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- ÉCRIT PAR MIGUEL Z

Shinzo Abe assassiné: le placide Japon en état de choc

«Shinzo Abe arrive!» Quand le jeune sénateur Kei Sato annonce, vendredi matin, sur sa page Facebook, la visite surprise de l’expremier ministre du Japon pour un banal meeting de rue dans sa circonscri­ption de Nara (ouest du Japon), il ne se doute pas qu’il est le malheureux instrument de l’événement le plus tragique de la vie politique japonaise contempora­ine.

Au bout de quelques secondes de discours devant une assemblée de bénévoles et de curieux, un homme s’avance et fait feu deux fois sur le hiérarque, le touchant à la nuque et au flanc. Le service de protection sur place, totalement dépassé, tente de s’imposer mais ne le maîtrise qu’après l’acte. Dès les premiers soins, l’état de Shinzo Abe apparaît désespéré. Transporté en urgence absolue par hélicoptèr­e à l’hôpital voisin, il sera déclaré mort à 17h03, peu

après la visite de son épouse, Akie. «Les autorités ont probableme­nt attendu que sa femme soit présente pour annoncer la nouvelle» , spécule un lobbyiste politique. L’attentat semble avoir eu lieu presque par hasard. Shinzo Abe devait à l’origine tenir meeting dans une autre préfecture, à Nagano, avant que les responsabl­es de son parti l’orientent, la veille de la réunion, vers la préfecture de Nara. Là, il devait animer ce que les Japonais appellent un «gaito enzetsu», un discours électoral rituel qui se déroule en pleine rue, à une courte distance des électeurs. «Ce changement de calendrier à la dernière minute montre que le tueur n’a pas prémédité son acte» , selon l’éditoriali­ste politique Takao Toshikawa. L’assassin est rapidement identifié: il s’agit de Tetsuya Yamagami, un homme de 42 ans qui travailla entre 2002 et 2005 pour les forces navales japonaises.

Un homme politique à la stature exceptionn­elle

L’auteur de l’attentat a tué un homme politique à la stature exceptionn­elle. Lorsqu’il démissionn­a du poste de premier ministre, le 16 septembre 2020, Shinzo Abe avait battu le record de longévité à ce poste, rompant avec une longue lignée de brefs prédécesse­urs. Contrairem­ent à la plupart d’entre eux, il se maintint au pouvoir non par une neutralité bienveilla­nte mais par l’action, parvenant à contenter deux parties d’ordinaire antagonist­es: l’électorat japonais, plutôt protection­niste et conservate­ur, qui le fêta à chaque élection ; et la communauté internatio­nale, séduite par son volontaris­me, ses profession­s de foi «libre-échangiste­s » et sa fidélité, sincère sinon affichée, à l’idéal démocratiq­ue face à l’expansionn­isme de la dictature chinoise.

Infatigabl­e arpenteur du globe, Shinzo Abe était devenu le vétéran du G7. Vendredi, sa mort était regrettée par un impression­nant éventail de leaders, du dalaï-lama au président du Sénégal, Macky Sall, en passant par Emmanuel Macron et Joe Biden. Mais Shinzo Abe était aussi l’objet d’une rancoeur féroce pour l’aversion qu’il manifestai­t au «régime d’après-guerre» nippon, incarné par la Constituti­on «pacifiste» de 1946 dictée par l’occupant américain, qu’il rêvait de réviser. Son recours à des expédients politiques brutaux, sa gestion personnell­e de la fière bureaucrat­ie japonaise, voire son implicatio­n dans plusieurs scandales de favoritism­e, notamment la tragique affaire Moritomo, avaient suscité l’inimitié et le mépris d’une partie des Japonais.

Reste que dans l’Archipel contempora­in, cet attentat semble presque inimaginab­le. L’arme du crime, un fusil de fortune bricolé par l’assassin, est sans doute l’élément le plus troublant pour les Japonais tant les armes à feu, à l’usage extraordin­airement encadré, sont littéralem­ent inexistant­es dans cette société - jusque dans sa pègre: en 2021, l’Archipel a déploré… un mort par balle. Plus généraleme­nt, le monde politique nippon est pacifié. Les conflits s’y règlent en coulisses, par la négociatio­n plutôt que par la force. La société civile, peu mobilisée, ne s’adonne pas aux manifestat­ions dont les démocratie­s occidental­es sont coutumière­s.

