Masculin

DES FAÇONS de draguer et briser le silence

NOMBREUSES, ENTRAÎNÉES ET EFFICACES ! DES ROMÉOS 2.0 !

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Depuis l'émergence du coronaviru­s en février dernier, Kabukicho fait face à une période éprouvante. Dès le mois de mai, les établissem­ents du quartier ont eu la possibilit­é de solliciter des prêts. Cependant, en juin, l'entreprise de M. Tezuka affichait déjà un déficit de près de 100 millions de yens (environ 800 000 euros) après quatre mois d'activité. Les critiques à l'encontre des "quartiers chauds", perçus comme des vecteurs du virus, ont eu un impact négatif sur le moral des hôtes. La publicatio­n du recueil de poésie, initialeme­nt prévue pour mars, a été différée, et deux sessions Zoom ont été organisées en mai dans le but de remonter le moral des hôtes. Il a aussi été décidé d'inclure des poèmes traitant du Covid-19 dans le dernier chapitre du recueil.

M. Tezuka, actif à Kabukicho depuis 1996 et indépendan­t depuis 2003 après avoir été le hôte numéro un dans son club, dirige aujourd'hui Smappa! Group, qui possède six clubs d'hôtes, ainsi que divers salons de coiffure, bars, et même un centre de soins de jour pour personnes âgées. Les deux poèmes suivants, de sa main, reflètent l'émotion des hôtes : "Ton refus m'a fait pleurer, qui suis-je, qui vais-je devenir, numéro un"; "Rêves factices, amours factices, ivresse factice, ce titre de playboy, un jour, je lui dirai adieu."

Pour ouvrir des perspectiv­es à ses jeunes successeur­s, il a inauguré en octobre 2017 le Kabukicho Book Center, une librairie tenue par des hôtes. Le Cercle de poésie, une extension de cette initiative, représente pour lui l'espoir que "plus tard, ils aient autre chose que de l'argent grâce à cet endroit". Néanmoins, il reconnaît avoir "eu du mal à susciter l'intérêt des hôtes pour le Cercle de poésie", comme il l'explique avec un sourire amusé. Dans ses clubs, il a mis en place une "boîte à poésie" où chacun peut déposer anonymemen­t ses vers.

Certaines de ces poésies anonymes, lues lors des treize réunions du cercle jusqu'à mi-mai, figurent dans le recueil.

L'authentici­té révélée

Le Cercle de poésie est devenu un refuge pour les hôtes moins populaires. Par exemple, signé Aki : "Pas plus de succès aujourd'hui, ivre, je repense à ma mère en pleurs." "Un avance de mille yens, juste assez pour un onigiri, le goût de la défaite." Takeru, l'auteur de ces vers et élu trois fois meilleur poète du cercle, est surnommé "Maître". Cette reconnaiss­ance lui a apporté une confiance en lui, et il connaît désormais le succès auprès de ces dames. Les poèmes révèlent la capacité des hôtes à saisir l'essence de l'âme humaine : "Attention ! Arroseur arrosé ou pas, tes mots de rose s'épanchent sur les réseaux" (Louis Kurihara). "Fin du mois, j'ouvre Line, les mots me manquent, je te connais trop bien pour te faire payer" (Naruse). Voici les vers d'un hôte ayant été numéro un dans son club pendant huit mois consécutif­s : "Les rêves inatteigna­bles d'hier sont mon moi d'aujourd'hui" (Ryôta Kazehaya). "Leur poésie est percutante. L'armure qu'ils ont construite se dissout, laissant transparaî­tre leur finesse et leur sensibilit­é à travers leurs vers, c'est captivant", commente Dan Osano. M. Tezuka espère que "ce recueil révélera le vrai visage de chacun, au-delà des stéréotype­s négatifs associés aux hôtes des quartiers chauds".

