ESCAPADE GOURMANDE
Entre lacs, forêts et montagnes, ce massif accueille les amoureux de la nature et de ses produits.
Les Vosges, la nature au menu
Joyau de l’est de la France, le massif des Vosges fait partie de ces territoires qui ont su conserver leur originalité. Ses reliefs doux et ses forêts denses revêtent des accents sauvages, retraite toute désignée de nombreuses espèces végétales et animales. Omniprésent, le sapin est, pour le commun, utilisé en bois de charpente, menuiserie ou caisserie. Mais, sur le massif, il est un véritable arbre de vie et de goût, amplifiant, par sa saveur, la nature de produits auxquels nous n’aurions jamais songé…
Une forêt de chocolat
Originaire du Val d’ajol, Rémi Arnould est revenu au pays après avoir roulé sa cabosse du Luxembourg au Canada. Le jeune homme est chocolatier et retrouver ses racines l’a poussé à en exprimer toute la saveur dans un chocolat au sapin. « Je travaille, pour cela, un chocolat du Viêt Nam qui possède déjà une saveur boisée. Il va parfaitement s’accommoder avec l’huile essentielle de bourgeon de sapin, distillée par la Ferme du bien-être, à Gérardmer. Cela demeure très subtil, l’amertume boisée du chocolat atténue la puissance du sapin. »
Plus facile à doser : le miel de sapin, qu’il utilise pour ses nougats. Quoique… « Il m’a fallu deux ans de travail avant d’aboutir à un équilibre parfait avec les fruits secs. Le miel m’est fourni par deux apiculteurs du Val d’ajol. J’y ajoute de la myrtille séchée – à la place de la pistache ou de la noisette – et du chocolat, qui vient casser le côté sucré et
adoucit le miel de sapin, assez fort. » La myrtille sauvage est également un fruit qui obtient toutes ses faveurs. Elle honore, de sa couleur et de sa saveur, ses guimauves sans blanc d’oeuf. « Uniquement de la purée de myrtille, du sucre et de la gélatine montée. » Une merveille de douceur.
L’andouille est à la fête
Elle est attendue et, au Val d’ajol, on ne parle que de ça ! « Ça », c’est la foire aux andouilles, fixée au troisième lundi de février* par une ordonnance de Louisphilippe en 1831. En fait, elle se déroule sur trois jours, du samedi au lundi. Au programme : dégustations, ventes et animations. Jean-luc Husson, bouchercharcutier, raconte : « Nous sommes cinq bouchers à fabriquer, au Val d’ajol, cette andouille qui est une marque déposée : 40 % d’estomac, le reste est du maigre et du gras, avec des épices, du sel, du poivre, de la muscade, de la coriandre et du vin blanc. Le maigre et les épices vont adoucir son goût en bouche. Une fois embossées (mises en boyau), puis ressuyées (égouttées) pendant une dizaine d’heures, elles vont être fumées au bois de hêtre, pas à la sciure de bois, attention ! » Et Jean-luc Husson ne plaisante pas, penché sur son fumoir pour replacer une bûche : « Je ne peux pas tricher sur la qualité. Le processus est long, donc je ne peux faire qu’une fournée de 400 à 500 pièces par jour. »
Bien évidemment, la différence entre bouchers se fera sur le choix des épices et la fumaison. Il faudra ensuite faire cuire l’andouille 30 à 40 minutes à l’eau frémissante. Elle se déguste froide ou chaude avec des pommes de terre, des haricots rouges ou des lentilles, accompagnée d’un verre de pouilly-fumé.
Pour les becs sucrés, le chocolatier Rémi Arnould met à l’honneur l’andouille du Val d’ajol en version chocolat, fruits secs et praliné issu de noisettes du Piémont torréfiées et caramélisées.
Miel de sapin, merci les pucerons !
Premier miel reconnu en AOC en 1996 (le seul autre est celui de Corse), il est produit dans certaines parties des départements des Vosges, de Meurtheet-moselle, de Moselle, de Haute-saône et du Territoire de Belfort. « Le sol a une influence importante sur ce nectar », indique Pascal Rzadkiewa, apiculteur à Saint-nabord. Celui-ci transhume ses ruches entre juin et août dans les forêts où l’essence dominante est le sapin pectiné ou sapin blanc, encore appelé sapin des Vosges. « Il faut qu’il y ait des pucerons qui piquent l’aiguille du sapin pour se nourrir de la sève. L’abeille va ensuite récupérer leurs excrétions, appelées miellat. Nous avons donc un miel de miellat (issu des pucerons) différent d’un miel de nectar (issu du nectar des fleurs). Il est plus cher que les autres parce que la prolifération des pucerons dépend des conditions climatiques et qu’il faut les trouver. Ce n’est pas comme les fleurs, présentes partout ! C’est la Rolls des miels ! » Le miel de sapin est brun foncé avec un goût balsamique, des saveurs maltées très caractéristiques. Il possède beaucoup de minéraux, d’oligoéléments et présente un faible pouvoir sucrant. C’est un puissant antiseptique des voies respiratoires.
