Pour l’interdiction en marche
DES POINTS CONFLICTUELS RESTENT A REGLER
En 2023, la Cour de justice de l'Union européenne et le Conseil d'État ont jugé illégales les dérogations pour l'utilisation de néonicotinoïdes, suite à l'interdiction formelle de ces pesticides par la Commission européenne.
Dans la même veine, le Tribunal de l'Union a confirmé, le 4 octobre 2023, l'application du principe de précaution aux produits phytosanitaires, statuant qu'il suffit d'une incertitude quant à un risque pour la santé pour refuser l'approbation d'une substance active.
Enfin, dans une décision marquante, le tribunal administratif de Paris a estimé le 29 juin 2023 que l'État avait manqué à ses propres objectifs de réduction de l'usage des pesticides, le condamnant à compenser le préjudice écologique causé.
En réponse, le gouvernement a revu le plan Ecophyto, le privant de ses objectifs chiffrés, par crainte d'une éventuelle obligation juridique pour ce qui était initialement conçu comme des engagements politiques non contraignants.
Prendre en Compte les Générations Futures Bien que les juges ne puissent pas tout résoudre, comme le montre l'affaire du chlordécone, ils jouent un rôle crucial en tant que gardiens des promesses politiques non respectées et protecteurs des écosystèmes pour les générations futures.
Ainsi, le tribunal administratif de Strasbourg a suspendu, le 7 novembre 2023, un arrêté prolongeant l'autorisation de stockage souterrain de produits dangereux non radioactifs accordée à la société des Mines de potasse d'Alsace (Stocamine). Le tribunal a estimé nécessaire d'explorer davantage les alternatives à l'enfouissement de déchets, en référence au droit à un environnement sain pour les générations futures, récemment reconnu par le Conseil constitutionnel.
L'interprétation actuelle des juridictions concernant les problématiques sanitaires et environnementales est audacieuse, bien que provisoire, en attendant un jugement sur le fond. Cela reflète un changement notable dans la manière dont les cours abordent ces questions. Elles essaient de comprendre les décisions administratives qui leur sont soumises en envisageant l'avenir et en vérifiant si les objectifs de réduction des substances dangereuses sont effectivement poursuivis par les autorités.
Ce raisonnement, qui s'apparente à une approche quasi probabiliste, est complexe à mettre en oeuvre car il nécessite une expertise scientifique fiable. De plus, les juges sont limités par les règles juridiques applicables au litige. Engager la responsabilité de l'État requiert de répondre à des critères stricts, notamment la preuve d'un lien de causalité et l'existence d'un préjudice.
Parfois, c'est précisément sur ces points que le travail des juges se heurte à des difficultés, comme dans les cas de la pollution atmosphérique ou du chlordécone. Dans certaines situations, les juges ne peuvent apporter toutes les réponses et un fonds d'indemnisation peut alors prendre le relais.
Au-delà du consensus social et des décisions judiciaires, la protection du climat, de l'environnement et de la biodiversité nécessite des actions politiques concrètes. L'interdiction des produits les plus dangereux, la prise en compte de l'incertitude et le principe du pollueur-payeur sont déjà inscrits dans le droit actuel. Il reste aux décideurs politiques à se rappeler de ces principes et à les mettre en application efficacement.
Rappel
Jeudi 16 novembre, la décision est tombée de Bruxelles : le glyphosate, principe actif de l'herbicide le plus vendu au monde - le Roundup, anciennement produit par Monsanto avant son acquisition par Bayer - a vu son autorisation renouvelée dans l'Union européenne pour dix ans. « C'est une décision aberrante », s'est indignée Nadine Lauverjat, déléguée générale de Générations futures, auprès de Novethic. Cette décision semble d'autant plus surprenante pour les défenseurs de l'environnement que, lors du dernier renouvellement de licence en 2017, la Commission européenne n'avait accordé qu'une extension de cinq ans, la moitié de la durée actuelle. Le contexte de cette époque était cependant différent.
