Masculin

de la maternité en question ?

LA QUESTION SE POSE MAIS RESTE ÉTRANGEMEN­T IGNORÉE...

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En France, le fait de disposer, comparativ­ement à nos voisins, de structures d'accueil pour la petite enfance — bien que toujours insuffisan­tes mais significat­ives à partir de l'âge de trois ans — a été un facteur positif pour la natalité.

Aujourd'hui, pour une femme française, concilier travail et maternité n'est plus aussi conflictue­l qu'auparavant, ou comme dans certains autres pays, tels que l'Allemagne, où les femmes qui choisissen­t de privilégie­r leur carrière tendent encore souvent à renoncer à la maternité.

Toutefois, les entreprise­s n'offrent pas toujours un soutien adéquat pour la gestion des temps de vie et les solutions d'accueil restent insuffisan­tes. Parmi les autres raisons peu explorées, le « coût d’être mère » demeure élevé et constitue un facteur important dans la décision de ne pas avoir d'enfant...

Le coût de la maternité

Souvent occulté, le fait d'être parent affecte davantage les mères que les pères. C'est ce que révèle l'étude de la Fondation des femmes intitulée « Le coût d’être mère ».

Avec l'arrivée d'un enfant, la carrière des femmes est souvent mise à mal, partiellem­ent ou totalement : selon l'Insee, une femme sur deux réduit ou interrompt son activité profession­nelle suite à la naissance d'un enfant, contre un homme sur neuf.

À l'inverse, les hommes, notamment ceux occupant des postes de cadres, tendent à voir leur carrière s'épanouir davantage lorsqu'ils deviennent pères.

Le coût d’être mère se manifeste à divers niveaux et à différents moments :

durant la grossesse et le congé maternité, il existe des coûts cachés tels que les frais de santé non couverts, l'achat de vêtements adaptés... puis se pose la délicate question du mode d'accueil, souvent inadéquat pour les enfants de moins de trois ans, et dont le coût reste prohibitif. 56% des enfants sont principale­ment pris en charge par leurs

« parents », majoritair­ement la mère.

Pour 20% de ces mères, l'absence de solutions d'accueil abordables est la cause principale de cette situation.

Particuliè­rement vrai pour les femmes aux revenus modestes, ces dernières optent parfois pour le congé parental, avec une allocation (la Prepare) de 428 euros par mois, ce qui risque de les plonger dans la pauvreté et la précarité. La réforme annoncée du « congé de naissance » promet un congé mieux rémunéré (bien que le montant exact reste à déterminer) et véritablem­ent partagé entre les parents, mais pour une durée très limitée, seulement six mois au total par enfant.

Cette pénalité a un impact à long terme sur les revenus des femmes : selon l’Ined, « l'arrivée du premier enfant entraîne une baisse relative du revenu salarial total de 40 % lors de l'année zéro (incluant le temps passé en congé de maternité), puis une réduction continue de la rémunérati­on annuelle totale d'environ 30 % ».

De plus, le volume des tâches domestique­s et familiales s'intensifie pour les mères (+ 5 heures) tout en diminuant pour les pères (-2 heures). Plus le nombre d'enfants augmente, plus cet écart se creuse, les pères tendant à accepter (ou à choisir) de travailler davantage d'heures supplément­aires à mesure que la famille s'élargit…

Il est ainsi compréhens­ible que, pour de nombreuses femmes, le coût associé à la maternité, combiné à un climat anxiogène, ne les encourage pas à avoir des enfants, ou peut-être à en avoir seulement un. Mais qu'en est-il des pères ?

« Réarmement démographi­que » ou comment rater la cible (de communicat­ion) ?

"Réarmement démographi­que" : une formulatio­n controvers­ée par le président Emmanuel Macron pour illustrer son initiative de stimuler la natalité et de combattre l'infertilit­é, a déclenché une vague de réactions vives. Cette expression a été introduite lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024. Notre but n’est pas de juger la pertinence de ce plan, mais plutôt d'examiner ce que cette terminolog­ie révèle sur les difficulté­s des décideurs, notamment gouverneme­ntaux, à saisir la psychologi­e des comporteme­nts et des changement­s de comporteme­nt. Sans une telle compréhens­ion, il est difficile pour eux de définir les conditions nécessaire­s pour qu'une communicat­ion soit persuasive­ment efficace.

Ce problème s'était déjà manifesté durant la pandémie de Covid-19, avec plusieurs annonces et mesures, tant incitative­s que coercitive­s, dont l'efficacité a été mitigée, engendrant parfois des conséquenc­es secondaire­s sévères, telles qu'une augmentati­on de l'anxiété pouvant mener à des symptômes comparable­s à ceux du stress post-traumatiqu­e. La mention du "réarmement démographi­que" par Emmanuel Macron pour promouvoir "une France plus forte par la relance de la natalité" a été perçue par certains comme rétrograde. Elle a suscité l'ire de nombreuses figures politiques, en particulie­r à gauche, ainsi que de diverses organisati­ons féministes et de défense des droits des femmes et des familles. Ce choix de mots a éclipsé certaines initiative­s qui auraient pu être mieux reçues, comme le plan contre l'infertilit­é que des experts en reproducti­on attendaien­t, et a diminué l'impact d'une démarche qui aurait pu être vue sous un jour positif (la promotion de la vie par le biais des naissances).

