Maxi Cuisine

ESCAPADE GOURMANDE

Entre lacs, forêts et montagnes, ce massif accueille les amoureux de la nature et de ses produits.

- Par Sophie Javaux

Les Vosges, la nature au menu

Joyau de l’est de la France, le massif des Vosges fait partie de ces territoire­s qui ont su conserver leur originalit­é. Ses reliefs doux et ses forêts denses revêtent des accents sauvages, retraite toute désignée de nombreuses espèces végétales et animales. Omniprésen­t, le sapin est, pour le commun, utilisé en bois de charpente, menuiserie ou caisserie. Mais, sur le massif, il est un véritable arbre de vie et de goût, amplifiant, par sa saveur, la nature de produits auxquels nous n’aurions jamais songé…

Une forêt de chocolat

Originaire du Val d’ajol, Rémi Arnould est revenu au pays après avoir roulé sa cabosse du Luxembourg au Canada. Le jeune homme est chocolatie­r et retrouver ses racines l’a poussé à en exprimer toute la saveur dans un chocolat au sapin. « Je travaille, pour cela, un chocolat du Viêt Nam qui possède déjà une saveur boisée. Il va parfaiteme­nt s’accommoder avec l’huile essentiell­e de bourgeon de sapin, distillée par la Ferme du bien-être, à Gérardmer. Cela demeure très subtil, l’amertume boisée du chocolat atténue la puissance du sapin. »

Plus facile à doser : le miel de sapin, qu’il utilise pour ses nougats. Quoique… « Il m’a fallu deux ans de travail avant d’aboutir à un équilibre parfait avec les fruits secs. Le miel m’est fourni par deux apiculteur­s du Val d’ajol. J’y ajoute de la myrtille séchée – à la place de la pistache ou de la noisette – et du chocolat, qui vient casser le côté sucré et

adoucit le miel de sapin, assez fort. » La myrtille sauvage est également un fruit qui obtient toutes ses faveurs. Elle honore, de sa couleur et de sa saveur, ses guimauves sans blanc d’oeuf. « Uniquement de la purée de myrtille, du sucre et de la gélatine montée. » Une merveille de douceur.

L’andouille est à la fête

Elle est attendue et, au Val d’ajol, on ne parle que de ça ! « Ça », c’est la foire aux andouilles, fixée au troisième lundi de février* par une ordonnance de Louisphili­ppe en 1831. En fait, elle se déroule sur trois jours, du samedi au lundi. Au programme : dégustatio­ns, ventes et animations. Jean-luc Husson, bouchercha­rcutier, raconte : « Nous sommes cinq bouchers à fabriquer, au Val d’ajol, cette andouille qui est une marque déposée : 40 % d’estomac, le reste est du maigre et du gras, avec des épices, du sel, du poivre, de la muscade, de la coriandre et du vin blanc. Le maigre et les épices vont adoucir son goût en bouche. Une fois embossées (mises en boyau), puis ressuyées (égouttées) pendant une dizaine d’heures, elles vont être fumées au bois de hêtre, pas à la sciure de bois, attention ! » Et Jean-luc Husson ne plaisante pas, penché sur son fumoir pour replacer une bûche : « Je ne peux pas tricher sur la qualité. Le processus est long, donc je ne peux faire qu’une fournée de 400 à 500 pièces par jour. »

Bien évidemment, la différence entre bouchers se fera sur le choix des épices et la fumaison. Il faudra ensuite faire cuire l’andouille 30 à 40 minutes à l’eau frémissant­e. Elle se déguste froide ou chaude avec des pommes de terre, des haricots rouges ou des lentilles, accompagné­e d’un verre de pouilly-fumé.

Pour les becs sucrés, le chocolatie­r Rémi Arnould met à l’honneur l’andouille du Val d’ajol en version chocolat, fruits secs et praliné issu de noisettes du Piémont torréfiées et caramélisé­es.

Miel de sapin, merci les pucerons !

Premier miel reconnu en AOC en 1996 (le seul autre est celui de Corse), il est produit dans certaines parties des départemen­ts des Vosges, de Meurtheet-moselle, de Moselle, de Haute-saône et du Territoire de Belfort. « Le sol a une influence importante sur ce nectar », indique Pascal Rzadkiewa, apiculteur à Saint-nabord. Celui-ci transhume ses ruches entre juin et août dans les forêts où l’essence dominante est le sapin pectiné ou sapin blanc, encore appelé sapin des Vosges. « Il faut qu’il y ait des pucerons qui piquent l’aiguille du sapin pour se nourrir de la sève. L’abeille va ensuite récupérer leurs excrétions, appelées miellat. Nous avons donc un miel de miellat (issu des pucerons) différent d’un miel de nectar (issu du nectar des fleurs). Il est plus cher que les autres parce que la proliférat­ion des pucerons dépend des conditions climatique­s et qu’il faut les trouver. Ce n’est pas comme les fleurs, présentes partout ! C’est la Rolls des miels ! » Le miel de sapin est brun foncé avec un goût balsamique, des saveurs maltées très caractéris­tiques. Il possède beaucoup de minéraux, d’oligoéléme­nts et présente un faible pouvoir sucrant. C’est un puissant antiseptiq­ue des voies respiratoi­res.

Myrtille, bleuet ou bluet ?

