TÉMOIGNAGE « Nous organisons des dictées ludiques pour les adultes »
Toutes deux férues d’orthographe et de grammaire, Sandrine et Aurore, deux amies, ont décidé de transmettre aux adultes leur passion de façon ludique. Elles organisent notamment des dictées dans les entreprises.
Et les vainqueurs sont : l’équipe numéro 7 ! Nous les invitons à nous rejoindre sur l’estrade », annonce au micro Aurore, animatrice de Dictées ludiques dans les entreprises. L’air triomphant, René, Brigitte et Laurence s’élancent sur l’estrade pour recevoir leur récompense ! Laurence et Brigitte en ont les larmes aux yeux. Face à eux, une trentaine d’adversaires, dont Gilbert, leur directeur commercial, et encore mieux, Géraldine, du service de communication, dotée habituellement d’une réputation orthographique irréprochable, les regardent mi-admiratifs, mi-envieux. « Nos dictées, explique Aurore, provoquent souvent beaucoup d’émotions. » Et de se souvenir d’un des derniers participants, qui avait pourtant reçu dans le passé la Légion d’honneur ! « Il nous avait confié s’être senti plus ému en recevant son prix à la dictée. » De moins en moins pratiqué à l’école, cet exercice scolaire semble redevenir à la mode, mais pas où on l’attendrait. Les passionnés d’orthographe et de grammaire se rassemblent à présent dans les cafés, et des événements spéciaux, comme La Grande Dictée, leur permettent de tester leur niveau et d’approfondir leurs connaissances. Férue de règles de grammaire et d’orthographe, Aurore se revoit encore, après l’école, dicter des textes à ses poupées. Dans sa classe de sixième, sa professeur la surnommait « la Statue de la liberté » : « dès qu’elle posait une question, j’étais toujours la première à lever le bras ! » rigole-t-elle. C’est entre autres grâce à son très bon niveau en français qu’Aurore a réussi son concours pour entrer en école d’orthophoniste, métier qu’elle a exercé un moment en cabinet, mais qu’elle a abandonné au profit de la formation pour adultes. Elle a d’ailleurs écrit un ouvrage : Les 100 fautes que les employeurs ne veulent plus voir (voir encadré). Lors d’une journée d’orthographe organisée par une entreprise de certification en langue française, elle a rencontré Sandrine, il y a trois ans. Sandrine aime retrouver l’origine des noms pour en comprendre le sens. Elle tient cette passion de sa grand-mère, Juliette, qui lui a transmis l’art du bien écrire. « Une orthographe irréprochable est un gage de sérieux ! » explique Sandrine. Aurore d’ajouter : « On sait que si une entreprise publie du contenu avec des fautes d’orthographe sur un site Internet, elle fera fuir les clients. Un collaborateur nul en orthographe fait perdre du temps à toute son équipe, qui devra le relire. L’orthographe a le pouvoir de faire gagner des clients et de l’argent… ou d’en faire perdre ! » De cette certitude et de leur amour commun pour le français, mais aussi pour le théâtre et les belles valeurs, est née La Dictée ludique*, un moment convivial qu’elles proposent régulièrement dans les entreprises. Pour détendre l’atmosphère, Sandrine et Aurore aiment rendre le moment joyeux en ajoutant par ci, par là, quelques blagues. À l’aide d’un salarié complice, une de leurs techniques favorites consiste à créer des textes parsemés d’anecdotes rigolotes sur la société où elles interviennent. « Bonne ambiance assurée ! s’exclame Aurore, mais cela reste très sérieux ! » Ces deux amoureuses de la langue de Molière mettent aussi un point d’honneur à truffer leur création de difficultés orthographiques. Faut-il ajouter un « s » à orange dans la phrase : « Elle s’est acheté des lunettes orange ? » « Non ! répond Aurore, les adjectifs de couleur désignant un nom restent absolument invariables, sauf cinq d’entre eux. » Autre difficulté de la langue qu’elles affectionnent : les accords du participe passé des verbes pronominaux. « Exemple type, instruit de nouveau Sandrine, la phrase correcte est-elle : “elle s’est permis de me faire une remarque” ou “elle s’est permise de me faire une remarque” ? La réponse correcte est “permis” ! Mais 90 % des gens font la faute ! Avec les verbes occasionnellement pronominaux, lorsque le pronom est complément d’objet indirect (COI), le participe passé est invariable ! Allez expliquer cette règle biscornue à des étrangers ! » Partisanes d’une simplification de la langue française, Aurore et Sandrine pensent que l’orthographe française, trop élitiste, handicape trop de personnes. Et si, auparavant, il était possible de camoufler ses lacunes derrière le savoir-faire
Avec Internet, les échanges se font plus directs, donc bien écrire compte
d’une secrétaire ou dans un poste sans responsabilité, avec les réseaux sociaux, l’informatique et la disparition des secrétaires, tout le monde doit écrire et s’exposer au jugement des autres. Aurore se souvient encore de ce manutentionnaire d’une cinquantaine d’années dont le poste avait consisté toute sa vie à étiqueter les marchandises. « Soudain, explique-t-elle, sa direction avait exigé qu’il consigne par écrit son travail dans un ordinateur. Il se sentait vraiment bloqué ! Les erreurs de français ne sont pas le simple apanage des gens qui n’ont pas fait de hautes études. Dans les entreprises, nous recevons souvent des témoignages de salariés qui ne savent pas comment réagir face à la mauvaise orthographe de leur supérieur hiérarchique ! Évidemment, cette situation s’avère délicate… » Pour limiter ce problème, Sandrine et Aurore proposent dans leurs Dictées ludiques deux formules : soit les gens réfléchissent en équipe à l’écriture d’une phrase, soit les copies restent anonymes. « Nous passons, à la fin, une heure à expliquer en détail les subtilités de la langue et à donner des astuces. » Autre certitude : « Il n’y a pas d’âge pour s’améliorer et la manière la plus efficace est de le faire en s’amusant ! » * Pour en savoir plus : ladicteeludique.fr.