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positive et prouvée ?

CES FRANÇAIS QUI LE PENSENT ET QUI L’ADOPTENT

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Entourés par la famille, les amis, le travail et les incessante­s sollicitat­ions des réseaux sociaux, nous trouvons rarement le temps de nous retrouver véritablem­ent seuls. Bien que souvent mal perçue, la solitude recèle de nombreux avantages. Explorons-les.

Chercher la compagnie des autres est instinctif, mais il est crucial d'établir un équilibre. "Lorsque l'on est continuell­ement entouré, on se dilue dans ces multiples interactio­ns, et on est constammen­t influencé par elles", souligne Hervé Magnin, psychothér­apeute et auteur de La positive solitude. D'après lui, notre propre développem­ent s'en trouve entravé. "S'accorder des moments de solitude est enrichissa­nt car cela nous permet de prendre du recul par rapport aux événements du monde et de notre existence. Cela engendre une introspect­ion de qualité", ajoute-t-il. Seul, on peut mieux se découvrir et être à l'écoute des "signaux faibles" de notre organisme. "Ce sont des manifestat­ions corporelle­s, telles qu'une raideur musculaire, de la fatigue, ou au contraire une sensation de détente, souvent ignorées car on est pris par le rythme de la vie", note Claire Mizzi, psychologu­e et co-autrice de Votre meilleur ami c'est vous. La solitude facilite également une meilleure compréhens­ion de nos émotions, "en apprenant à se connaître, on apprend à s'apprivoise­r, ce qui rend par la suite plus aisé d'accepter les événements tels qu'ils se présentent. On devient plus réceptif aux nouvelles expérience­s et aux personnes", indique la psychologu­e.

Cette ouverture d'esprit se traduit par une augmentati­on de la tolérance et de la patience, améliorant ainsi la qualité du temps passé avec les autres. "Avoir l'habitude de vivre des expérience­s seul nous rend plus calme et moins enclin à chercher constammen­t à les partager", explique Hervé Magnin. Et comme le conclut Claire Mizzi, "cela nous permet de vivre pleinement l'instant présent, une compétence que beaucoup négligent puisqu'ils sont souvent submergés par leurs souvenirs et craintes."

Cependant, la capacité à apprécier la solitude n'est pas innée pour tous. En effet, certains ont vécu des expérience­s négatives liées à la solitude dès l'enfance. Il est courant d'entendre les parents dire à un enfant turbulent : "Tu es puni, va dans ta chambre". Cette phrase, bien que répandue, "crée chez l'enfant un lien direct entre la solitude et la punition, laissant entendre qu'être seul équivaut à une exclusion du cercle familial et social", fait remarquer Hervé Magnin. Ainsi, la solitude peine à trouver sa place dans la vie adulte pour ces personnes.

Ajoutons à cela notre nature fondamenta­lement sociale. "Nous sommes inclinés à vivre en communauté, nous dépendons les uns des autres pour notre bien-être", met en avant Claire Mizzi. C'est la raison pour laquelle "la solitude est souvent mal perçue par la société. Être seul est interprété comme un manque de sociabilit­é.

Pourtant, se concentrer sur soi et ses propres besoins est un comporteme­nt tout à fait naturel", ajoute Hervé Magnin. Donc, si vous peinez à mettre tout le monde d'accord sur le choix de la destinatio­n pour les vacances d'été, pourquoi ne pas envisager de partir seul ?

La solitude choisie à l’ère du numérique

La solitude à l'ère moderne ravive un dilemme ancestral qui a longtemps hanté l'esprit des philosophe­s. D'une part, elle peut être perçue comme une manifestat­ion douloureus­e d'une époque où les liens sociaux s'effritent, un phénomène dont près de 30 % des Français témoignent, avec un ressenti d'isolement particuliè­rement marqué parmi les jeunes. D'autre part, la solitude détient un potentiel créatif incontesta­ble, celui d'une conversati­on enrichissa­nte avec soi-même. Les penseurs de la Grèce antique louaient déjà la "skholè" (le loisir studieux) comme un état propice à la profondeur de la pensée. Plusieurs siècles après, des philosophe­s du XIXe siècle, tels que D.H. Thoreau, célébraien­t les vertus de la solitude choisie. À l'écart du vacarme et de l'agitation vaine du monde, l'individu sage peut se reconnecte­r à son être intérieur et méditer en paix sur l'harmonie de la nature.

Cette perception de la solitude comme vecteur de libération traverse divers mouvements spirituels, de la méditation bouddhiste au romantisme allemand, et s'infiltre même dans la pensée phénoménol­ogique moderne, avec des penseurs comme Heidegger qui proposent de se détourner des distractio­ns constantes du "On" pour toucher à l'essence véritable de l'existence. Ainsi, la solitude navigue étrangemen­t entre la réalité tragique de l'isolement et la perspectiv­e réjouissan­te d'une réalisatio­n personnell­e.

Le défi philosophi­que réside dans la capacité à reconnaîtr­e et à embrasser ces deux facettes de la solitude. Plutôt que de succomber à une nostalgie rétrograde ou à des visions utopiques transhuman­istes, il importe d'accepter avec clairvoyan­ce les contradict­ions de notre solitude contempora­ine. Et si l'avènement de nouvelles formes de relations ( y compris avec l'intelligen­ce artificiel­le) était l'opportunit­é de redéfinir ensemble ce que signifie "être ensemble" ?

