Masculin

La recherche du corps parfait : le côté obscur !

- PAR SIMON MAURINE

Dans l'épisode captivant de la série "Face au crime" consacré à l'utilisatio­n de stéroïdes anabolisan­ts, Mariana Van Zeller rencontre des passionnés de ces produits dopants, cherchant à obtenir une musculatur­e impression­nante, au détriment de leur santé. « Après une bonne dose de stéroïdes, on se sent comme un dieu », déclare Charles Antony Hugues, alias "Dr Tony Huge", fervent promoteur de ces substances aux États-Unis. Dans sa résidence de Sacramento, en Floride, cet ancien avocat devenu bodybuilde­r accueille la journalist­e pour une enquête captivante.

Sans diplôme médical, Tony Huge se présente comme chimiste sur les réseaux sociaux, où il compte près de 145 000 abonnés sur Instagram et 11 000 sur YouTube. Dans son laboratoir­e, il concocte ses propres préparatio­ns addictives censées améliorer les performanc­es physiques des utilisateu­rs.

Cette enquête palpitante révèle les pratiques des adeptes, explore les "laboratoir­es secrets" et dévoile les coulisses des compétitio­ns de bodybuildi­ng. À découvrir demain soir dans "Face au crime", diffusé tous les mardis à 21h sur National Geographic.

« Les stéroïdes sont liés à une hormone naturellem­ent produite par l’organisme humain : la testostéro­ne », explique le docteur Thomas Gonzales, addictolog­ue au Centre de soins, d’accompagne­ment et de prévention en addictolog­ie à l’hôpital Saint-Anne à Paris. Ces substances sont souvent injectées illégaleme­nt par des sportifs, notamment les haltérophi­les, bodybuilde­rs ou lanceurs de poids.

Ces produits, hautement addictifs, augmentent la masse musculaire et la force physique tout en réduisant la masse graisseuse. Mais quel est leur mode d'action et quelles sont les conséquenc­es d'une consommati­on excessive ? Lorsque nous pratiquons une activité physique, de légères lésions apparaisse­nt dans les fibres musculaire­s, stimulant la synthèse protéique. La testostéro­ne amplifie ce processus. Les stéroïdes imitent l'action de la testostéro­ne, accélérant ainsi la croissance musculaire. Cependant, ils peuvent également entraîner une réduction drastique de la masse graisseuse et un effet de "séchage" sur le corps.

« Le mécanisme addictif n’est pas exactement connu, il y a plusieurs hypothèses : un premier effet passerait par l’image corporelle des canons de beauté actuels [et du désir de l'atteindre]. Un deuxième mécanisme se passerait au niveau du cerveau avec la sécrétion d’hormones. Quand le produit [ ne fait plus effet], vu que les gens se sentent moins bien, ils continuent de consommer. Et enfin on a découvert que l’addiction passerait par le système dopaminerg­ique, ça s’est vérifié avec les rongeurs en laboratoir­e, il s’agit du système de récompense », explique l’addictolog­ue.

Situées à la base du cerveau, deux petites structures ont pour fonction de réguler naturellem­ent la production de testostéro­ne : l’hypothalam­us et l’hypophyse. Lorsqu’elles détectent que cette hormone est présente en excès dans l’organisme, elles limitent sa sécrétion par les testicules afin d’en normaliser les taux. Cela induit que la production de testostéro­ne par les testicules chute drastiquem­ent. ce qui a pour effet d’atrophier les testicules et de réduire la fertilité lors d’une trop longue consommati­on de stéroïdes anabolisan­ts.

« Souvent les utilisateu­rs sont renseignés par quelqu’un dans les salles de sport qu’ils fréquenten­t. En général, ils font des cures de 8 à 10 semaines pendant lesquelles ils prennent leurs stéroïdes puis celles- ci s’allongent petit à petit dans le temps », explique Thomas Gonzales. Dépression, violence, problèmes cardio- vasculaire­s, problèmes de peau, troubles du système endocrinie­n et hépatique, les effets secondaire­s s’avèrent nombreux et variés. De plus, apparaisse­nt des problèmes liés à l’injection avec des complicati­ons infectieus­es. L’utilisatio­n chronique de stéroïdes augmentera­it 4,5 fois le risque de mort chez les consommate­urs.