« Le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer, une branche de l'Organisation mondiale de la santé, NDLR) venait de classer le glyphosate comme cancérogène probable pour l'Homme », rappelle Nadine Lauverjat. Pourtant, cette année, la Commission européenne a déclaré dans son communiqué s'être appuyée sur les rapports de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Ces deux institutions ont conclu à l'absence d'« élément de préoccupation critique », estimant que le glyphosate ne devrait pas être classé comme cancérogène, mutagène ou reprotoxique. Le hic : contrairement au CIRC, qui se base principalement sur des publications scientifiques, dont une grande partie est indépendante, les agences réglementaires européennes s'appuient avant tout sur les études fournies par des entreprises agrochimiques telles que Monsanto.
La Commission européenne a été contrainte de prendre position pour un renouvellement de dix ans de l'autorisation du glyphosate, faute de consensus parmi les 27 États membres de l'Union. Un accord nécessitait une majorité qualifiée représentant au moins 65 % de la population européenne. « Conformément à la législation de l'UE et en l'absence de majorité pour ou contre, la Commission doit adopter une décision avant le 15 décembre 2023, date d'expiration de l'approbation actuelle », indique-t-elle dans son communiqué. Elle a donc proposé un renouvellement de dix ans, avec certaines nouvelles conditions et restrictions non précisées.
La France, qui en 2017 militait pour un renouvellement de trois ans seulement, a cette fois choisi de s'abstenir. Cette position est qualifiée de « scandaleuse » par l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint, alors qu’Emmanuel Macron avait promis d'interdire le glyphosate en France, avant de revenir sur sa décision. Pour l’eurodéputé Renaissance Pascal Canfin, il s'agit d'un passage en force de la Commission « alors que les trois plus grandes puissances agricoles du continent (France, Allemagne, Italie) n’ont pas soutenu cette proposition ». « S’abstenir, c’est soutenir », affirme Nadine Lauverjat, critiquant la position de la France qui ne montre pas la voie vers l'abandon du glyphosate.
Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture, a déclaré sur France Info que « l’interdiction totale n’est pas possible actuellement, faute d'alternatives ». La France privilégie donc une approche basée sur la réduction et la recherche de solutions de remplacement.
Chaque pays a le pouvoir de décider individuellement de bannir le glyphosate. L'Allemagne, par exemple, envisage son interdiction dès début 2024. Cependant, cette décision fait l'objet de critiques des principaux syndicats agricoles, qui y voient une distorsion de concurrence avec les autres pays membres. Par ailleurs, les géants de l'agrochimie restent des acteurs majeurs. Le Luxembourg, qui avait retiré en février 2020 l’autorisation des produits à base de glyphosate, a dû faire marche arrière en avril dernier suite à une décision de la Cour administrative luxembourgeoise, invoquant l'absence d'arguments juridiques solides. Cette situation pourrait redonner de l'élan à Bayer, malgré les nombreuses plaintes liées au glyphosate.
Greenpeace France exprime son indignation face à cette décision et accuse la Commission européenne de dénier les faits scientifiques : si la décision est confirmée, la Commission n’aura pas pris en compte les multiples études scientifiques soulignant les effets potentiellement néfastes du glyphosate sur la santé humaine et l’environnement.
« C’est une véritable déception, tant pour l’agriculture et l’environnement que pour la santé publique », déplore Ariane Malleret, chargée de campagne Agriculture chez Greenpeace France.
« Encore une fois, la Commission européenne a choisi de privilégier les intérêts des lobbys agrochimiques au détriment des conseils scientifiques, en délaissant le principe de précaution et en refusant d’interdire ce pesticide. L’abstention de la France lors du vote et son manque de détermination sont inadmissibles. Si cette réautorisation est confirmée, nous exhortons Emmanuel Macron à respecter ses engagements et à interdire clairement l’usage de cet herbicide dangereux pour les humains, l’environnement et la biodiversité sur le territoire français. »
Il est tout à fait possible de pratiquer une agriculture sans glyphosate, comme le montrent de nombreux agriculteurs et agricultrices, en particulier dans le secteur de l’agriculture biologique où l’utilisation de pesticides synthétiques est interdite.
« Le glyphosate est un soutien à un modèle agricole dépassé », continue Ariane Malleret. « Il est impératif d’élaborer et d’appliquer des politiques publiques fortes pour aider et accompagner les agriculteurs et agricultrices vers un abandon du glyphosate. Cette démarche doit s’accompagner d’une réforme en profondeur de nos systèmes agricoles et alimentaires, afin de nous affranchir de la dépendance aux intrants chimiques. »
A quoi sert le glyphosate ?