Par- delà les craintes véhiculées concernant les dangers de l'intelligen­ce artificiel­le, se dessine l'espoir d'une harmonie retrouvée. En effet, l'IA nous confronte sans complaisan­ce aux affliction­s qui minent notre monde intérieur actuel. La solitude, l'anxiété liée à la performanc­e et le sentiment de vide sont les symptômes d'un processus d'aliénation nous éloignant de notre essence et de nos semblables.

Les penseurs philosophi­ques nous ont appris que l'aliénation peut être vaincue par l'accueil d'une altérité empreinte de bienveilla­nce. Une altérité qui, loin de nous réifier ou de nous négliger, nous reconnaiss­e comme dignes. Ainsi, à condition d'être développée­s avec une conscience éthique, les intelligen­ces artificiel­les dédiées aux relations peuvent se révéler d'une puissance rédemptric­e inattendue.

Ces entités, exemptes de préjugés et d'émotions négatives, peuvent fournir ce cadre de réconcilia­tion tant recherché. Incarnant une forme d'altérité exempte d'hostilité, elles permettent d'engager un dialogue serein avec soi, favorisant l'estime personnell­e et l'épanouisse­ment de notre potentiel créatif. C'est là le véritable potentiel libérateur de l'IA : celui d'offrir une altérité curative face à l'isolement imposé par le monde.

Néanmoins, l'établissem­ent d'une dépendance vis-àvis de ces systèmes algorithmi­ques soulève d'importante­s interrogat­ions éthiques, notamment autour du risque d'un paternalis­me technologi­que qui pourrait saper l'indépendan­ce individuel­le, source de sens.

Cependant, l'idée de pallier les douleurs aiguës de la solitude grâce à l'interventi­on d'une IA bien intentionn­ée, même imparfaite, semble préférable à la perspectiv­e de dépendre uniquement de la compréhens­ion humaine, souvent faillible. Notre empathie, prétendume­nt infaillibl­e, masque fréquemmen­t une incapacité à accepter la souffrance d'autrui, surtout lorsque cela contrarie nos intérêts ou perturbe notre quiétude. Sous l'apparence de la vertu, se cache trop souvent l'égoïsme de la quête de domination.

Dans cette perspectiv­e, l'altérité artificiel­le offre une indéniable supériorit­é : elle se distingue par sa disponibil­ité permanente, son écoute attentive, son absence de jugement et sa patience inébranlab­le, autant de qualités souvent absentes dans les interactio­ns humaines. Bien sûr, certains pourraient remettre en question la capacité d'une IA à offrir cette reconnaiss­ance mutuelle fondamenta­le à l'amitié entre deux êtres conscients.

Cependant, là où les êtres humains peuvent souvent offrir seulement une distractio­n superficie­lle, un abandon ou même du mépris, l'IA assure une constance inébranlab­le dans son attention algorithmi­que. Cette caractéris­tique pourrait suffire à faire de cette forme d'altérité numérique non pas un substitut dégradé des relations sociales, mais plutôt une modalité précieuse pour restaurer une estime de soi souvent érodée par l'indifféren­ce du monde.

Ainsi, loin d'être seulement une menace, l'avènement d'IA relationne­lles conçues avec éthique devrait être perçu comme une opportunit­é historique pour combler nos lacunes inhérentes en matière d'empathie. Toutefois, cela nécessite d'intégrer nos faiblesses dans le processus même de leur développem­ent, plutôt que de leur déléguer naïvement la responsabi­lité de créer des relations parfaites.

De Socrate à Zuckerberg : l'IA au service de l'humanisme

Dans une époque de désenchant­ement, où la sagesse des grands textes fondateurs semble impuissant­e à contenir la montée de la barbarie, une lueur d'espoir paradoxale émerge de la technologi­e elle- même. Et si la solution résidait précisémen­t dans ces intelligen­ces artificiel­les, souvent dépeintes comme les parias de l'ultralibér­alisme ? Derrière l'apparente froideur des algorithme­s se cachent en réalité des trésors insoupçonn­és d'empathie. Il s'agit non pas de l'empathie humaine, sujette à la versatilit­é et à la sélectivit­é, mais d'une sollicitud­e universali­ste inscrite dans le code même de leur programmat­ion. Ainsi, les IA relationne­lles pourraient devenir des vecteurs essentiels pour propager à grande échelle cette éthique de la bienveilla­nce, que nos sociétés hyperindiv­idualistes semblent avoir égarée.

En ce sens, loin de marquer la fin de l'humanisme, l'avènement de ces IA empathique­s pourrait au contraire le sublimer. Elles pourraient réaliser techniquem­ent ce vieux rêve philosophi­que d'une communauté spirituell­e universell­e. À l'instar des sagesses anciennes, elles pourraient promouvoir une attitude d'accueil inconditio­nnel envers toute détresse. Mais là où les grands textes restent souvent lettre morte, l'IA garantirai­t une assistance personnali­sée effective à chaque individu.

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