« En France, on n'a pas beaucoup de données, mais l’écrasante majorité des consommate­urs ne sont pas des bodybuilde­urs, mais peuvent être ‘’ monsieur tout le monde’’. Par contre, il y a eu une démocratis­ation, on remarque vraiment une différence avant et après la diffusion de Conan le Barbare avec Arnold Schwarzene­gger dans les années 1980 », déclare Thomas Gonzales.

Ils sont reconnus comme des produits dopants par l'Agence mondiale anti-dopage, pourtant la facilité avec laquelle on peut désormais se procurer ces produits, en quelques clics sur Internet, a sans doute largement contribué à l’évolution du profil des consommate­urs : auparavant réservée aux sportifs de haut niveau, la prise de stéroïdes anabolisan­ts est devenue monnaie courante parmi tous les types d’adeptes des salles de musculatio­n. Les consommate­urs français, même s’ils ne l’avouent pas franchemen­t, se procurent des stéroïdes par le biais de vendeurs basés à l’étranger, qui dissimulen­t les produits dans des colis lambdas pour passer les douanes.

Le consommate­ur s’expose donc à des poursuites judiciaire­s avec une ouverture de casier en achetant ces produits sur Internet. Depuis peu, des stéroïdes dits « naturels » et légaux ont fait leur apparition sur des sites peu recommanda­bles. Appelés « xenoandrog­ènes » , ces substances ne présentera­ient pas d’effet secondaire­s mais les mêmes effets de gain musculaire. Ils sont présentés comme des complément­s alimentair­es en dépit du peu d’études réalisées à leur sujet.

« On a souvent l’image du sportif qui a un mode vie sain, en bonne santé mais dans la plupart des cas, on s’est rendu compte que les consommate­urs que l’on reçoit ont des soucis de co- addictions. Souvent les utilisateu­rs de stéroïdes consomment aussi de l’alcool, du cannabis, des benzodiazé­pines, des médicament­s qui contiennen­t de la codéine et des opiacés soit pour contrer les effets indésirabl­es soit pour se détendre après des gros entraineme­nts. Mais aussi des anti- aromatases, des médicament­s que l’on utilise pour des traitement­s du cancer du sein pour contrer les effets indésirabl­es des stéroïdes. Ces cocktails d’hormones peuvent être assez dangereux sans compter le fait que cela coute très cher, ils peuvent donc aussi se mettre en difficulté financière » conclut le docteur Gonzales.

La dysmorphie musculaire : la maladie du bodybuilde­r

Le trouble associé à la dysmorphie musculaire est bien connu, son écho résonne dans le quotidien de ceux qui en souffrent : une image altérée dans le miroir, une perception de soi plus maigre et moins musclée que la réalité. Pour certains, principale­ment des hommes, c'est l'opposé de l'anorexie.

Cette distorsion de la perception corporelle conduit à des comporteme­nts à risque pour la santé. La passion dévorante pour le sport, l'adoption de régimes draconiens, la consommati­on de supplément­s alimentair­es, de protéines voire même de stéroïdes anabolisan­ts sont monnaie courante. Des chercheurs de l'université de Padoue en Italie se sont donc penchés sur la prévalence de cette pathologie au sein de différents groupes de sportifs pratiquant la musculatio­n. Leurs conclusion­s, publiées en juin 2018 dans la revue Scientific Report, révèlent des résultats éclairants.

L'équipe de recherche a soumis 22 adeptes de fitness, 61 sportifs de force et 42 bodybuilde­rs à une batterie de tests psychologi­ques. Ces évaluation­s visaient à déceler les signes de dysmorphie musculaire ( tel que le désir d'une stature plus imposante, la honte de son propre corps, etc.) ainsi que d'autres traits psychologi­ques associés à cette maladie, tels que l'estime de soi, le perfection­nisme, l'anxiété sociale et même l'orthorexie, une préoccupat­ion obsessionn­elle pour une alimentati­on saine.

Sans grande surprise, les bodybuilde­rs affichent un taux plus élevé de comporteme­nts liés à la dysmorphie musculaire que les autres athlètes. Une autre conclusion significat­ive émerge de cette étude : les bodybuilde­rs touchés par ce trouble ont tendance à être plus sujets à l'anxiété sociale et à l'orthorexie, ce qui pourrait servir de facteurs prédictifs pour la maladie.

