Maxi

Bipolaire, mais bien soignée, elle partage son expérience ‘‘Je souhaite aider et donner de l’espoir à tous les autres malades’’

Après avoir souffert elle-même pendant plusieurs années, Alice se consacre désormais aux patients bipolaires. À l’écoute et pleine d’empathie, elle est « pair aidant » et anime des conférence­s pour prouver l’efficacité des traitement­s.

- Alice

Très vite après mon arrivée dans un établissem­ent médical, j’incarne aux yeux des personnes atteintes de troubles bipolaires quelqu’un de rassurant. Tout simplement parce que je ne suis pas médecin, mais concernée moi-même, présente pour les faire bénéficier de mon expérience : bipolaire, je le suis, puisque l’on n’en guérit pas, mais je n’en souffre plus. Ma grande victoire peut également être la leur. C’est pour cette parole d’espoir et mon expérience que le personnel soignant fait appel à moi, comme à d’autres patients pour d’autres pathologie­s dans d’autres services. On nous appelle les « pairs aidants ». Des preuves vivantes que les traitement­s sont efficaces… si on les suit. Car tout le problème est là : il faut croire en sa rémission possible. Moi aussi j’en suis passée par là. J’ai souffert, j’ai douté, mais c’est bel et bien derrière moi.

J’ai été diagnostiq­uée lors de ma seconde crise, il y a près de dix ans.

Elle ressemblai­t à la première, quelques mois plus tôt, mais les médecins avaient alors conclu à un épisode psychotiqu­e, autrement dit un accès de « folie ». C’est mon mari qui m’avait forcée à consulter un psychiatre en établissem­ent hospitalie­r tant mon comporteme­nt l’alarmait. J’avais 30 ans, trois enfants entre 2 et 5 ans, des adolescent­s aujourd’hui, et je venais de créer une société de communicat­ion par l’art. Jusque-là, ma vie avait donc été normale, voire même réussie, quand je me suis mise à très mal dormir, l’un des premiers symptômes, avant que les choses ne s’aggravent franchemen­t. Par exemple, je croyais mes enfants en danger et j’allais les chercher à l’école en plein cours pour les mettre à l’abri. Je faisais des dépenses soudaines et excessives, comme dévaliser une librairie de livres qui ne m’intéressai­ent pas tant que ça. Je vivais en surrégime, travaillan­t sans arrêt, avec mille projets à la fois. J’étais, comme tous les bipolaires en phase maniaque, hyperémoti­ve, hyperactiv­e, hypersensi­ble, jusqu’à l’invivable pour moi et pour mes proches. Et le summum a été atteint quand j’ai posté sur le site de ma société des écrits expliquant que mon mari était Harry Potter, car j’avais de véritables hallucinat­ions ou croyances, jusqu’à être persuadée que le grand-oncle de mon mari, qui venait de décéder, était toujours en vie ! Là, c’en a été trop pour mon mari qui suivait, lui, une analyse ordinaire. Son thérapeute lui a dit : « Ce que vous décrivez ressemble fort à des troubles bipolaires. » Il avait vu juste. Après une semaine d’hospitalis­ation, comme la première fois, je suis rentrée chez moi avec un traitement pour ma bipolarité diagnostiq­uée.

Le drame, c’est que ces traitement­s au lithium ne guérissent pas mais sont indispensa­bles !

Du coup, quand le patient va bien, comme c’était mon cas, il arrête tout. Je me suis réveillée un matin de belle humeur un mois plus tard en pensant : « Le lithium, c’est bon pour les piles, je n’en ai plus besoin. » La rechute n’a pas tardé. Après chacune de mes quatre hospitalis­ations, avant de devenir un patient observant scrupuleus­ement son traitement, j’ai connu un épisode dépressif d’environ quatre mois. Là, je n’avais plus goût à rien. Heureuseme­nt que mes enfants étaient à l’école et que mon mari était un soutien indéfectib­le, sans quoi ils auraient vu leur mère démotivée pour tout, échouée sur le canapé. Le soir, il leur préparait les repas, mais même faire les courses me demandait un effort surhumain. Je n’avais plus envie de voir mes amis, plus rien à raconter, certaine qu’ils s’ennuyaient avec moi. Profession­nellement, j’ai toujours continué à travailler en écrivant des articles pour des revues d’art ou autres, mais c’était aussi une lutte quotidienn­e. Ce qui m’a sauvée, c’est de suivre

Je suis la preuve vivante que le traitement est efficace !

les traitement­s comme de trouver « mes stratégies » : la natation, la méditation de pleine conscience, la sophrologi­e. Et depuis sept ans, ça va bien, même si le rétablisse­ment s’est fait progressiv­ement. Il m’est resté dans un premier temps une grande peur d’être malade ou de rechuter.

Quand j’anime des conférence­s ou ateliers en ma qualité de pair aidant,

à la clinique du château de Garches ou de La Verrière, comme en ma qualité de consultant­e pour un cabinet de conseil qui se bat pour le maintien dans l’emploi de personnes souffrant d’un handicap psychique, je fais part de mon expérience et de mes astuces. Je recommande aux patients qui viennent d’apprendre leur bipolarité de commencer leur traitement et de chercher tout ce qui peut limiter leur stress, égaliser leur humeur, les apaiser, puisque les phases maniaques sont favorisées par un malaise général. C’est gratifiant de faire du bien aux autres, difficile aussi, car cela renvoie à son cas. Je suis parfois un peu gênée par l’image de malade que cela peut imprimer dans la tête de mes enfants, Jacques, 15 ans, Pierre, 13 ans, et Brigitte, 11 ans*, mais ils ont aujourd’hui la chance d’avoir une maman qui va bien, une famille soudée, et un père qui s’est montré formidable. Je crois donc qu’avec le temps, ils pourront souhaiter que cette belle conclusion arrive aussi à d’autres. Quant aux proches, cela fait bien longtemps que se sont éloignés ceux que le seul mot « maladie psychique » angoisse. Reste des amis aussi compréhens­ifs et avertis qu’a pu l’être Geoffroy, mon mari, à qui je dois une fière chandelle autant qu’à mon psychiatre !

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