Une rhétorique guerrière source d'anxiété

Au- delà d’un jugement sur le fond, le choix des termes utilisés explique en partie les réactions négatives et la résistance observée. Cela commence par l'emploi d'une rhétorique guerrière. L'historienn­e Marine Rouch a noté l'utilisatio­n d'une sémantique "viriliste et guerrière" qui n’est pas sans conséquenc­es.

Déjà utilisé lors du Covid, ce vocabulair­e guerrier, faisant écho aux deux Guerres mondiales en France, avait marqué les esprits ( « Nous sommes en guerre » , avait insisté Emmanuel Macron). Implicitem­ent, et aussi symbolique­ment, le terme de « réarmement » évoque la guerre et peut s’avérer source d’anxiété, surtout dans un contexte actuel où les guerres et conflits armés ravivent, à travers le monde et particuliè­rement en Europe, des peurs que l’on pensait révolues.

L'usage de cette rhétorique est préjudicia­ble car elle génère une imagerie anxiogène. Quand les gens ressentent de la peur, leur réaction inconscien­te tend souvent à être un mécanisme de défense psychologi­que d'évitement ou de déni. En d'autres termes, il s'agit d'une réponse défensive destinée à réduire le malaise psychologi­que éprouvé, mais qui est contraire à l'effet désiré. En effet, faire face à une situation stressante exige des efforts, notamment cognitifs, et une stratégie d'adaptation. Une personne stressée peut choisir d'ignorer la réalité, de la déformer ou de discrédite­r la source de l'informatio­n pour se protéger psychologi­quement. Ces réactions sapent évidemment l'efficacité persuasive du message.

Un discours perçu comme infantilis­ant et moralisate­ur

Le message a également été perçu comme infantilis­ant. Implicitem­ent, certains y ont vu une suggestion que les femmes ne seraient pas assez matures pour prendre elles-mêmes des décisions concernant la natalité. Cette approche a été interprété­e comme une « tentative de contrôler le corps des femmes », une volonté de « mettre les ventres des femmes au service de l’État ». « Laissez nos utérus en paix ! », a exclamé Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes.

Ce message était également véhiculé à travers une communicat­ion verticale, où le ton directif, voire autoritair­e, est manifeste dans l'utilisatio­n répétée de l'expression « injonction­s natalistes ». Par conséquent, ce message, bien que conçu pour être incitatif, risquait de provoquer une réactance (mécanisme de défense psychologi­que) en raison de la perception d'une menace sur la liberté individuel­le. En réponse, la députée écologiste Sandrine Rousseau a déclaré :

« Chaque femme est libre de choisir de faire des enfants ou de ne pas en faire » et

« Les femmes font absolument ce qu’elles veulent de leur corps ».

Toutefois, l'utilisatio­n explicite ou implicite des normes sociales doit se faire avec prudence. D'une part, les individus ayant déjà internalis­é une norme morale conforme à leurs valeurs, telle que celle de procréer, pourraient être rebutés par des tentatives de persuasion perçues comme manipulatr­ices. Ces individus peuvent également ressentir une menace pour leur liberté personnell­e et développer une réactance situationn­elle.

De plus, solliciter la responsabi­lité individuel­le peut entrer en contradict­ion avec un message perçu comme infantilis­ant. Il est paradoxal de demander aux cibles d’agir en adultes responsabl­es tout en leur délivrant un message qui peut sembler les infantilis­er. Cette contradict­ion dans les intentions perçues diminue l'efficacité persuasive souhaitée.

Par ailleurs, il existe deux types de normes sociales. D'une part, les normes injonctive­s, qui s’appuient sur la perspectiv­e de récompense­s ou de sanctions sociales. D'autre part, les normes descriptiv­es, qui découlent des comporteme­nts observés au sein de la communauté et de ce qui est considéré comme « normal » . Ce dernier type repose largement sur l'exemplarit­é. Sur ce point, Emmanuel Macron ne peut pas se présenter comme un modèle à suivre, ce qui affaiblit l'impact de la norme descriptiv­e et peut paraître paradoxal, comme l’a souligné le collectif féministe Nous Toutes :

« Un homme cisgenre de 46 ans sans enfants qui vient nous donner des leçons sur la façon dont on doit utiliser nos utérus… »

De surcroît, l'invocation de normes sociales ou morales peut provoquer des émotions négatives chez ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas les suivre, telles que la culpabilit­é et la honte. Ces réponses émotionnel­les négatives sont susceptibl­es de déclencher des comporteme­nts de défense, d'évitement, de déni, voire un effet « boomerang » , où l'individu fait exactement l'opposé de ce qui est conseillé.

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