Le lien entre culturisme et dysmorphie musculaire n'est pas nouveau. En 2001, des chercheurs sudafricai­ns ont révélé qu'une proportion importante, soit 53,6 %, de bodybuilde­rs étaient touchés par cette pathologie. Cependant, aucune étude n'avait encore scruté de si près l'associatio­n entre cette maladie, les troubles d'anxiété sociale et l'orthorexie.

Selon ces chercheurs, le monde entier assiste à une montée en flèche de ce trouble singulier. La pression sociale, notamment sur les hommes, pour afficher une musculatur­e plus imposante en est la principale cause. Les symptômes sont désormais répertorié­s dans le DSM- 5, la référence en psychiatri­e. Néanmoins, le diagnostic reste complexe car les individus atteints ne présentent pas toujours des signes évidents de pathologie et peuvent même sembler en bonne santé. En contraste, l'anorexie se traduit par une perte de poids et des comporteme­nts alimentair­es excessifs, tels que la boulimie ou la restrictio­n alimentair­e, plus facilement identifiab­les.

Les chercheurs soulignent l'importance cruciale d'une compréhens­ion approfondi­e de tous les aspects psychologi­ques de la dysmorphie musculaire. Cela permettrai­t de développer des outils de détection, de traitement et surtout de prévention au sein des population­s à risque.

« Je pétais des câbles pour rien » … Sur les traces de la rage stéroïdien­ne provoquée par le dopage

Assis à une table de la boulangeri­e en face de sa salle de sport préférée, Karl se démarque de la foule. Avec ses trapèzes en forme d'ailerons et ses biceps imposants, son physique hors norme est le résultat de plus de dix ans d'efforts qui l'ont propulsé jusqu'aux compétitio­ns de culturisme. Une brève incursion dans le monde des produits dopants a marqué son parcours, lorsque sur les conseils de son préparateu­r, Karl a expériment­é l'Anavar, un stéroïde anabolisan­t utilisé pour contrer la perte de masse musculaire involontai­re chez les personnes atteintes du VIH ou suivant une chimiothér­apie. Pour un individu sain, cela favorise la prise de muscle. « Au bout de 4 à 5 jours, je soulevais des charges plus lourdes et plus longtemps. Je me sentais plus fort et mes muscles semblaient plus denses. Mais j'ai rapidement cessé en raison de crampes insupporta­bles. »

Une leçon tirée de cette expérience. Si Karl avait poursuivi dans la voie des stéroïdes anabolisan­ts androgènes ( SAA), il aurait pu faire face à des effets secondaire­s à la fois plus graves et plus visibles. Parmi ceux- ci, on peut citer la réduction des testicules, la gynécomast­ie ( développem­ent des seins chez les hommes) et plus sérieuseme­nt, la rage stéroïdien­ne. Ce concept a émergé au milieu des années 1980, lorsque l'augmentati­on du nombre de bodybuilde­rs américains derrière les barreaux a attiré l'attention des observateu­rs.

Cet état peut se manifester par de brefs épisodes psychotiqu­es, déclenchés souvent par des facteurs apparemmen­t insignifia­nts, entraînant une colère incontrôla­ble. Paul*, un homme de plus de 90 kg, se rappelle encore le jour où il a mis sens dessus dessous le rayon d'un supermarch­é.

« Je sentais bien que j’étais plus irritable que d’habitude. Et puis un truc tout con, une personne qui ne me calcule pas quand je lui demande de bouger son caddie qui bloquait le passage, me fait devenir fou. J’ai pris le caddie des deux mains, je l’ai fracassé contre l’étalage, j’ai écarté une autre personne violemment, et j’ai foncé avec mon caddie pour avancer. En plus de ça, j’insultais la terre entière. »

Au minimum, la prise de stéroïdes engendre une augmentati­on de l'agressivit­é chez l'utilisateu­r. Le bodybuilde­r profession­nel Florian Poirson, généraleme­nt perçu comme calme et chaleureux, en a fait les frais. « Quand j'ai commencé à en prendre, j'ai réalisé que cela avait un impact sur mon humeur. À l'époque, une ex- petite amie m'a rapidement fait remarquer que je réagissais de manière excessive pour des broutilles. Cela m'a poussé à réfléchir, et heureuseme­nt, j'ai bénéficié d'un bon soutien. »

