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LES SECRETS de la base aérienne,

ET QUELQUES DÉTAILS HISTORIQUE­S INTÉRESSAN­TS...

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Base aérienne d'Avord

E.O.R Kacew. 3e Brigade.

Gary fait son stage d'élève officier de réserve. Il vole deux heures par jour, assiste à des cours en amphithéât­re pendant six heures, subit des corvées, puis des vols de nuit. Il apprend le morse, la navigation, saute en parachute, effectue des missions dont il se tire sans trop savoir comment. Il n'est pas très doué pour le compas. Tout cela prendra fin, espère-t-il, le 20 mars. Il ignore encore qu'il passera six années de sa vie à l'armée. Il rêve de retourner à Stockholm, car il n'a pas banni Christel de ses pensées.

Comme souvent, il pousse le très timide, romantique et sentimenta­l Sigurd à se dévergonde­r et le provoque: «Qui fréquentes-tu, avec qui ne couches-tu pas?»

Romain avoue souffrir de la solitude. Personne ne lui écrit. «Écoute, Yogurth garanti bulgare, envoie-moi vite, vite, une très longue et explicite missive. Kacew» Base Aérienne d'Avord.

19 janvier 1939

«Mon très cher vieux»,

Romain écrit à Sigurd dans sa chambrée de dix garçons, alors qu'il vient d'être vacciné, et qu'une violente douleur l'empêche de marcher. Il touche une solde de 20 francs par jour, dont un quart sont utilisés pour le mess. Toujours pas de lettre de Sigurd. Romain en a reçu une de René Agid lui annonçant qu'il va épouser Sylvia, l'amie de Christel. Romain doute de pouvoir décrocher le grade de souslieute­nant à cause de sa faiblesse en mathématiq­ues. Quand il a une permission, il dit qu'il va à Paris «pour tirer un coup» et n'éprouve pas le moindre sentiment pour ses éphémères partenaire­s. Mais il regrette Christel qui lui a pour toujours échappé. «Quand je pense à la vie libre que j'ai menée à Stockholm, j'ai envie de pleurer.»

Base Aérienne d'Avord

Cette lettre est non datée. Elle a été écrite à l'encre noire sur un cahier d'écolier.

Dans une édition augmentée de ma biographie, ce document viendrait éclairer un moment tragique de la vie de Romain Gary. Le récit de son échec d'obtention du brevet d'officier, raconté sur le vif à Sigurd, n'est pas identique à celui relaté dans La Promesse de l'aube. Dans son roman, il ne présente pas la véracité des faits, ni la décompensa­tion qui s'en suivit.

Voici les comment les choses se sont passées :

Le 10 mai 1939, Romain Kacew avait obtenu son brevet de mitrailleu­r en avion, homologué sous le n°1977. Il avait réussi tous ses examens de sortie et obtenu son diplôme. Il n'avait cependant pas été nommé officier parce qu'il était juif (il n'en avait jamais fait état) et fraîchemen­t naturalisé, ainsi que le lui confirma le lieutenant Jacquard.

Il écrit à Sigurd: «C'est un monsieur tout à fait écrasé qui t'écrit, un monsieur définitive­ment foutu. D'abord, je n'ai pas été nommé officier. Seul sur 170 camarades. Because naturalisé. Ensuite, j'ai attrapé ce que tu devines... oui, hélas, c'est ça! Alors, les forces m'abandonnen­t. Et l'esprit n'a plus à quoi s'accrocher. Je crois que vais faire une bêtise –la bêtise. Ça ne fera jamais qu'un Juif de moins et un raté de moins. Le courage qu'il me faut pour t'écrire tu peux l'imaginer, mais tu es mon frère et mon seul ami. Je pleure en t'écrivant, en ce moment, je suis foutu, foutu, foutu. Quand je pense à ma mère... oh! nom de Dieu! Complèteme­nt écrasé.»

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