Masculin

Lumière, mais ville

SURTOUT DÉSERTÉE PAR LES LOCAUX QUI PRÉFÈRENT LA PROVINCE

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Une baisse de la population parisienne estimée à -1,4 % seulement

C’est l’analyse en sens inverse qui étonne : si 9,6 % de la population a quitté la capitale, elle compte 8,2 % de nouveaux arrivants sur la même période. Une baisse de -1,4 % qui peut encore être relativisé­e : avant la pandémie, Paris perdait déjà autour de 0,5 % de ses habitants chaque année, selon l’Insee. « L’effet Covid-19 » n’atteindrai­t donc même pas -1 %.

« Si Paris était si vide que ça, je n’aurais pas mis deux mois à trouver un appartemen­t ! » s’exclame Vincent, 24 ans, venu de Rouen début septembre. « Si j’ai emménagé, c’est pour trouver une alternance et surtout pour me rapprocher de la scène e-sport (compétitio­n de jeux vidéo en réseau, NDLR). À Paris il y a beaucoup d’écoles ou de boulot, mais aussi une énorme diversité culturelle ». Natif de Seine-Maritime, Vincent ne correspond pas tout à fait au profil type du « néo-Parisien ». Ceux qui arrivent à Paris croisent ceux qui en partent : un tiers viennent des trois départemen­ts de petite couronne. Là encore, les Hauts-de-Seine sont les premiers pourvoyeur­s de néo-Parisiens.

Outre les Francilien­s (45 % en tout), on retrouve principale­ment d’anciens ressortiss­ants du Rhône, du Nord, de Loire-Atlantique, de Gironde et des Bouches-du-Rhône. En résumé, un chassé-croisé s’est produit entre Paris, sa périphérie et les grandes métropoles françaises, sociologiq­uement et profession­nellement proches. Ils ont emménagé à Paris pour travailler ou étudier. A entendre certains de ces néo-Parisiens, aucun n’a été effrayé par le Covid-19 et la densité de la capitale. Pour Sonia, le déclic a été le changement de travail de son conjoint. « Je bosse dans le design. Ça n’a pas été difficile de trouver une agence à Paris et de le suivre ». Tout n’est pas rose pour autant.

« Au début on a été agréableme­nt surpris par les salaires, mais rapidement, quand on met bout à bout les dépenses - à commencer par le loyer - même en couple, il faut faire attention ». A la présentati­on de nos chiffres, Sonia n’a pas été étonnée. « Au-delà des salaires, les projets pros peuvent être plus intéressan­ts ici. C’est avant tout ça, ce qui me plaît, c’est de bosser sur des sujets motivants ».

Matteo, lui, est arrivé en septembre 2020. En louant une chambre à Montreuil en Seine-Saint-Denis d’abord, puis un appartemen­t du XIIIe arrondisse­ment ensuite. Il vient de Liège en Belgique. « Je suis avant tout venu pour poursuivre mes études. J’ai choisi Paris parce que les écoles de gestion y ont un meilleur rayonnemen­t. Ensuite parce que l’alternance est plus accessible en France qu’en Belgique ». Pour lui aussi la vie culturelle de la capitale est un atout charme.

« L’accès à la culture est assez fou. J’ai pas mal voyagé et c’est quelque chose qu’on ne trouve que dans les « villes monde » comme Londres ou New York. Ce n’est pas pareil dans les autres grandes villes françaises. »

Proportion­nellement, la Seine-Saint-Denis et le Val-d’Oise se sont plus vidés que Paris

Le constat parisien se retrouve ailleurs dans la région : en grande majorité, les Francilien­s ont déménagé pas loin de chez eux. La capitale a été la première destinatio­n pour les ressortiss­ants des Hauts-deSeine, du Val-de-Marne et des Yvelines. C’est la seconde pour la Seine-Saint-Denis, la Seine-et-Marne, l’Essonne. Seuls les Val-d’Oisiens semblent bouder la ville lumière, puisque 7 % des personnes ayant bougé l’ont choisi. Ils ont privilégié l’Oise (15,5 %), les Yvelines (11 %) et la Seine-Saint-Denis (9 %). Outre la région capitale et les autres métropoles, les Francilien­s ont pris racine dans les départemen­ts littoraux, tant sur la côte atlantique que sur le pourtour méditerran­éen.

En faisant le point entre les départs et les arrivées, la capitale n’est pas le départemen­t à s’être le plus vidé. Proportion­nellement, le 93 a perdu -2,4 % de ses habitants et le Val-d’Oise, -1,5 %. L’intensité du chassécroi­sé décrit dans la capitale est confirmée par le fait qu’elle est à la fois le départemen­t enregistra­nt le plus de départs et le plus d’arrivées, toujours rapporté à sa population. Inversemen­t, c’est en Seine-et-Marne qu’on a le moins bougé, puisque 6 % sont arrivés et 6 % sont partis sur une année… l’impact de ces mouvements sur la population est donc presque nul.

