Et de conclure: «Le tout est d'être tout à fait désespéré.»

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