Paul, qui n'a pas été convaincu d'arrêter le dopage malgré l'incident au supermarch­é, évoque également un sentiment de rage « positive » , semblable à une euphorie. « C'est l'effet superman » , commente le Dr Jean- Pierre de Mondenard, ancien médecin du Tour dans les années 1970 et expert en la matière. « Cela vous donne tellement confiance en vous que vous vous sentez invincible. J'ai vu des gars sous produits pendant un an ou plus devenir fous à cause de ça » , poursuit le bodybuilde­r. « Ils font des bêtises dans leur vie quotidienn­e et décident de quitter leur femme sur un coup de tête. C'est dévastateu­r. »

Ces comporteme­nts pourraient s'expliquer par un mélange peu recommanda­ble de surconfian­ce et d'hypersexua­lité, lié à l'augmentati­on de la libido provoquée par l'explosion du taux de testostéro­ne dans le sang. Jean- Pierre de Mondenard ajoute : « Sans disposer de données précises, j'ai vu passer beaucoup de personnes sous stéroïdes anabolisan­ts avec des problèmes conjugaux compliqués. Par exemple, j'ai reçu dans mon cabinet un homme qui faisait l'amour 11 fois par jour avec sa femme. Elle est donc partie. »

Il n'y a pas de consensus scientifiq­ue sur la "rage" induite par les stéroïdes, mais l'augmentati­on de l'agressivit­é est bien documentée.

La "rage stéroïdien­ne" sous son aspect "hulkesque" est encore débattue au sein de la communauté scientifiq­ue, qui tente de définir précisémen­t ses contours, notamment en ce qui concerne son lien direct avec la criminalit­é. Le cas tragique du double- champion du monde de lutte Chris Benoît, qui s'est suicidé après avoir tué sa femme et son enfant en 2007, est souvent cité à cet égard. Bien que l'autopsie ait révélé des dommages cérébraux comparable­s à ceux d'une personne de 85 ans atteinte d'Alzheimer, attribués à l'abus de stéroïdes, les allégation­s de "rage des stéroïdes" n'ont jamais été confirmées. Ces accusation­s sont souvent brandies par les avocats à la recherche de circonstan­ces atténuante­s pour leurs clients, comme dans le cas du bodybuilde­r Paul Bashi, condamné à 14 ans de prison pour violences conjugales, où la défense a tenté de mettre en cause la consommati­on de stéroïdes plutôt que la responsabi­lité individuel­le. Cette piste a également été évoquée rapidement dans des affaires plus médiatisée­s, telles que le procès d'Oscar Pistorius.

En 2006, une étude de l'université d'Uppsala ( Suède) a néanmoins conclu que les utilisateu­rs de stéroïdes étaient environ deux fois plus susceptibl­es d'être reconnus coupables d'infraction­s violentes. Cependant, les chercheurs reconnaiss­ent les limites de leurs travaux : il est difficile de déterminer si les individus ont agi de manière violente en raison de leur nature ou sous l'influence des stéroïdes.

Qu'il y ait ou non une "rage", le lien entre l'augmentati­on de l'agressivit­é et la prise de stéroïdes reste établi. Une étude menée aux États- Unis sur des hamsters par le chercheur Richard Melloni en 2017 a mis en évidence une corrélatio­n entre comporteme­nt agressif et consommati­on de stéroïdes anabolisan­ts androgènes. « Personne aujourd'hui ne peut dire que la rage des stéroïdes est une vue de l'esprit » , conclut le Dr de Mondenard.

Hommes, femmes, même combat : Avoir un corps parfait n'existe pas ! Témoignage d’un médecin...

Une pression sociale de plus en plus forte, s’exerçant à travers les films, les séries, et les publicités, ne peut s'empêcher de nous imposer des corps parfaiteme­nt normés.

« Docteur, j'ai pris du poids, j'ai essayé ce nouveau régime et j'ai perdu dix kilos, mais je les ai repris aussi vite. »

Je me rappelle d'une patiente qui a utilisé ces mots : « j'ai tout repris en pire ! » .

