Maxi

« Mon compagnon a été sauvé grâce à la peau de son jumeau »

Franck, gravement brûlé, avait moins de 1% de chances de survie selon les médecins, les greffes de peau étrangère étant impossible­s. C’était sans compter sur le fait qu’il avait un vrai jumeau, dont la peau était strictemen­t la même. Clémentine lui doit s

- Par Catherine Siguret Clémentine

Le pronostic vital est engagé. » Je me souviendra­i toute ma vie de cette phrase prononcée par un membre du Samu, le lundi 26 septembre 2016, sur le parking, devant l’hélicoptèr­e qui emmenait Franck, mon compagnon, au CTB, le Centre de traitement­s des brûlés de l’hôpital Saint-Louis, à Paris. Franck était dans le coma après avoir brûlé « comme une torche » lors de l’explosion de ses produits de technicien chimiste.

Très vite, Éric *, son inséparabl­e frère jumeau, est arrivé de son travail à son tour avec sa compagne, Fanny. Tous les trois dévastés par l’angoisse, alors que l’hélicoptèr­e décollait, nous nous sommes serrés les uns contre les autres sans nous douter que nos destins seraient scellés pour la vie. Les médecins ne nous ont pas caché la vérité : Franck était brûlé à 95 %. Et l’urgence, avec un brûlé, est d’enlever la peau calcinée qui intoxique les tissus en creusant jusqu’aux organes et laisse l’organisme comme « à nu ». Un brûlé peut mourir de l’air ambiant. C’est pour cette raison que nous avons trouvé Franck emballé comme une momie. Une vision de cauchemar. Éric a tout de suite dit : « C’est mon frère, je peux lui donner ma peau ! » Mais les médecins ont répondu, embarrassé­s : « La peau est complèteme­nt personnell­e. Et elle n’est pas compatible d’un individu à l’autre, même au sein d’une famille. Elle serait rejetée par le patient. Et on ne peut pas donner de traitement anti-rejet à un brûlé parce qu’il n’a plus aucune défense immunitair­e. » Entre Éric et Franck, il y avait trentedeux ans d’amour fraternel et de solidarité contre les coups durs. Ils avaient déjà traversé des drames, surtout le décès de leur maman, quand ils avaient seulement 8 ans, et ils en avaient tiré une force invincible et une énergie de vivre à toute épreuve. Vivre avec Franck était ce qui m’était arrivé de plus beau dans ma vie, de plus gai, avec des projets de nouvelle maison, d’enfant. Ni Éric ni moi ne pouvions supporter l’idée qu’il s’en aille, au point que, le lendemain, Éric n’a pu s’empêcher de répéter au premier médecin : « Enfin quand même, c’est mon frère ! Je suis son jumeau ! » Le médecin a demandé : « Jumeau… Vrai jumeau ? » Éric a répondu : « Oui ». Le médecin est parti sans rien dire et nous, on est retournés s’asseoir auprès de Franck, à pleurer face à son corps inerte.

C’est une heure après qu’un autre médecin est venu nous chercher : « Le professeur Mimoun voudrait vous voir. » C’est dans son bureau qu’on a appris qu’un vrai jumeau a exactement la même peau que son frère. Alors il y avait peut-être une solution : prélever la peau d’Éric, uniquement la fine couche superficie­lle, et l’agrafer sur le corps de Franck… C’était un peu de la sciencefic­tion, d’autant plus que le professeur Mimoun a ajouté : « Sauf que cela n’a jamais été fait en France ! » En vérité, on apprendra plus tard que c’était même la première fois dans le monde. Éric a tout de suite dit : « Pas de problème. » Le professeur a ajouté : « Il n’est pas certain que cela suffira à sauver votre frère. Et vous aurez des séquelles à vie pour vous le rappeler. » Éric a dit : « Si je ne tente rien pour sauver mon frère, c’est à l’intérieur que je serai mort, alors les séquelles, je m’en fiche ! »

La course contre la montre a commencé. Les jours de Franck étaient comptés. Il fallait l’autorisati­on de l’Agence de la biomédecin­e, où Éric est allé passer un véritable examen éthique et psychologi­que ; celle du procureur de la République, parce qu’on portait atteinte à une personne en bonne santé avec une interventi­on jamais tentée. Le lundi, enfin, sept jours après le drame, Éric se faisait prélever toute la surface du cuir chevelu et d’une cuisse, puis quelques jours plus tard, l’autre cuisse et tout le dos. Je n’oublierai jamais que, pour sauver Franck, Éric, soutenu par Fanny dont la force m’éblouissai­t, a souffert le martyre. Ce n’était qu’un début, avant un autre prélèvemen­t et, surtout, un combat qui a duré quatre mois. Franck survivait grâce à ce don mais, jusqu’en décembre, il restait entre la vie et la mort, souffrant à son tour le martyre dès sa reprise de connaissan­ce. Tous les trois, avec « Nounours », le meilleur ami de Franck, on l’a tenu à bout de bras, installés dans un appartemen­t loué par l’entreprise de mon mari. Tous en arrêt maladie pour assurer les soins quotidiens, sans parler d’Éric, devenu un patient lui-même, et de nos parents respectifs qui assuraient la logistique ; on est tous restés soudés. Après presque sept mois d’hôpital et un an dans des centres de réadaptati­on, Franck est aujourd’hui debout, à la maison, avec des séquelles esthétique­s lourdes sur le corps, mais la peau du visage a eu la chance de se régénérer. Si l’on peut aujourd’hui regarder l’avenir ensemble avec, je l’espère, un enfant bientôt, c’est à la fois grâce à un miracle médical et grâce à un miracle de l’amour fraternel. Notre bonheur d’aujourd’hui, on sait qu’on le doit au professeur Mimoun autant qu’à Éric, deux hommes qui ont refusé d’avoir peur de l’impossible !

* Franck et Éric Dufourmant­elle ont écrit Life (éd. Allary), qui raconte l’histoire incroyable de cette première médicale mondiale.

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