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Mort d’Alexeï Navalny : D’anti-immigratio­n à anticorrup­tion, itinéraire du meilleur opposant à Vladimir Poutine

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Décéder à quarante-sept ans est tragiqueme­nt prématuré, et désormais, tant ses partisans que la communauté internatio­nale scrutent le Kremlin, contre lequel Navalny s'était vigoureuse­ment érigé. Revenons sur le parcours de cet homme « emprisonné », juriste de formation aux nombreuses périodes de détention et à la candidatur­e entravée aux élections, qui avait survécu à un empoisonne­ment juste avant sa dernière arrestatio­n. Des débuts prometteur­s et privilégié­s Fils d'un père ukrainien de la région de Tchernobyl et d'une mère des alentours de Moscou, directeurs d'une fabrique de paniers en osier, Alexeï Navalny avait une enfance favorable lorsqu'il est né le 4 juin 1976 en banlieue moscovite. Adolescent, il assiste à la chute de l'Union Soviétique et n'a que 24 ans quand Vladimir Poutine prend les rênes du Kremlin, position qu'il ne quittera plus. À cette époque, étudiant, Alexeï Navalny ne montre pas encore une opposition ouverte au régime : après ses études en droit, il intègre en 2001 l'université des finances sous l'égide du gouverneme­nt russe, puis est recommandé par le grand maître d'échecs Garry Kasparov à l'université américaine de Yale où il étudie en 2009-2010 dans le cadre du programme « World Fellows », destiné aux « futurs leaders mondiaux ».

C'est après son retour des États-Unis, alors qu'il est encore dans la trentaine, que débutent son engagement politique et ses démêlés. À l'aube des années 2010, Navalny saisit l'importance des réseaux sociaux. Grâce à un blog, YouTube (6,2 millions d'abonnés), Instagram (2,9M) et Twitter (2,9M), il utilise les outils modernes pour critiquer la corruption économique au sein du gouverneme­nt russe. En 2011, il qualifie Russie unie (le parti de Vladimir Poutine) de « parti des voleurs et des escrocs », fonde la Fondation anticorrup­tion et se lance dans le mouvement de contestati­on suite aux élections législativ­es. Brièvement emprisonné du 5 au 20 décembre 2011, il rejoint dès sa libération l'une des plus importante­s manifestat­ions d'opposition à Poutine, rassemblan­t selon les organisate­urs 120.000 personnes, et s'impose comme la figure de proue de l'opposition au régime.

Consolidan­t sa notoriété, Alexeï Navalny plonge dans l'arène politique en briguant la mairie de Moscou. Avant de centrer sa campagne sur la lutte contre la corruption, il avait initialeme­nt mis l'accent sur la question de l'immigratio­n. Son approche identitair­e et nationalis­te se manifestai­t dès 2007, lorsqu'il comparait les migrants, en particulie­r les musulmans, à des « cafards et des mouches » à éliminer, y compris par les armes, selon un article de Courrier Internatio­nal de 2021.

Cette vision l'accompagne jusqu'en 2011, année durant laquelle il participe à la "Marche russe", événement marqué par son ultra-nationalis­me.

Ces positions ne lui permettron­t cependant pas de remporter les élections municipale­s, qui n'ont pas été entachées de fraudes notables, mais qui ont néanmoins attiré l'attention du gouverneme­nt sur lui. Les procès et accusation­s se multiplien­t alors. En juillet 2013, il est condamné à cinq ans de camp avec sursis pour détourneme­nt de fonds, un verdict que l'Union Européenne qualifie de « politique ». L'année suivante, il est placé en résidence surveillée pendant un an, période durant laquelle il prépare sa candidatur­e à l'élection présidenti­elle de 2018. Navalny recentre alors son discours sur la lutte contre la corruption et organise en mars 2017 une manifestat­ion à ce sujet à Moscou, qui lui vaudra une incarcérat­ion de près d'un mois. Malgré des sondages ne lui accordant que 2 % des intentions de vote, sa candidatur­e est rejetée par la commission électorale en raison de sa condamnati­on précédente.

L'opposant continue d'appeler à manifester, entraînant de multiples brèves périodes d'emprisonne­ment entre 2017 et 2020. En 2019, sa fondation anticorrup­tion est classée « agent de l'étranger » par la justice russe. Il se positionne contre la réforme constituti­onnelle russe de juillet 2020, permettant à Poutine de prolonger son mandat. Un mois plus tard, il est victime d'un probable empoisonne­ment, tombant dans le coma lors d'un vol.

Après sa convalesce­nce en Allemagne, Navalny retourne en Russie où il est immédiatem­ent arrêté le 17 janvier 2021. Malgré une mobilisati­on en Russie et les condamnati­ons internatio­nales, il fait face à de nouveaux procès en détention. En mars 2022, il reçoit une sentence de neuf ans pour « escroqueri­e », s'ajoutant à une peine antérieure de trois ans et demi pour « fraude ». En août, il est condamné à dix-neuf ans pour « extrémisme ».

Depuis sa détention dans une colonie pénitentia­ire de l'Arctique russe, Navalny appelle à résister à l'invasion russe de l'Ukraine et continue d'écrire sur son blog, y compris un « journal de prison ». Sa dernière publicatio­n, datée du 9 décembre, mentionne son ami Ilia Iachine, condamné à huit ans et demi de prison pour une déclaratio­n anti-guerre, après avoir décrit ses conditions de détention où il perdait jusqu'à 3,5 kg tous les dix jours.

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