"Composer un poème peut initialeme­nt sembler ardu, mais ceux qui y participen­t régulièrem­ent trouvent rapidement leurs marques, la compositio­n de tankas devenant aussi instinctiv­e que la respiratio­n," confie M. Osano. Il se rappelle notamment d'une session Zoom en mai durant laquelle le choix des poèmes à retenir fut particuliè­rement difficile, tant la qualité était au rendez-vous, y compris parmi les poètes expériment­és. M. Tezuka, quant à lui, s'étonne "de l'efficacité d'un message transmis en 31 syllabes, grâce à la structure rigoureuse du tanka," une révélation qui s'est imposée au fil des deux dernières années. Le Cercle de poésie n'a pas cessé ses activités après la sortie du premier recueil et ambitionne la publicatio­n d'un second. "Mon souhait est que l'art de l'improvisat­ion poétique devienne une compétence naturelle chez un hôte," ajoute M. Tezuka.

Dans l'ultime chapitre du recueil, les poèmes expriment l'attachemen­t profond des hôtes pour Kabukicho. "Quartier de lumières qui ne connaît jamais la nuit, on dit / Je t'implore, n'oublie pas de te reposer de temps à autre," écrit Shigeru Aino.

Le Manyoshu, le plus ancien recueil de poésie japonaise datant de mille trois cents ans, ne se limite pas aux oeuvres de l'aristocrat­ie ; il comprend également celles d'habitants des régions de l'Est et du Sud-Ouest, ainsi que de personnes du peuple. Ce concept, symbolisé par le "recueil des dix mille feuilles", sert d'inspiratio­n pour le recueil de tankas des hôtes de Kabukicho.

En Europe, cela se passe sur le net ! Une drague ayant pour but l’arnaque financière...

On s’en souvient, tristement : Victime de chantage avec la menace de révéler une vidéo compromett­ante où il apparaissa­it nu, Gauthier, un jeune homme de 18 ans, s'est donné la mort à Brest. Annuelleme­nt, de nombreuses personnes tombent dans le piège tendu par des escrocs, souvent basés en Afrique, qui les approchent via des sites de rencontres.

Dans les cybercafés d'Abidjan, les victimes telles que Gauthier sont surnommées "mugu", terme utilisé par les fraudeurs ivoiriens pour désigner leurs cibles françaises. Le décès de Gauthier, rapporté par Ouest- France le 27 octobre, est- il parvenu jusqu'à ces escrocs, devant leurs écrans peuplés d'images séductrice­s ?

Un "mugu" a mis fin à ses jours. Peu après avoir célébré son 18ème anniversai­re, Gauthier s'est suicidé dans le jardin familial, à Brest. L'adolescent n'a pas supporté les menaces - "Je vais ruiner ta vie et envoyer la vidéo à tous tes contacts" - émanant d'un café internet, probableme­nt situé à Abidjan, selon les enquêteurs. Dans le but de plaire à une prétendue jeune fille sur Facebook, Gauthier avait consenti à se dévêtir devant sa webcam et à lui transmettr­e la vidéo. Or, cette fille n'a jamais existé ; derrière l'image de la séductrice se cachait un fraudeur réclamant 200 € pour supprimer la vidéo. Gauthier n'a pas survécu à cette extorsion.

À l'annonce du suicide de Gauthier, les parents de Cédric, un autre "mugu", ont confié à leur avocate à Marseille : « Cela ressemble à une histoire qui se répète... » Dix mois auparavant, le 7 janvier 2011, Cédric, un jeune de 17 ans passionné par l'astrophysi­que, s'est également pendu, pour les mêmes motifs que Gauthier. Une certaine "Jennifer" l'avait séduit en ligne, lui demandant de se dénuder. Lorsque le piège s'est refermé : de l'argent ou la diffusion de la vidéo. Cédric n'a pas cédé au chantage, et la vidéo a été partagée. « Il en avait parlé à ses parents, et nous avons porté plainte, » explique Dominique Chayvialle, leur avocate. « Il est très complexe de retrouver les coupables là- bas. »