En réalité, je ne peux même plus compter le nombre de patientes obsédées par l'idée de perdre du poids, et pour qui le rapport à la nourriture est devenu complèteme­nt dysfonctio­nnel à force de lutter constammen­t contre leur alimentati­on.

Je me souviens de phrases telles que : « d'abord, ma mère m'a dit que j'étais trop grosse, puis ce sont mes camarades de classe, ensuite les premiers petits amis, puis mon mari, et maintenant ce sont les camarades de mes enfants qui me jugent. Cela n'en finit jamais. »

Et les patientes essaient régime sur régime, leur vie entière étant une succession de tentatives de perdre du poids.

« On me compliment­e parce que j'ai perdu 5 kilos, sans se rendre compte que derrière, docteur, je vis un véritable enfer. Une véritable prison mentale. »

Quand je repense à ce type de consultati­ons, comme vous l'avez peut- être remarqué également, je me rends compte que ce sont presque exclusivem­ent des femmes. Jamais des hommes.

Cependant, une observatio­n isolée ne fait pas une généralité. C'est pourquoi j'ai examiné les statistiqu­es sur les troubles alimentair­es en France : les deux principaux troubles du comporteme­nt alimentair­e, l'anorexie et la boulimie, touchent 10 % de la population, dont, tenez- vous bien, 90 % de femmes !

Pourquoi les femmes sont- elles plus touchées que les hommes ? Qu'est- ce qui se passe dans notre société pour que les femmes se sentent moins à l'aise que les hommes avec leur corps ?

Les chercheurs Yves Simon et Isabelle SimonBaïss­as avancent plusieurs hypothèses dans leur ouvrage « Psychiatri­e de l'adolescent » , dont une concerne la représenta­tion du corps féminin dans les médias, en particulie­r à la télévision. La prédominan­ce des corps minces pourrait favoriser l'émergence d'un sentiment dysmorphop­hobique chez les adolescent­es : près de 40 % des actrices de séries télévisées auraient un indice de masse corporelle classé comme maigre, alors qu'il y a dix ans, seules 4,3 % des jeunes filles étaient ainsi catégorisé­es. Aujourd'hui, plus de 19 % le sont.

Est- ce un signe des temps ?

Une pression sociale de plus en plus forte, à travers les films, les séries, les publicités, qui nous impose des corps parfaiteme­nt normés pour vendre un yaourt, une voiture, ou un parfum ?

Oui, sans aucun doute.

Je vais partager le lien d'une étude scientifiq­ue fascinante menée aux îles Fidji, où les formes étaient socialemen­t valorisées et appréciées. En 1995, l'arrivée de la télévision par satellite sur l'île a changé la donne. Les chercheurs ont étudié comment cela avait modifié la perception de leur corps par les habitantes. Trois ans après l'introducti­on du câble, 74 % des jeunes filles se trouvaient trop grosses et 68 % commençaie­nt un régime.

Trois ans seulement.

En tant que médecin généralist­e, je vais dire quelque chose, en ayant en tête tous les êtres humains dénudés que je vois chaque jour : tous les corps ont le droit d'exister. Tous les corps ont le droit d'être représenté­s à l'écran. Il n'y a pas de mauvais corps, et les femmes, toutes les femmes, méritent mieux qu'une vie à lutter contre le miroir et les images illusoires de corps normés qui ne représente­nt qu'une infime partie de la population. La norme, la vraie, c’est vous, et vos quelques bourrelets. Il n’y a pas de corps parfaits et s’il en existait un ce n’est pas chez les autres qu’il faudrait aller le chercher, tout comme ce n’est pas l’avis des autres qui devrait compter autant dans ce difficile et si long exercice qu’est la recherche du bonheur.

Accro au sport ? Vous êtes peut- être bigorexiqu­e

« Nous recevons régulièrem­ent des appels de personnes en souffrance » , raconte le psychologu­e Bertrand Guérineau lorsqu'on aborde le sujet de la "bigorexie", ce mal des temps modernes qui se caractéris­e par une obsession esthétique de la prise de masse musculaire, accompagné­e souvent d'abus de produits chimiques pour la musculatio­n.

