Ville pionnière de l’écologie, Totnes continue d’explorer mille alternatives
Il s'agit là d'un exemple typique des charmantes petites gares disséminées dans la campagne anglaise, dotée d'une imposante cheminée d'usine et d'un terrain de sport, préfigurant des collines verdoyantes et un entrelacs de ruelles chargées d'histoire. À première vue, Totnes, située à une demi-heure de Plymouth et à quelques kilomètres de la côte du Devon en Angleterre, ne semble pas correspondre à l'image d'une commune hippie ou d'un havre pour retraités passionnés de jardinage.
Les parkings y affichent autant de SUV brillants que partout ailleurs, sous un crachin persistant. Hal Gillmore, au volant de son véhicule utilitaire, sourit. « En effet, ce n'est pas le paradis de l'écologie version grand luxe ! C'est un village comme les autres, avec ses problèmes habituels ! » Cependant, Totnes se distingue en tant que précurseur : elle est la toute première ville en transition. Et près de vingt ans après avoir initié ce mouvement, elle continue d'être une source d'inspiration mondiale. En y regardant de plus près, on découvre des panneaux solaires sur le toit de la mairie, des plantes comestibles un peu partout, un grand magasin bio en centre-ville, des boutiques de seconde main aux vitrines originales... et moins de chaînes de magasins qu'ailleurs, lui conférant une allure quelque peu hors du temps. En 2007, Time Magazine la qualifiait de « capitale du New Age chic ». Certains vont même jusqu'à dire qu'elle serait jumelée avec Narnia.
Hal Gillmore tourne sur le pont qui traverse la rivière Dart et contourne le centre-ville. Il est souvent celui qui guide les touristes et les écoliers français à la recherche d'une expérience britannique atypique. Originaire de la région, il a voyagé et étudié ailleurs avant de revenir à Totnes en 2007.
À cette période, Rob Hopkins, un professeur et écologiste britannique, s'est installé dans la région et a fondé « Transition Town Totnes » quelques mois auparavant avec un groupe d'activistes conscients de l'urgence climatique. Désirant adopter un mode de vie plus écologique et réduire leur dépendance énergétique, ils ont choisi de démarrer le changement à l'échelle locale. La transition s'articule autour de projets communautaires. Dès les premières années, de nombreuses initiatives émergent : le mouvement Les Incroyables Comestibles, l'isolation DIY des habitations, les groupes d'entraide... « Nous avons capté l'attention avant même de réellement commencer », se souvient Hal Gillmore, qui organise maintenant ses visites guidées pour l'entreprise locale Futurebound.
Le concept de « ville en transition » a rapidement capté l'attention, tant au Royaume-Uni qu'à l'étranger. Journalistes et chercheurs ont commencé à affluer. « Ce qui était perçu comme novateur à l'époque, c'était notre approche optimiste : l'idée de construire un monde où l'on désire vivre. »
Leur méthode d'action a également suscité l'admiration : la « ville en transition » n'est pas simplement une campagne, mais un ensemble d'initiatives communautaires offrant à chacun la possibilité de s'impliquer.
« Notre objectif est d'éveiller l'intérêt pour la nourriture : pour celle que l'on cultive et celle que l'on consomme » Actuellement, les projets embrassent des thématiques variées telles que la consommation énergétique, l'éducation, les transports, l'économie et l'alimentation, à l'image des Incroyables Comestibles, un concept originaire du nord de l'Angleterre et fermement établi à Totnes. Dans l'arboretum de Follaton, un parc situé en périphérie du centre-ville, c'est le moment de tailler les pommiers. Paul Bradbury, en compagnie de deux volontaires, partage son savoir-faire. Initialement, Totnes ambitionnait de devenir la capitale britannique du noyer, mais le climat en a décidé autrement, favorisant la plantation d'espèces plus adaptées à la région telles que les pommiers, poiriers, ainsi que divers légumes et herbes aromatiques répartis dans les nombreux potagers et bacs à travers la ville.
La menace d'attirer trop l'attention
Un autre projet ayant rapidement capté l'attention fut la monnaie alternative de Totnes, conçue pour encourager la circulation monétaire locale et soutenir les commerces de proximité. Malgré son succès initial auprès des visiteurs, cette initiative a fini par s'estomper après quelques années, bien qu'elle ait été imitée à Bristol, Stroud, voire même au Canada. À Totnes, elle a pris fin juste avant la pandémie. « Le système n'était pas aussi efficace qu'espéré. Les touristes l'appréciaient, mais il fallait constamment rappeler à la population son existence », souligne Hal Gillmore.
L'association Transition Town Totnes, fidèle à ses valeurs, cherche à stimuler l'économie locale en invitant les habitants à présenter leurs idées lors de forums dédiés à l'entrepreneuriat pour obtenir un financement. « C'est comme les canards sauvages : leur taux de survie est de 20 % dans la nature, contre 80 % en incubateur. Il en va de même pour les petites entreprises », affirme Hal Gillmore. Les propositions foisonnent : tannerie, culture de champignons, ateliers de pizza associés à des discussions sur la santé mentale... Malgré l'effort d'inclusion de toute la communauté, certaines initiatives ont suscité la controverse, comme le refus en 2012 d'autoriser l'ouverture d'un café Costa, une chaîne britannique réputée. Une employée d'une librairie spécialisée en horticulture et en environnement exprime ses craintes pour l'avenir : « J'ai peur que nous devenions trop attractifs et que la ville perde de son caractère unique. »
D'autres s'alignent sur l'esprit de Totnes et s'adaptent à sa culture distinctive : le mécanicien Elric Prynn se félicite de l'ouverture de Totnes aux moyens de transport alternatifs et propose des cours de réparation de vélos et des ateliers "thé et bricolage" pour combattre la solitude. Le succès de Totnes se traduit par une hausse des prix de l'immobilier, dépassant les moyennes régionales. La problématique du logement devient urgente avec le développement de nouveaux quartiers en périphérie.
« Nous devons moins nous concentrer sur la sensibilisation au problème qu'à influencer le débat politique »
Transition Town avait envisagé la construction de logements abordables et écologiques, mais le plan économique controversé de l'ancienne Première ministre Liz Truss, annoncé à l'automne 2022, a bouleversé les marchés et fait grimper les taux d'intérêt. Le projet a été repris par un investisseur s'engageant à maintenir les principes écologiques du plan initial et à convertir le projet en logements sociaux. Pour Hal Gillmore, cela témoigne d'une convergence entre les préoccupations globales et les ambitions de Totnes. « À nos débuts, nous évoluions dans un climat hostile où le scepticisme climatique était encore répandu. Aujourd'hui, le changement climatique et les énergies renouvelables sont des sujets connus de tous. Nous avons moins à lutter pour faire reconnaître le problème qu'à essayer de modifier le débat politique.
Notre rôle a évolué », conclut-il.