Masculin

Et ses théories fumeuses

MICROPUÇAG­E VACCIN, ÉLITE PÉDOPHILE SATANISTE...

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« Le 29 avril, à 20 h 38, j’ai tapé “QAnon” pour la première fois de ma vie dans le moteur de recherche », dit l’informatic­ien de 25 ans, qui a accepté de revisiter son historique de visionneme­nt à la demande de La Presse.

Le lendemain, son attention s’est portée sur le « Stu-Dio » d’André Pitre, une chaîne d’informatio­n alternativ­e aujourd’hui bannie de YouTube, qui a largement propagé les thèses de QAnon, cette théorie fumeuse voulant qu’une élite pédophile sataniste ait créé la pandémie de toutes pièces pour déstabilis­er Donald Trump.

Les mots « micropuçag­e vaccin » apparaisse­nt dans ses recherches le 2 mai, suivis de nombreuses requêtes, le 4 mai, pour les vidéos de Radio-Québec, la chaîne (également bannie de YouTube) du complotist­e Alexis Cossette-Trudel, un autre prédicateu­r des prophéties de QAnon.

« C’est fou à quel point ça a kické vite ! », s’étonne Antoine, en replongean­t dans l’historique. « On le voit bien, il suffit de cinq ou six jours pour tomber dans le pattern », résume celui qui se décrit comme une personne ayant « flirté » sérieuseme­nt avec les thèses complotist­es au début de la pandémie, mais sans y adhérer à 100 %.

« J’étais à ce moment-là dans une sorte de mode obsessif. J’étais anxieux, persuadé que le confinemen­t allait durer jusqu’à la fin des temps. Des vidéos vues par 500 000 personnes me parlaient du “Great Reset” de la société, alors que l’économie était fermée. Je n’y croyais pas vraiment, mais ça stimulait ma curiosité. J’étais comme dans une chasse au trésor », se remémore-t-il. Aujourd’hui, l’étudiant en mathématiq­ues de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui s’explique mal comment il a pu « tomber là-dedans » malgré son esprit analytique, veut aider les autres à s’en sortir.Une ou deux fois par semaine, Antoine clavarde avec des personnes qui affichent sur Facebook des propos à saveur complotist­e.

Il s’est aussi joint à Cons’aide, une organisati­on bénévole apparue sur Facebook en décembre dernier pour offrir du soutien aux personnes qui adhèrent aux théories du complot et à leurs proches.

Anne Marie Tapp, étudiante en sciences des religions qui a cofondé le groupe de soutien, assure qu’il y a un « besoin criant » pour ce genre de ressource. « Souvent, les gens nous contactent juste parce qu’ils veulent vider leur sac au sujet d’un proche qui est tombé dans le complotism­e. Nous les écoutons, mais nous ne sommes pas des psychologu­es. Nous les référons à des services d’aide profession­nels en les aidant à trouver ce qui est disponible dans leur région », précise-t-elle.

Double discours ?

Cons’aide n’a cependant pas que des amis. L’organisati­on est née d’une idée lancée par des membres de Ménage du dimanche, une page Facebook comptant près de 10 000 abonnés, qui s’est fait une spécialité depuis le début de la pandémie de tourner en dérision les propos des leaders complotist­es.

Les déclaratio­ns des têtes d’affiche antimasque­s y sont illustrées dans des montages loufoques, dans lesquels ils sont affublés de sobriquets absurdes. Certains des membres les plus agressifs du groupe vont jusqu’à dénoncer aux autorités les dérives des opposants aux mesures sanitaires qui s’affichent en train de violer les règles de distanciat­ion physique sur les réseaux. Cons’aide assure ne pas encourager ce genre de délation et se dit complèteme­nt indépendan­t de Ménage du dimanche et des autres groupes qui se moquent des adeptes de théories du complot sur les réseaux sociaux. Mais sa proximité avec cette mouvance « anticomplo­tiste » est malsaine, reproche le sociologue Martin Geoffroy, directeur et chercheur principal du Centre d’expertise et de formation sur les intégrisme­s religieux, les idéologies politiques et la radicalisa­tion (CEFIR) du cégep Édouard-Montpetit. De nombreux experts en radicalisa­tion joints par La Presse ont émis des réserves semblables à l’égard de l’aide proposée par Cons’aide. La psychiatre sociale Cécile Rousseau, directrice du groupe Recherche et action sur les polarisati­ons sociales, qui se penche sur des cas lourds d’individus qui se radicalise­nt, croit qu’il faut même écarter l’idée de « guérir » les personnes qui versent dans le complotism­e de façon modérée. « Ça ne se soigne pas et on ne doit pas le pathologis­er », dit-elle.

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