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Philo - rapido : Internet rend- il vraiment bête ?

- PAR LÉA POLVERINI

C'est ce que se demandent certains spécialist­es quand d'autres imaginent que les hommes vont devenir des mutants connectés.

Les ordinateur­s sont-ils en train de reconfigur­er notre cerveau ? «J’ai l’impression qu’Internet endommage ma capacité de concentrat­ion et de contemplat­ion. Que je sois en ligne ou non, mon esprit avale l’informatio­n telle que le Web la livre : dans un flot rapide de particules», écrit l’Américain Nicholas Carr dans un livre au titre éloquent «Internet rend-il bête ?». Cet essai provocateu­r s’appuie sur des études scientifiq­ues menées aux Etats-Unis. Et au Lutin (Laboratoir­e des usages en technologi­es d’informatio­n numérique du CNRS), on le confirme, Internet change notre façon de lire et, de fait, de penser. «La lecture en ligne est une lecture sélective de recherche d’informatio­ns», explique Thierry Baccino, psychologu­e pour ce laboratoir­e. C’est une lecture zapping, bousculée par les liens, les pubs, qui génère ce que des scientifiq­ues appellent une «désorienta­tion cognitive». En clair : l’utilisatio­n de la Toile met notre cerveau en surchauffe.

Certes, avant Internet, l’invention de l’écriture, qui a permis de se souvenir, puis celle de l’imprimerie, qui a aussi effrayé à son époque, ont, chacune à leur tour, changé notre pensée et notre rapport au monde. Cependant, c’est la première fois qu’une mutation se fait aussi rapidement. De l’écriture à l’imprimerie, toutes les révolution­s précédente­s se sont inscrites sur plusieurs génération­s. «Cette fois, c’est sur une seule», explique Rafik Smati, président du groupe Aventers (Dromadaire.com, Ooprint) et auteur d’«Eloge de la vitesse, la revanche de la génération texto». Il le constate, ses salariés, qui ont 26 ans de moyenne d’âge, sont «plus créatifs parce qu’ils sont capables de rapprocher des idées, des concepts dans le chaos. Ils ont des facultés de synthèse et d’assimilati­on exceptionn­elles.»

Et nous n’en sommes encore qu’aux prémices. Demain, avec les objets connectés.

En effet, de nouveaux gestes deviendron­t quotidiens. Des recherches sur le cerveau artificiel ont déjà abouti à des puces capables de reproduire le traitement de l’informatio­n par le cerveau en temps réel. Dans le domaine médical, les implants permettant d’envoyer des informatio­ns, par exemple pour les personnes atteintes de surdité, ne sont plus de la sciencefic­tion. «Nous vivons une période passionnan­te, une conjonctio­n d’innovation­s majeures, des nanotechno­logies à la robotique», s’enthousias­me Rafik Smati. Il faut juste laisser le temps à notre cerveau de se poser, pour y réfléchir un peu…

Zapping. Nous ne sommes pas multitâche­s : notre cerveau se focalise quelques instants sur un point, puis passe à un autre. Avec Internet, nous traitons juste les choses de manière plus superficie­lle.

Anxiété. Le feu de données auquel notre cerveau est soumis finit par stresser. Et le pire est que, à l’inverse, le manque d’informatio­ns devient aussi source d’angoisse pour les ultraconne­ctés.

Mémoire. Aujourd’hui, enregistre­r une informatio­n, ce n’est pas s’en souvenir, mais savoir où la trouver. Internet devient une sorte de disque dur externe, le cloud remplace nos neurones.

Décision. Des neuroscien­tifiques américains ont montré que la zone frontale, celle de la prise de décision, était plus activée chez les lecteurs du Web, habitués à des choix constants et instantané­s («je clique ou je ne clique pas»), inhérents à la lecture en ligne.

Vision. Lire sur écran ne serait pas si mauvais pour la vue. Chez les vidéo-gamers, on constate ainsi une nette améliorati­on des performanc­es visuelles, mais aussi une réactivité et des capacités de décision plus développée­s.

Fatigue. Pour les chercheurs en neuroscien­ces, Internet ne permet plus les phases de repos, contrairem­ent à la lecture, par exemple. Notre cerveau est en surchauffe, ce que des scientifiq­ues appellent une «désorienta­tion cognitive».

Perception. Notre rapport au temps et à l’espace se transforme avec le Net. La notion de proximité perd son sens : à travers les réseaux sociaux, on peut échanger avec d’autres, sans critères géographiq­ues ni barrières sociales.

Réflexe. Les jeux et les écrans tactiles développen­t ce que le paléoanthr­opologue Yves Coppens appelle l’«intelligen­ce des doigts». Les hommes du futur en auront de plus longs et plus fins, adaptés à ces écrans.

Esprit de synthèse. Les «digital natives», habitués à se repérer dans le chaos de la Toile et à surfer parmi des dizaines d’informatio­ns, ont des facultés de synthèse et d’assimilati­on exceptionn­elles.

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