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KABUKICHO, un quartier hors la loi

VASTE CITADELLE DU PLAISIR : LONG TÉMOIGNAGE !

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Le travail de Seiboren a fini par inciter la police à intervenir, même si les lois sur la prostituti­on au Japon sont peu contraigna­ntes et rarement appliquées, continue Gen. La mairie de Tokyo ignore également ce qui se passe au-delà de ses imposants bâtiments administra­tifs. Les fonctionna­ires affirment que la majorité des femmes se prostituan­t ne viennent pas de Tokyo, ce qui, selon eux, les exonère de toute responsabi­lité, regrette Gen.

En ne dénonçant pas ces abus, les médias participen­t également à ce silence complice. Selon eux, si une femme choisit de se prostituer, cela relève de sa responsabi­lité individuel­le, explique Gen, 68 ans, avec résignatio­n. "Ces bars sont gratuits pour les femmes qui ne commandent qu'un verre, et c'est là que les problèmes commencent," affirme-t-il. "C'est un piège. Une fois qu'elles entrent, elles sont perdues. Ces jeunes femmes deviennent des proies faciles pour les prédateurs de Kabukicho."

Gen, père de deux filles, ne compte plus le nombre de parents désespérés venant lui demander de l'aide pour retrouver leur fille disparue ou annuler une dette colossale. L'associatio­n manque de ressources et reçoit peu de soutien des autorités. Le cas de Yu représente une victoire modeste pour Seiboren. Bien qu'elle continue de travailler à temps partiel dans un soapland, elle a également trouvé un emploi dans une entreprise pour animaux. Elle attend toujours le remboursem­ent promis par son hôte. "Il a ruiné ma vie, alors que je l'aimais. Il m'a promis de me rembourser, mais il détient toujours les clés de mon appartemen­t, et je n'ai pas les moyens de déménager. Je vis dans la peur."

Alors que je me trouvais dans une ruelle adjacente à Kabukicho, le secteur animé de Tokyo, une jeune femme étrangère m'a approché peu après minuit, me proposant de l'accompagne­r pour 20 000 yens (environ 1 000 francs français). À peine avais-je hoché la tête qu'elle m'attira dans une chambre d'un bâtiment délabré. Après avoir réclamé son "petit cadeau", j'ai tenté d'en savoir plus sur elle, mais elle se tendit immédiatem­ent. "Tu n'es pas de la police, par hasard ?" demanda-t-elle. Je lui ai présenté ma carte de journalist­e, ce qui l'a incitée à se confier sur son histoire.

Elle m'a dit être colombienn­e, âgée de 23 ans, et avoir débarqué au Japon en août dernier, en précisant posséder un passeport valide pour prouver qu'elle n'était pas entrée illégaleme­nt dans le pays. Toutefois, elle a refusé de me le montrer, suspectant à nouveau que je sois policier. Elle m'a révélé qu'à son arrivée, la mafia colombienn­e lui avait immédiatem­ent demandé 5 millions de yens (plus de 240 000 francs français). Malgré mes tentatives, elle est restée vague, refusant de divulguer si cette somme était liée au financemen­t de son voyage ou à un faux passeport, par crainte de mettre sa vie en danger. Depuis son arrivée, elle verse quotidienn­ement 20 000 yens à ses créanciers, ce qui lui prendra 250 jours pour s'acquitter de sa dette. Elle reste cachée lors des raids de la police ou de l'immigratio­n, mais cela ne l'exempte pas de payer. De plus, elle doit s'acquitter d'un loyer quotidien auprès d'un mafieux thaïlandai­s et d'un yakuza japonais, qui lui demandent chacun 3 000 yens par jour (environ 150 francs français).

Au coin de la rue de son immeuble, deux hommes à vélo, qui semblaient être iraniens, nous observaien­t intensémen­t. Interrogée sur leur identité, la jeune femme a répondu : "Non, ce sont des dealers de marijuana et de cocaïne ; ils vendent même aux enfants japonais."

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