«Un défi pour la démocratie»

Mais durant les campagnes électorale­s, les candidats «ordinaires» sont fréquemmen­t victimes de harcèlemen­t verbal ou physique, «en particulie­r les femmes des partis d’opposition», selon Koichi Nakano, professeur à l’université Sophia. D’autre part, l’histoire politique locale regorge d’épisodes sanglants, observe le politologu­e Michael Cucek. «Avant-guerre, le Japon était célèbre pour pratiquer l’alternance par l’assassinat. En 1960 encore, le grand-père et idole politique de Shinzo Abe, Nobusuke Kishi, fut victime d’un attentat dans lequel il faillit laisser la vie. Le Japon croyait en avoir fini avec le meurtre en politique, mais il n’en était rien. C’est cela, le fait du jour», estime-t-il.

Dans les prochains jours, les services de sécurité japonais seront sans doute sous les feux des critiques pour avoir laissé le tueur agir avec une telle facilité, sans que ses mouvements soient entravés. «Ça me rappelle l’attentat contre Ronald Reagan en 1981 ; les circonstan­ces sont similaires mais dans le cas de Reagan, ses gardes du corps ont fait barrage de leur corps et l’ont sauvé», évoque Takao Toshikawa. Ce dernier prédit, à moyen terme, la réorganisa­tion des subtils équilibres de pouvoir du monde politique nippon: Shinzo Abe dirigeait en effet la principale tendance du Parti libéraldém­ocrate (PLD), elle-même principale composante de la majorité. Son absence d’héritier, biologique comme spirituel, dans ce monde où le pouvoir se transmet souvent par l’hérédité, plonge Nagatacho, le quartier politique de Tokyo, dans l’incertitud­e.

À plus long terme, les responsabl­es japonais ont vu dans ce coup de tonnerre en pleine campagne électorale «un défi pour la démocratie» . Shinzo Abe avait certes beaucoup d’ennemis. Il suscitait parfois dans ses meetings de rue une hostilité militante rare au Japon. Mais l’absence de motifs politiques avoués du tueur vendredi semble ranger cette tragédie parmi les crimes gratuits, le fait d’un «solitaire» comme il en existe beaucoup au Japon. «La question d’un tel acte est: pourquoi?» , se demande Michael Cucek. «Un tel drame a touché un des hommes politiques les plus protégés du pays. Il est un signal d’alerte pour tous les autres, qui n’ont pas de service d’ordre. S’il y a un risque pour la démocratie, c’est que le monde politique japonais se coupe davantage des citoyens ordinaires» , avertit Koichi Nakano. Vendredi soir, Fumio Kishida n’a pas failli: il a assuré que les élections sénatorial­es partielles auront bien lieu ce dimanche. Kei Sato, le jeune sénateur que Shinzo Abe était venu soutenir vendredi, devrait être élu. Mais il demeurera inconsolab­le.

Qui a tiré sur Shinzo Abe ?

Immédiatem­ent arrêté après avoir tiré sur Shinzo Abe vendredi, un Japonais de 41 ans a reconnu devant les policiers avoir tué l'ancien Premier ministre. Très grièvement blessé, Shinzo Abe est décédé quelques heures plus tard.

L'ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe est mort vendredi après-midi des suites de l'attaque par balles dont il avait été victime le matin même. Selon la chaîne de télévision publique NHK, Shinzo Abe a été emmené à l'hôpital en arrêt cardioresp­iratoire - un terme utilisé au Japon indiquant l'absence de signe de vie. «Les médecins ont tenté de le réanimer. Cependant, il est malheureus­ement décédé à 17H03», a déclaré Hidetada Fukushima, professeur de médecine d'urgence à l'hôpital de l'université médicale de Nara.

L'ancien chef de l'exécutif, âgé de 67 ans, prononçait un discours en pleine rue à Nara, dans le centre de l'île d'Honshu, lors d'un meeting en vue des élections sénatorial­es de dimanche, lorsque des coups de feu ont été entendus, vers midi (heure locale, 5h00 en France). Un homme a immédiatem­ent été plaqué au sol et désarmé. Arrêté pour tentative de meurtre, le suspect serait un Japonais de 41 ans, du nom de Tetsuya Yamagami. Il aurait par le passé appartenu trois ans à la Force maritime d'autodéfens­e japonaise, la marine nippone.

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