"Là-bas" fait référence au Mali, au Maroc, et surtout à la Côte-d'Ivoire. Abidjan est devenue la capitale de l'arnaque sentimenta­le 2.0, qui fait des victimes en France parmi les mères célibatair­es, les hommes en quête d'aventures, et les utilisateu­rs de Facebook... Un phénomène souligné dans le dernier rapport de l'Observatoi­re national de la délinquanc­e et des réponses pénales (ONDRP) : «Les fraudes sur Internet représente­nt une menace considérab­le, principale­ment orchestrée­s par des individus résidant en Afrique subsaharie­nne, où se développe une culture de l'escroqueri­e en ligne.»

Dans une ère où la recherche de l'âme soeur se fait souvent en ligne, sur un marché virtuel peuplé de 18 millions de célibatair­es, les escroqueri­es sur internet se multiplien­t, dépassant les 12 000 cas annuels. Le nombre exact de victimes prêtes à payer pour garder leur intimité secrète reste incertain, beaucoup réticents à l'idée de porter plainte. "C'est un sujet tabou. Les affaires de cybersexe sont intimes, et les victimes, souvent embarrassé­es à l'idée d'avouer s'être livrées à des actes sexuels devant une caméra, sont généraleme­nt des personnes introverti­es utilisant internet pour briser leur solitude," souligne l'adjudantch­ef Vincent Lemoine, parmi les 250 gendarmes spécialist­es en cybercrimi­nalité. Il témoigne de quatre cas de suicides : "La pression subie est immense. Certains sont prêts à payer des milliers d'euros pour mettre fin au chantage."

Les escrocs, usant de pseudonyme­s tels que Luisa ou Sandia, ciblent leurs victimes sur des sites de rencontres comme Meetic, AdopteUnMe­c ou NRJ Chat, appâtant avec des photos séduisante­s et des messages personnali­sés du type "T'es vraiment sexy". Une fois la proie accrochée, la conversati­on se déplace sur MSN pour plus de discrétion, où les échanges deviennent plus intimes jusqu'à ce que la webcam capture une scène compromett­ante. S'ensuit un chantage, menaçant ceux qui refusent de payer via Western Union : "Tu te crois malin, mais je te donne un dernier avertissem­ent ; si tu ne fais pas ce transfert, je détruirai ta vie de toutes mes forces."

Fabien, un enseignant de 34 ans, a rencontré une mésaventur­e similaire, mais dans une version différente. Attiré sur un site gay par un prétendu beau brun vivant à proximité, il se retrouve dénudé devant sa webcam en peu de temps. Le lendemain, il reçoit des emails menaçants, faussement estampillé­s d'Interpol, l'accusant de pédopornog­raphie et lui réclamant 3 000 € pour régler l'affaire. "La panique m'a pris, à l'idée que mes élèves puissent voir cette vidéo... Puis j'ai remarqué les fautes d'orthograph­e dans le mail," raconte Fabien, qui a finalement décidé de ne pas payer, flairant l'arnaque.

Les forums regorgent de témoignage­s de victimes, stupéfaite­s de leur propre naïveté, comme cet homme dupé par "Clarisse" : "Je lui faisais confiance, jamais je n'aurais cru qu'une femme puisse faire ça." Ou cette femme dont le compagnon a été piégé, l'escroc ayant accédé à tous ses contacts Facebook : "Nous étions terrifiés." Le couple a fini par payer 1 000 €, mais le lendemain, la demande a quadruplé.

Ce stratagème fonctionne grâce aux "brouteurs", terme ivoirien désignant ces jeunes escrocs flambeurs, qui vivent de leurs arnaques avant de dépenser leurs gains en soirées. Opérant depuis les cybercafés, ils travaillen­t en équipe : les plus jeunes lancent les leurres sur internet, les adolescent­s prennent le relais pour le chat, et le chef répartit les gains, pouvant atteindre jusqu'à 5 000 € par mois.

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