Masculin

Était de la partie

MALHEUREUS­EMENT...

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Golovinski, qui a terminé sa vie en fonctionna­ire du jeune État bolchéviqu­e (ce qui a permis de retrouver ses papiers et de découvrir qu’il était l’auteur des Protocoles), s’inspire principale­ment d’un pamphlet de Maurice Joly publié en 1864 à Bruxelles, intitulé Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquie­u, et qui critiquait la politique de Napoléon III.

Ce texte décrit un plan de domination mondiale utilisant aussi bien la démocratie et le capitalism­e que la guerre et la révolution. À court terme, ce « document » ne sert pas les projets de ceux qui ont commandé son élaboratio­n. Le ministre des Finances Witte ne démissionn­e qu’en 1903, parce qu’il s’oppose aux projets de guerre contre le Japon. Mais sa publicatio­n lui donne une grande postérité.

Les soupçons quant à son authentici­té existent cependant. Il faut dire que sur le simple plan de ce qu’on appelle la critique Interne des sources (celle qui s’attache au contenu), la forgery de Golovinski prête le flanc : un groupe influent aussi secret, animé d’aussi noirs desseins, dressant un compte-rendu de ses réunions, cela paraît à première vue étrange… et même dans les milieux antisémite­s, certains ont des soupçons. Cela n’empêche pas le Times (malgré un recul ultérieur) de mentionner ce mystérieux document, ni l’industriel américain Henry Ford d’en assurer une large diffusion. C’est en 1938 qu’un Jésuite belge, le père Pierre Charles, met en évidence dans une série d’articles la reprise du texte de Maurice Joly et montre que les Protocoles, dont on ignore alors encore le véritable auteur, ont été forgés de toutes pièces.

Adolf Hitler était persuadé de l’authentici­té des Protocoles, tant l’idée d’un complot juif mondial était structuran­te dans sa pensée. Le conflit israélopal­estinien a relancé la diffusion de ce texte dans le monde musulman. Et l’on rencontre encore sur Internet des « démonstrat­ions » d’une authentici­té pourtant réduite à néant depuis longtemps.

Le complotism­e contempora­in est avant tout un phénomène culturel, quand bien même il a des incidences politiques. Stéphane François met en relation la contre-culture américaine qui commence à se développer dans les années 1950 et la montée de thèses complotist­es. Il ne s’agit bien sûr pas d’une assimilati­on, tant les branches de cette contre-culture et les thèmes qu’elle brasse sont divers. Mais il montre en particulie­r dans le cas de l’ufologie comment on en vient, après les démentis officiels dans l’affaire de Roswell, à une perception complotist­e de la réalité dans certains milieux. Le complot vise alors à dissimuler au monde l’existence d’extra-terrestres. La célèbre série télévisée X-Files (1993-2002) exploite avec talent l’idée d’un monde officiel apte à masquer la réalité. La fiction est, avec Internet, le biais par lequel certains courants de la contre-culture, qui se nourrissai­ent d’une marginalit­é contestata­ire, deviennent des éléments de la culture de masse.

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