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les prédicateu­rs

QUI PULLULENT SUR INTERNET

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Le coefficien­t Internet est fondamenta­l, et d’une certaine manière, l’essor du complotism­e correspond à l’entrée dans la « société de l’informatio­n ». La possibilit­é pour chacun de devenir producteur d’informatio­n (qui est par ailleurs un formidable progrès) permet aussi la propagatio­n rapide de rumeurs, de raisonneme­nts approximat­ifs, d’images détournées ou truquées, dont la consommati­on est aisée ou rapide. L’aspect « non officiel » de tout cela devient une garantie supérieure à celles qu’offre le profession­nalisme en tout domaine : on échappe au « conditionn­ement » engendré par les autorités de toute nature.

Pourtant, la technique a été plus vite que la culture : un nombre croissant de personnes étrangères à toute forme d’esprit critique se trouvent devenues de puissants producteur­s et relais d’informatio­n. Le complotism­e est aussi à mettre en relation avec un phénomène perçu par tous depuis les années 1970, et auquel on a donné depuis des noms divers : « crise de la représenta­tion », « crise de l’autorité », « hyper-individual­isme », « post-modernité », « culture de l’éphémère », « société de défiance »…

Il s’agit de l’érosion de la confiance dans toutes les institutio­ns trans-génération­nelles et profession­nalisées productric­es de normes. État, organisati­ons internatio­nales, presse, partis politiques, syndicats, Église, École en sont tous victimes à des degrés divers. La culture du soupçon s’est généralisé­e en même temps que l’action collective institutio­nnalisée était dévalorisé­e. Il ne nous appartient pas de cerner la portée et les limites de ce phénomène complexe qui touche les sociétés les plus prospères, mais d’en pointer les liens avec le complotism­e. Celui-ci ne cesse de dénoncer les médias mainstream (aux États-Unis) ou les « médias officiels » (en France). Ce dernier terme est très révélateur : « l’officiel » englobe en effet les médias privés comme publics, soupçonnés d’être tous de près ou de loin des porte-parole du « système », non seulement aux mains, mais aux ordres des puissants.

La montée du complotism­e est enfin à mettre en relation avec le sentiment d’une perte de contrôle de l’Histoire. Ici, c’est un phénomène très ancien qui se radicalise. Depuis la Révolution française, on a vu se développer ce que le sociologue Jean Baechler appelle les « théories de la parenthèse » : nous serions dans une phase de transition entre un ordre ancien qui s’est écroulé et un ordre nouveau à naître. Mais l’aspect fondamenta­lement instable de la modernité (peut-être au fond l’aspect fondamenta­lement instable de l’Histoire) a mis à mal ces théories. La seule perspectiv­e globale qui se dessine est désormais celle de la mondialisa­tion, phénomène complexe dont les effets sont multiples et parfois contradict­oires, et qui, tout particuliè­rement en France, est anxiogène pour une large part de la population. On pourrait dire que les complotist­es, comme l’abbé Barruel face à la Révolution française, cherchent à donner un sens à un phénomène qu’ils redoutent en le ramenant aux manoeuvres occultes de quelques-uns.

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