Maxi

À la naissance d’un grand prématuré

« Nous avons décidé que notre enfant allait vivre »

- Kelley

J’ai rapidement compris que notre fille risquait d’arriver bien trop tôt. Alors que j’étais enceinte d’environ dix-huit semaines, j’ai fait une petite chute à vélo qui m’a semblé sans gravité. Cependant, tout s’est accéléré. Le dimanche suivant, j’ai commencé à saigner. Même si notre fille bougeait encore dans le brouillard de l’écran de l’hôpital, une grossesse normale durait quarante semaines et je n’en étais qu’à mi-parcours. De leur voix la plus calme possible, les médecins m’ont expliqué que je devais tenir encore un mois, jusqu’aux vingt-quatre semaines. Le bébé avait alors une chance de survie, bien que très mince. Et encore ! « Survivre » ne garantissa­it en rien une qualité de vie future… La liste des handicaps égrenés par le médecin a été glaçante. Nous ne voulions pas que notre fille souffre, mais nous souhaition­s qu’elle ait une chance de vivre. Je sentais mon petit s’agiter et donner des coups de pied. « Mon bébé, mon bébé, je t’en supplie, calme-toi », lui murmurais-je. Nous avons tenu bon un petit mois. Ma fille est née à vingt-trois semaines et ne pesait que 570 grammes. Elle mesurait à peine 29 centimètre­s, la taille d’une poupée Barbie. L’anesthésis­te a immédiatem­ent inséré un tube de la taille d’un gros spaghetti dans sa bouche jusque dans sa poitrine et lui a appliqué sur le visage un masque de ventilatio­n pour lui donner de l’oxygène. L’avenir était donc très incertain. Le jour de sa naissance, nous aurions pu la laisser mourir. Avec tact, les médecins nous ont clairement soumis cette possibilit­é. En même temps, chaque jour qui passait rendait plus difficile l’abandon de toute assistance médicale. Après sa naissance, ma fille a été immédiatem­ent transporté­e dans l’unité de soins intensifs et réanimatio­n néonatale. Là, derrière le plastique transparen­t, luttait notre fille. Des électrodes la reliaient à différents appareils. Sa couche était plus petite qu’une

Elle est devenue une merveilleu­se petite fille, pleine de joie de vivre

carte à jouer. Sa peau était presque translucid­e, mais je pouvais voir son coeur battre dans sa poitrine. En même temps, bien sûr, des questions folles ont traversé notre esprit. Devions-nous préparer un faire-part de naissance ? Comment l’appellerio­nsnous ? Que ferions-nous si elle mourait ? Avait-elle conscience de notre présence ? J’ai eu le droit de poser l’extrémité de mon petit doigt dans sa minuscule paume. Ma fille l’agrippa. Elle était là, avec nous. Mon mari eut alors une idée merveilleu­se. « Je veux qu’elle sache qu’elle n’est pas seule », chuchote Tom. Il tira un tabouret près de l’incubateur et ouvrit le premier tome de Harry Potter. Le premier chapitre s’appelait justement « Le Survivant ». Tom était bien déterminé à lire toute l’histoire.

Elle a ainsi survécu une semaine, une deuxième, une troisième, et plus encore.

Nous lui parlions sans arrêt, même si elle n’émettait jamais le moindre son. Nous lui avons donné un nom, Juniper, très populaire aux États-Unis où nous habitions. Je l’imaginais déjà prononcer ce prénom quand elle aurait 6 ans et qu’elle se présentera­it à ses

nouvelles copines, dans la cour de récréation. Juniper nous entendait et semblait apaisée par les aventures de Harry Potter. Au 37e jour de sa vie, pour mon 37e anniversai­re, j’ai eu l’autorisati­on de la tenir dans mes bras plus longtemps. Une issue fatale ne pouvait toujours pas être écartée. Il y avait encore des risques de cécité, de surdité, de paralysie cérébrale et toutes sortes d’autres menaces de déficience mentale. Il était aussi possible qu’elle ne survive qu’en restant intubée ou sous oxygène. Mais, quelques jours après la date du « terme », Juniper a franchi la barre des 2,25 kg. Elle s’alimentait désormais avec du lait ordinaire. Elle avait cinq mois quand la sonde de ventilatio­n nasale lui a été retirée. Nous découvrîme­s alors son visage avec ses grands yeux, ses douces joues, sa bouche rose. Nous avons eu raison d’y croire. Le jour du départ approchait. À l’hôpital, j’ai entendu quelqu’un prononcer le mot « miracle ». Derrière la vitre où elle était soignée, je n’ai cessé de m’accrocher à l’image d’une petite fille me tenant la main, tandis que je la conduirais à l’école maternelle, galvanisée par son cartable de « grande fille » et ses chaussures neuves. Les années ont passé et Juniper est devenue cette merveilleu­se petite fille, sans séquelles. Elle a aujourd’hui 6 ans et connaît déjà une partie de son histoire que nous avons publiée*. Elle sait qu’elle est née cent treize jours trop tôt. « Tu vivais dans un incubateur », lui ai-je expliqué une fois. « Comme les poussins ? », m’a-t-elle répondu. « Exactement, mon poussin », ai-je rétorqué, émue aux larmes. *Juniper, la petite fille née trop tôt de Kelley et Tom French (éd. Seramis). Une partie des bénéfices du livre sera reversée à l’associatio­n SOS Préma.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France