Myrtille, bleuet ou bluet ?
Le genre Vaccinium rassemble plus de 400 espèces de plantes. Parmi elles, les baies bleues sont généralement désignées comme des myrtilles et les baies rouges, des airelles. Le bluet fait donc partie des myrtilles. « Il y a la myrtille sauvage (brimbelle) et la myrtille de culture (bluet ou bleuet), venue du Canada. Ce sont des cousins génétiques, comme la fraise et la fraise des bois », explique Bruno Vincent, producteur de bluets bio des Vosges, principale zone de culture en France. Installé dans l’ancienne école de Lépanges-survologne, il a repris l’affaire que son père avait créée en 1987. Elle répond désormais au nom des Vergers des Avolets. « Il faut une terre acide, légère et sableuse comme ici, avec également un bon système d’irrigation. On favorise l’enracinement de deux à trois ans en enlevant les fleurs. On peut, en général, compter sur une récolte au bout de six à sept ans. Celle-ci se déroule entre juillet et août pendant cinq semaines.
« Le miel de as pin, c’est la Rolls des miels ! »
Pascal Rzadkiewa, apiculteur à Saint-nabord
Sur un arbre de taille adulte, on espère obtenir de 5 à 10 kg de fruits. » Si sa production est à 90 % vendue en frais, il transforme le reste sur place en confitures, jus, liqueurs, sirops, pâtes de fruits… Ses bluets côtoient aussi le houblon et le malt dans une bière concoctée par la brasserie La Fouillotte, à Épinal.
Fumage à la sciure, un art
Au Tholy, à la charcuterie artisanale Pierrat, depuis 1892, on ne fait pas feu de tout bois, mais uniquement de sciure de sapin… Celle-ci est fournie par la scierie située juste en face. Ici, on suit scrupuleusement les recettes de salaison et de fumaison, transmises de génération en génération. Aujourd’hui, c’est Stéphanie Pierrat qui est aux commandes : « Le sel et le fumage sont un moyen de conservation. Le fumage dépend de là où vous êtes, et nous, nous sommes au coeur des sapins ! Cette opération nécessite un véritable savoirfaire. Il faut vérifier et modifier le temps de fumage en fonction de la température extérieure et de l’hygrométrie. De plus, la sciure de sapin, plus ou moins résineuse, n’est pas la même tout au long de l’année. On le sent et, si elle a beaucoup de résine,
on fume nos viandes moins longtemps. Dans tous les cas, elles sont fumées entre 8 et 14 heures à 40 °C pour ne pas laisser se développer l’âcreté. »
Avec le lard fumé, le filet mignon et les saucisses fumées médaillées, la maison Pierrat et ses 1 600 tonnes de charcuterie à l’année font un tabac. Si elle fournit les grandes surfaces, elle s’est aussi offert une belle vitrine, pour ses produits et d’autres délices régionaux, avec sa boutique Le Vosgien gourmet, mitoyenne de l’atelier de fabrication. « Je suis une fervente défenseuse des produits locaux, c’est pourquoi nous sommes adhérents de Vosges Terroir, l’agrément de la chambre d’agriculture », précise Stéphanie Pierrat.
La passion des plantes
Si Nicolas Thomas et Clément Urion, de la Ferme du bien-être, sont connus dans la région pour distiller du sapin afin d’en extraire l’huile essentielle, ils le sont aussi pour la transformation des plantes aromatiques qu’ils récoltent. Ainsi, dès la mi-mars, ces compères débutent-ils la cueillette sauvage par l’ail des ours. Clément Urion détaille : « Il pointe ses feuilles dans les plaines inondables, sous des hêtraies, chênaies et sous-bois. Il est récolté en deux temps. D’abord la feuille, avant la floraison, qui va être séchée, puis les fleurs, qui serviront aux macérations pour aromatiser du vinaigre ou de l’huile. En trois semaines de récolte à la faucille, on obtient environ 1,5 tonne, c’est-à-dire 120 kg après séchage ! » L’un des premiers critères de qualité de l’ail des ours est sa couleur, d’un vert franc. Il s’incorpore dans une salade ou en fin de cuisson, dans le riz et les pâtes. « Il a le même goût que l’ail en gousse, sans les désagréments ! », conclut Clément Urion.
* Au moment où nous bouclons ce sujet, nous ne pouvons garantir la tenue de la foire en février 2021. Merci au Massif des Vosges pour la réalisation de ce reportage.