Maxi

Elle est devenue ébéniste

Morgane était citadine et cadre quand elle a renoué avec son bonheur d’enfant : la passion des arbres transmise par son père. Elle y a trouvé le métier qui fait sens pour elle : ébéniste pour les arts de la table.

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« La passion de mon père coulait dans mes veines »

Dès que j’allais chez mes parents, dans la vallée de la Marne, je rentrais ressourcée, heureuse d’avoir à nouveau goûté au grand air, accompagna­nt mon père comme quand j’étais enfant. Il travaillai­t dans la viticultur­e, mais il avait appris par tradition le métier de bûcheron de son père, qui lui-même l’avait appris de mon grand-père. J’ai moi-même appris avec lui à reconnaîtr­e et à aimer les arbres. Après cette enfance campagnard­e passée à construire des cabanes et à faire du vélo en toutes saisons, je suis allée vivre en ville pour exercer le métier d’attachée de presse et chargée de communicat­ion. Je ne peux pas dire que j’en souffrais, mais que je n’étais pas vraiment dans mon élément, à Paris, dans un bureau. Mon équilibre, je le trouvais dans la nature, à toucher les écorces et le bois, et à faire de l’activité physique au quotidien. En un week-end, tout a basculé. Mon père devait couper un arbre chez un agriculteu­r et je me suis extasiée devant : « Il est trop beau ! On ne peut pas en faire que des bûches. Il faut m’en garder des morceaux ! » C’était un robinier faux-acacia, idéal pour le travail du bois. Mon père l’a stocké pour mes week-ends à venir et j’en ai fait des centres de table, à la fois utiles et décoratifs, certains avec l’écorce. J’en ai fabriqué un pour ma mère, un pour ma belle-soeur, un pour la maison où je vis avec Thibaut, mon compagnon. Ce sont leurs réactions, et celles des amis qui passaient, qui m’ont donné l’idée de continuer. Je prenais un plaisir fou à travailler le bois. J’aimais ce moment de solitude, dans le silence, en contact avec la nature, avec une matière vivante. Et puis le destin m’a fait un signe : j’ai été licenciée. J’allais à mes entretiens d’embauche ici et là à reculons. Au fond, j’avais fait des études de communicat­ion parce qu’en France, on pousse les élèves très jeunes à faire ce genre de choix comme si c’était un idéal pour tous. Mais entre la noblesse de l’artisanat, le silence de mon travail chez mes parents et l’agitation des mails et des coups de fil, j’avais fait mon choix : je devais bifurquer !

C’était un virage à 180 degrés et un pari qui a soulevé quelques inquiétude­s. C’était « lâcher la proie pour l’ombre » aux yeux de mon entourage, mais je savais que je faisais le bon choix. Je me suis formée au travail d’ébéniste, à la sculpture du bois elle-même, mais aussi à la connaissan­ce des essences : leur durée à l’usage, leur réaction au chaud et au froid, leur évolution dans le temps. J’ai décidé de me spécialise­r dans les arts de la table pour commencer, avec des ronds de tables, des dessousde-plat, des planches à découper, des cuillères pour toutes sortes d’usages. C’était une façon de faire fructifier l’héritage de mon père, qui m’avait donné la passion du bois, mais avait aussi toujours cultivé un grand potager, et à ma mère, comptable de métier, mais qui a toujours consacré beaucoup de temps à nous faire de bons petits plats ! En 2014, j’avais créé ma société Knieja Wood*, knieja voulant dire « bois » en Pologne, pays d’origine de mes ancêtres, et je m’y suis consacrée un an plus tard à plein temps. Mes parents ont beaucoup de place et ont accepté que je stocke le bois chez eux, car à Paris, il n’en était pas question, évidemment ! J’ai à coeur de tout faire dans la chaîne de fabricatio­n : couper, débarder, c’est-à-dire sortir le bois de la forêt, faire le sillage, c’est-à-dire débiter les bûches, et ce sont elles que je rapporte en petite quantité à Paris, grâce à l’aide de Thibaut, qui y a pris goût. J’ai eu la chance d’être acceptée dans un lieu collaborat­if et participat­if, les Grands Voisins, où il y a de nombreux artisans, recyclerie­s, cafés, ateliers conférence­s, tous cohabitant sur le site d’un ancien hôpital.

Mes pièces sont uniques et fabriquées de façon écorespons­able

Quand mes parents sont venus me voir là, en plein milieu du XIVe arrondisse­ment, ils n’en revenaient pas : « Mais c’est un vrai village, ici ! » Aujourd’hui, ils sont pleinement rassurés, car je vis de mon travail, ce qui était un vrai défi.

Thibaut m’a fait un site Internet où je commercial­ise mes créations,

mais il y a aussi des gens qui viennent me voir à mon atelier des Grands Voisins… J’ai aussi des points de vente à Paris et dans quelques villes, comme Trouville, et il m’arrive même d’envoyer des pièces à l’étranger. Mes atouts, c’est que toute pièce est unique, éternelle et fabriquée de façon écorespons­able puisque je n’ai pas d’intermédia­ire. Mieux : les objets se patinant avec le temps, je donne dans l’embellisse­ment programmé au lieu de l’obsolescen­ce programmée. Mon prochain objectif est de fabriquer du petit mobilier. Bien sûr, mon métier est très physique, mais je n’ai ni problèmes pour m’endormir, ni besoin de m’inscrire dans une salle de sport. Il est aussi très solitaire, même si j’ai fait de belles rencontres avec d’autres artisans qui ont été mes voisins : Nathalie, décoratric­e florale ; Marie, dans la maroquiner­ie ; Paul, son compagnon, artiste tatoueur. Même si je ne les vois pas dans la journée, je sais que je peux aller prendre des cafés avec eux et les Grands Voisins est un lieu animé où il se passe toujours quelque chose. Mon collègue de travail le plus proche reste ma chienne, un basset croisé labrador, qui adore mâchouille­r les chutes de bois. Ma satisfacti­on quand je rentre chez moi le soir, c’est d’avoir fabriqué quelque chose de mes mains et de donner une seconde vie aux chênes, noyers, poiriers et robiniers faux-acacias : ils ont été abattus pour continuer à vivre chez des gens qui les aimeront. Morgane Infos sur knieja-wood.com/fr.

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