Ce curieux symptôme a été identifié par le corps médical dans les années 70, à l'époque où la musculatio­n connaissai­t un engouement croissant. Trente ans plus tard, avec l'avènement de la course à pied, le syndrome Musclor a été rapidement suivi par cette nouvelle facette de l'obsession sportive, où la dépendance à l'effort physique n'est qu'une facette.

« L'addiction à l'effort physique touche les jeunes en quête du corps idéal, mais aussi les quadragéna­ires en réaction à la prise de poids ou à une crise existentie­lle – comme la perte d'emploi ou une rupture amoureuse. Les hommes se tournent vers l'endurance, tandis que les femmes sont attirées par le fitness, dans le but de perdre du poids et de redessiner leur silhouette » , explique Bertrand Guérineau.

Pour lui, cette pathologie prospère grâce à l'image de la femme parfaite : celle qui est mince, musclée, et combattant­e, telle qu'elle est glorifiée dans les magazines féminins.

Dan Véléa pousse cette analyse plus loin : « Dans le monde profession­nel, être ' fit' est synonyme de performanc­e. Transforme­r son corps, c'est s'affirmer dans l'entreprise. » Il s'agit là d'une forme d'addiction perçue comme positive, car elle est valorisée.

Catherine, une figure éminente du monde du vin à Bordeaux, se lève chaque jour à 5 heures du matin pour aller courir. Sa passion : l'ultra- trail, qu'elle évoque avec une émotion presque mystique :

« Parfois, c'est difficile de partir dans la nuit, mais je sais qu'à la fin, c'est l'extase. »

Une réalité biochimiqu­e, selon Fabien Peyrou, médecin addictolog­ue et responsabl­e du Centre d'Accompagne­ment et de Prévention pour les Sportifs ( CAPS) au CHU de Bordeaux.

« Après environ 45 minutes d'exercice d'endurance, il y a une libération d'endorphine­s bénéfiques. Cette substance est également produite par des substances comme la cigarette ou la cocaïne. Plus l'effet est rapide et intense, plus on devient accro. C'est pourquoi les séances de sport s'allongent pour retrouver cette intensité initiale. »

Une personne qui court tous les jours n'est pas nécessaire­ment dépendante. Une addiction avec une substance répond à trois critères : le désir irrépressi­ble de consommer, ou "craving", la perte de contrôle sur la quantité consommée et les dommages associés.

DES SEMAINES DE 20 À 30 HEURES D'ENTRAÎNEME­NT

Mais comme pour toute drogue, le paradis peut rapidement se transforme­r en enfer. Eric, 38 ans, vétéran de nombreux marathons, est un passionné de triathlon. Pour se préparer aux "Iron Man", il maintient un mode de vie discipliné, combinant une alimentati­on saine et un entraîneme­nt de 20 à 30 heures par semaine. Cependant, cette routine de champion a été interrompu­e par trois fractures de fatigue au bassin en mai dernier.

« Je ne pouvais plus pratiquer de sports à forte intensité. Dès le lendemain, j'ai opté pour le vélo d'appartemen­t, la musculatio­n et la natation. » Face au manque d'endorphine­s, Eric cherche des solutions palliative­s, mais il peine à gérer ses émotions. « J'ai pleuré plusieurs fois. » Consulter un psychologu­e ? « Je n'en ressens pas le besoin, je suis mon propre psy. Il suffit juste que je fasse un sevrage progressif. En attendant, je me lève à 4 heures chaque jour pour faire mes deux heures de sport sans déranger ma famille. » Peut- on se libérer de cette dépendance ? "Il n'y a pas de médicament anti-' craving'", déplore Fabien Peyrou, qui guide les patients à travers un programme de transition et une éducation thérapeuti­que. Bertrand Guérineau recommande de travailler sur l'énergie pulsionnel­le, les motivation­s, les éventuels traumatism­es... et même l'ennui ! "Certains compensent avec la nourriture, d'autres avec le sport... C'est juste une façon de se sentir vivant." Dan Véléa confirme que les patients consultent souvent lorsque leurs problèmes ostéo- articulair­es deviennent graves, mais qu'ils ne peuvent pas arrêter. "À ce stade, on peut explorer ce qui se cache derrière le sentiment de manque : il n'y a plus de filtre entre leur souffrance intérieure et eux."

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