Les passions haineuses
ET CHANGER À JAMAIS L'HISTOIRE
Certes, l’histoire de la franc-maçonnerie est bien celle d’une société qui a eu de l’influence, qui regroupait des opposants au régime en place, puis, sous la Troisième République, d’une structure de concertation des républicains (surtout radicaux) tant qu’il n’y a pas eu de partis politiques vraiment structurés (ils apparaissent en France avec la loi de 1901) ; la maçonnerie fonctionne comme une sorte de « lobby » laïque parmi d’autres à partir des années 1870, constat que l’on peut aisément documenter. La spécificité du complotisme consiste à lui accorder une homogénéité et une organisation parfaite autour d’un projet stratégique ultradéterminé, ainsi qu’une toute-puissance absolue. À sa place dans l’histoire de la sociabilité politique et d’une histoire de l’opinion, la franc-maçonnerie offre un piètre Deus ex machina de l’Histoire. Le dévoilement d’une histoire secrète fascine, et il est bien utile à l’économie Interne du complotisme : la disparition des Illuminati en 1785 en fait un acteur fantasmatique idéal. Et dans ce fantasme, se mêlent intimement réalité et fiction. Le romancier Dan Brown fait ainsi paraître en 2000 Anges et Démons, et contribue puissamment au « retour » des Illuminati, qui cette fois veulent faire sauter le Vatican. Parallèlement, les Illuminati sont devenus sur Internet les acteurs non plus de la Révolution, mais de la mondialisation, autre phénomène bouleversant le monde que nous connaissons et dont l’explication est longue et complexe…
Les Protocoles des Sages de Sion
Ce texte tristement célèbre offre l’exemple de la difficulté de réfuter les falsifications historiques, dès lors qu’elles servent les passions haineuses. L’ouverture des archives soviétiques (1992) a permis de connaître de manière assez détaillée l’histoire de ce texte (voir en particulier le livre de Pierre-André Taguieff), publié en Russie, d’abord en extraits en 1903, puis intégralement en 1905 et 1906. Les Protocoles se présentent comme des comptes rendus de réunions secrètes rassemblant de grands personnages juifs échafaudant des plans de domination mondiale.
Ils ont été écrits à Paris en 1901. L’auteur en est Mathieu Golovinski, agent russe, qui agit sur l’ordre du chef du bureau à l’étranger de l’Okhrana, la police politique du Tsar. Il s’agit de combattre l’influence du ministre russe des Finances Serge Witte, jugé trop libéral par la faction la plus conservatrice du gouvernement, et d’influencer le Tsar en montrant qu’il existe un complot judéomaçonnique dont Witte serait l’instrument.