Le genre Vaccinium rassemble plus de 400 espèces de plantes. Parmi elles, les baies bleues sont généraleme­nt désignées comme des myrtilles et les baies rouges, des airelles. Le bluet fait donc partie des myrtilles. « Il y a la myrtille sauvage (brimbelle) et la myrtille de culture (bluet ou bleuet), venue du Canada. Ce sont des cousins génétiques, comme la fraise et la fraise des bois », explique Bruno Vincent, producteur de bluets bio des Vosges, principale zone de culture en France. Installé dans l’ancienne école de Lépanges-survologne, il a repris l’affaire que son père avait créée en 1987. Elle répond désormais au nom des Vergers des Avolets. « Il faut une terre acide, légère et sableuse comme ici, avec également un bon système d’irrigation. On favorise l’enracineme­nt de deux à trois ans en enlevant les fleurs. On peut, en général, compter sur une récolte au bout de six à sept ans. Celle-ci se déroule entre juillet et août pendant cinq semaines.

« Le miel de as pin, c’est la Rolls des miels ! »

Pascal Rzadkiewa, apiculteur à Saint-nabord

Sur un arbre de taille adulte, on espère obtenir de 5 à 10 kg de fruits. » Si sa production est à 90 % vendue en frais, il transforme le reste sur place en confitures, jus, liqueurs, sirops, pâtes de fruits… Ses bluets côtoient aussi le houblon et le malt dans une bière concoctée par la brasserie La Fouillotte, à Épinal.

Fumage à la sciure, un art

Au Tholy, à la charcuteri­e artisanale Pierrat, depuis 1892, on ne fait pas feu de tout bois, mais uniquement de sciure de sapin… Celle-ci est fournie par la scierie située juste en face. Ici, on suit scrupuleus­ement les recettes de salaison et de fumaison, transmises de génération en génération. Aujourd’hui, c’est Stéphanie Pierrat qui est aux commandes : « Le sel et le fumage sont un moyen de conservati­on. Le fumage dépend de là où vous êtes, et nous, nous sommes au coeur des sapins ! Cette opération nécessite un véritable savoirfair­e. Il faut vérifier et modifier le temps de fumage en fonction de la températur­e extérieure et de l’hygrométri­e. De plus, la sciure de sapin, plus ou moins résineuse, n’est pas la même tout au long de l’année. On le sent et, si elle a beaucoup de résine,

on fume nos viandes moins longtemps. Dans tous les cas, elles sont fumées entre 8 et 14 heures à 40 °C pour ne pas laisser se développer l’âcreté. »

Avec le lard fumé, le filet mignon et les saucisses fumées médaillées, la maison Pierrat et ses 1 600 tonnes de charcuteri­e à l’année font un tabac. Si elle fournit les grandes surfaces, elle s’est aussi offert une belle vitrine, pour ses produits et d’autres délices régionaux, avec sa boutique Le Vosgien gourmet, mitoyenne de l’atelier de fabricatio­n. « Je suis une fervente défenseuse des produits locaux, c’est pourquoi nous sommes adhérents de Vosges Terroir, l’agrément de la chambre d’agricultur­e », précise Stéphanie Pierrat.

La passion des plantes

Si Nicolas Thomas et Clément Urion, de la Ferme du bien-être, sont connus dans la région pour distiller du sapin afin d’en extraire l’huile essentiell­e, ils le sont aussi pour la transforma­tion des plantes aromatique­s qu’ils récoltent. Ainsi, dès la mi-mars, ces compères débutent-ils la cueillette sauvage par l’ail des ours. Clément Urion détaille : « Il pointe ses feuilles dans les plaines inondables, sous des hêtraies, chênaies et sous-bois. Il est récolté en deux temps. D’abord la feuille, avant la floraison, qui va être séchée, puis les fleurs, qui serviront aux macération­s pour aromatiser du vinaigre ou de l’huile. En trois semaines de récolte à la faucille, on obtient environ 1,5 tonne, c’est-à-dire 120 kg après séchage ! » L’un des premiers critères de qualité de l’ail des ours est sa couleur, d’un vert franc. Il s’incorpore dans une salade ou en fin de cuisson, dans le riz et les pâtes. « Il a le même goût que l’ail en gousse, sans les désagrémen­ts ! », conclut Clément Urion.

* Au moment où nous bouclons ce sujet, nous ne pouvons garantir la tenue de la foire en février 2021. Merci au Massif des Vosges pour la réalisatio­n de ce reportage.

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 ??  ?? 1 1. Au coeur des Vosges, le plaisir de renouer avec la nature. 2. Le nougat au miel de sapin et aux fruits secs dans un équilibre parfait. 3. Rémi Arnould a créé la version sucrée de l’andouille du Val d’ajol, en version fruits secs et praliné. 4. La tomme des Vosges au sapin, une véritable curiosité. 5. Fabrice Chevrier et ses apéritifs insolites aux fleurs et fruits sauvages. 6. Jean-luc Husson prépare l’andouille du Val D’ajol dans les règles de l’art.
1 1. Au coeur des Vosges, le plaisir de renouer avec la nature. 2. Le nougat au miel de sapin et aux fruits secs dans un équilibre parfait. 3. Rémi Arnould a créé la version sucrée de l’andouille du Val d’ajol, en version fruits secs et praliné. 4. La tomme des Vosges au sapin, une véritable curiosité. 5. Fabrice Chevrier et ses apéritifs insolites aux fleurs et fruits sauvages. 6. Jean-luc Husson prépare l’andouille du Val D’ajol dans les règles de l’art.
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1. Le miel de sapin contient des minéraux et des oligoéléme­nts, et il a un faible pouvoir sucrant. 2. Pascal Rzadkiewa, apiculteur, transhume ses ruches dans les forêts de sapin. 3. Gérardmer, une charmante petite ville en bord de lac. 4. Bruno Vincent producteur de bluets des Vosges, transforme une partie de ses fruits. 5. Du lard fumé au sapin, une tradition depuis des génération­s chez Pierrat.
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1. L’ail des ours, une déclinaiso­n qui réjouit les papilles. 2. Justin Wexler ou l’authentiqu­e bonbon bio des Vosges. 2

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