Le glyphosate est un herbicide largement utilisé dans le monde entier, connu pour son rôle dans la lutte contre les mauvaises herbes et les plantes envahissantes. Introduit dans les années 1970 par Monsanto sous la marque Roundup, il est devenu un pilier de l'agriculture industrielle, grâce à son efficacité à éliminer rapidement un large spectre d'espèces végétales. Il est souvent utilisé en combinaison avec des cultures génétiquement modifiées ( GM) résistantes au glyphosate, permettant aux agriculteurs de traiter des champs entiers sans endommager les cultures ciblées.
Toutefois, l'utilisation du glyphosate suscite une inquiétude croissante en raison de ses impacts potentiels sur la santé humaine et l'environnement. Des études, dont celle du Centre international de recherche sur le cancer ( CIRC), ont classé le glyphosate comme « cancérogène probable pour l'homme » , tandis que d'autres recherches suggèrent des effets néfastes sur la biodiversité et les écosystèmes, notamment la perturbation des habitats naturels et la diminution de la diversité des espèces.
Cette situation a mené à un débat houleux entre les acteurs de l'industrie agrochimique, qui défendent l'utilisation du glyphosate comme outil essentiel pour l'agriculture moderne, et les défenseurs de l'environnement et de la santé publique, qui appellent à son interdiction ou à une réglementation plus stricte. Des organisations telles que Greenpeace et Générations futures dénoncent l'influence des lobbys agrochimiques dans les décisions réglementaires et politiques.
La Position Ambiguë des Autorités Réglementaires
Face à ces préoccupations, la Commission européenne, malgré l'absence de consensus parmi les États membres, a renouvelé l'autorisation du glyphosate pour dix ans. Cette décision s'appuie sur les évaluations de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui n'ont pas identifié d'éléments critiques justifiant son interdiction. Cependant, ces évaluations sont controversées en raison de leur dépendance présumée aux rapports fournis par les entreprises agrochimiques.
La Nécessité d'une Agriculture sans Glyphosate
De nombreux agriculteurs, notamment dans le domaine de l'agriculture biologique, montrent qu'une agriculture sans glyphosate est non seulement possible, mais aussi viable. Ces pratiques agricoles alternatives, qui excluent l'usage de produits chimiques de synthèse, sont cruciales pour la préservation de la santé humaine et la protection de l'environnement.
L'Appel à l'Action Politique
Le combat contre le glyphosate et l'agriculture intensive qu'il symbolise nécessite des actions politiques audacieuses. Il est vital de soutenir et d'encourager les agriculteurs dans la transition vers des méthodes de production durables et respectueuses de l'environnement. Cette transition doit s'accompagner d'une transformation profonde des systèmes agricoles et alimentaires pour mettre fin à la dépendance aux intrants chimiques.
L'interdiction future du glyphosate fait l'objet de débats intenses et est sujette à divers facteurs, notamment scientifiques, politiques et économiques. Voici quelques éléments clés qui influenceront la décision de son interdiction :
Évolution de la Recherche Scientifique
Études sur la santé et l'environnement : De nouvelles recherches pourraient fournir des preuves plus convaincantes des effets néfastes du glyphosate, ce qui pourrait influencer les décisions réglementaires.
Développement de technologies alternatives : L'avancée dans les méthodes de culture et les alternatives aux herbicides chimiques pourrait rendre le glyphosate obsolète.
Changements Politiques et Réglementaires
Pression des mouvements écologiques et de santé publique : Une prise de conscience accrue et une pression populaire pourraient pousser les gouvernements à interdire ou à restreindre sévèrement l'utilisation du glyphosate.
Décisions politiques nationales et internationales : Des pays peuvent décider unilatéralement d'interdire le glyphosate, ou des entités supranationales comme l'Union européenne pourraient imposer des restrictions plus strictes. Facteurs Économiques et Industriels
Coûts et bénéfices pour l'agriculture : Si les coûts liés à l'utilisation du glyphosate ( en termes de santé publique et d'impact environnemental) dépassent ses bénéfices économiques, cela pourrait motiver son interdiction.
Influence de l'industrie agrochimique : Les sociétés agrochimiques ont une influence considérable sur les politiques agricoles. Leurs investissements dans des alternatives ou leur résistance à l'interdiction joueront un rôle important.