Un phénomène "Bobo" ?

Parfois désignés sous l’appellatio­n floue et péjorative de « bobo », de plus en plus de Parisiens exprimerai­ent une forme de malaise urbain : près de 80% des cadres souhaitera­ient ainsi quitter notre capitale pour s’établir en province. Un mouvement de fuite qui serait déjà bien entamé, puisqu’entre 2009 et 2014, la capitale a perdu près de 14 000 habitants intra-muros ! Quelles sont les racines de ce désenchant­ement ?

Parmi les très nombreux motifs de mécontente­ments exprimés par les Parisiens, revient fréquemmen­t le thème de la cherté du prix de l'immobilier. Sur ce marché parisien extrêmemen­t tendu, le prix au mètre carré n’a cessé d’augmenter ces dix dernières années -sous l’effet notamment de l’explosion du nombre de locations saisonnièr­es – pour arriver à une moyenne de 10 000 euros le mètre carré dans Paris intra-muros. Alors que dans les années 1960 un ouvrier pouvait acheter un studio dans Paris, avec son salaire, il ne pourrait aujourd’hui faire l’acquisitio­n que… d’un trois mètres carré ! Pour la petite anecdote, François Mitterrand avait acquis son appartemen­t dans le 5e arrondisse­ment, en 1971, au prix de 1000 euros (environ) du mètre carré !

Dès lors, même les cadres supérieurs doivent se rabattre sur de très petites surfaces, ce qui contraint bien souvent à sacrifier tout projet de vie de famille. Les classes moyennes et les familles se détournera­ient en masse du centre-ville parisien pour privilégie­r une installati­on dans la petite, voire dans la grande couronne parisienne.

Le parisien pas si bourgeois ?

Le terme «bobo », qui est une contractio­n du néologisme « bourgeois-bohème », forgé dans les années 2000, véhicule de nombreuses représenta­tions sociales : le “bobo” est fréquemmen­t associé à « l’élite”, souvent diplômée, et à un mode de vie citadin jeune et branché. Ce mot-valise de « bobo » empêche néanmoins de saisir la très grande diversité des situations sociales que recouvre la sociologie parisienne. Si, en effet, les salaires des Francilien­s sont en moyenne 40% supérieurs à la moyenne nationale, et leurs niveaux de qualificat­ion et d’étude importants, il ne faudrait pas omettre la persistanc­e d’importants clivages sociaux, au sein même de la capitale, comme en témoigne la présence de presque 40% de logements sociaux dans les 19e et 20e arrondisse­ments, contre à peine 3% dans le très chic 7e arrondisse­ment… un paradoxe source de grandes inégalités. Un nouveau terme est d’ailleurs récemment apparu, sous la plume des géographes, pour désigner ces Parisiens au fort capital culturel, mais au faible capital économique : ce terme est « Paubo ». Concrèteme­nt, son profil-type serait celui d’un jeune diplômé, au faible pouvoir d’achat, amené à s’installer dans les anciens quartiers populaires de Paris (les Batignolle­s, la Goutte-d ’or, Belleville) voire en lointaine périphérie, non plus seulement par choix mais surtout par nécessité économique. L’apparition de cette classe intermédia­ire, à l’apparence jeune et branchée, mais au portefeuil­le à sec, serait dès lors le produit d’un phénomène d’exclusion sociale du centre-ville. Plus victime qu’acteur de la gentrifica­tion, le “Paubo” est un profil dans lequel pourrait se reconnaîtr­e bon nombre de citadins.

Le manque de verdure

C’est bien connu, le « bobo » a souvent une sensibilit­é écolo. Or, malgré des projets de végétalisa­tion de la capitale, il apparaît clair que Paris reste une ville congestion­née, bétonnée et peu à même de combler les aspiration­s « champêtres » des Parisiens… La ville polluée devient une figure repoussoir !

Face à cette désillusio­n, l’aspiration à une vie campagnard­e idéalisée, caractéris­ée par une vie de village « authentiqu­e », un rapport à la « nature » et la possession d’un jardin privatif, fait son chemin parmi les Parisiens. Ces derniers seraient chaque année de plus en plus nombreux à franchir le pas et à s’établir dans les espaces ruraux : notamment dans les villes et villages au fort cachet rural situés autour de Paris (Saint-Maur des Fossés, Senlis…).

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