Maxi

« Je veux les former et leur redonner le goût de vivre »

Pascale a décidé d’ouvrir un restaurant qui forme et redynamise les porteurs d’un handicap, une occasion pour les clients de mesurer leur pleine capacité !

- Par Catherine Siguret

Avotre âge, vous êtes fous de vous lancer dans une entreprise, et innovante en plus ! » Mon frère Marc et moi avons tellement souvent entendu cette phrase ! Il est vrai que lancer un restaurant qui réinsérera­it des employés tous porteurs d’un handicap, c’était un sacré défi. Mais nous étions bien placés pour connaître les besoins. À 56 ans, Marc ne parvenait pas à retrouver du travail depuis qu’il avait été licencié d’une compagnie maritime en faillite, notamment parce qu’il avait été reconnu handicapé à cause de lésions au poumon après un incendie sur un bateau. Quant à moi, j’avais eu un accident de voiture à 18 ans, avec des lésions à la colonne vertébrale qui me permettaie­nt de prendre ma retraite anticipée à 58 ans. Aider les autres était déjà mon métier puisque je m’occupais des dossiers de surendette­ment à la Banque de France, sauf que je voyais défiler beaucoup de gens dans la misère pour qui je ne faisais que bricoler des arrangemen­ts. C’était mieux que rien, mais l’idée d’un nouveau métier complèteme­nt positif ne pouvait que me séduire. Avec Marc, diplômé de la célèbre école de cuisine Ferrandi, à Paris, la création d’un restaurant ne me faisait pas peur. Restait à convaincre des financeurs ! D’avril à décembre 2017, je n’ai fait que de la paperasse pour monter le dossier qui prouvait que notre idée tenait la route. À Ajaccio, où nous vivons, l’économie sociale et solidaire est encore toute nouvelle. Pourtant, à Cap Emploi, le Pôle emploi des travailleu­rs handicapés, ils ont tout de suite été partants pour nous présenter des candidats. À force de patience, nous avons obtenu des subvention­s. Sauf que celles-ci n’arrivant qu’après le lancement, si ma banque géniale ne m’avait pas suivie, je dois dire que nous n’aurions jamais réussi ! J’ai choisi quinze personnes, pour en garder dix aujourd’hui, six femmes et quatre hommes. Il y en a deux que j’ai dû évincer au bout de deux mois, une jeune de 17 ans, déjà maman et impliquée dans une histoire sentimenta­le trop houleuse, et un homme qui montrait qu’il n’avait pas compris l’esprit d’une telle entreprise. À propos d’un jeune autiste profond, très capable d’effectuer des petites tâches capitales, il avait lancé : « On sera cinq et demi en cuisine et pas six, parce que lui, il ne compte pas vraiment pour un ! » Eh oui ! L’exclusion existe aussi entre porteurs de handicap et lui, atteint d’un petit handicap à l’épaule, s’estimait supérieur. Le jour de l’ouverture, en avril dernier, nous a fait oublier les sueurs froides. L’équipe était bien sûr au complet. Le buffet, des petites verrines et tartes salées, a enchanté les personnes présentes, dont la presse locale, et même le Journal de France 3. Mieux, la préfète nous a rendu visite et a parlé du restaurant sur le site de la préfecture. Le lendemain, nous avions quinze employés de la préfecture à déjeuner ! Depuis, les clients affluent, séduits par l’initiative autant que par nos menus à 20 euros avec sauté de gambas aux supions, tartare de thon ou de saumon, fondant à la châtaigne ou tiramisu à la framboise. Nos clients savent qu’ils déjeunent « utile » puisqu’ils redonnent le goût de vivre et une formation à dix personnes qui

sont pénalisées car porteuses d’un petit handicap : autisme, douleurs chroniques, séquelles d’accident mentales ou physiques légères.

Le but de La Table de Mina, c’est de les former pour les envoyer sur le marché ordinaire du travail

au bout de deux ans, avec une énergie toute neuve et des compétence­s techniques. Nous, mais surtout les familles de ces employés de 19 à 53 ans, sans compter mon frère qui les forme, une aide comptable et moi, on les a déjà vus changer. Ils ont appris à être fiers d’eux parce qu’ils donnent aux autres et reçoivent en retour des compliment­s et des remercieme­nts. Ils ont une motivation pour se lever le matin, continuer leurs thérapies, certains ne travaillan­t qu’une dizaine d’heures, car on s’adapte à leurs impératifs. Quelques-uns étaient incapables de communique­r et sont aujourd’hui à l’aise pour prendre les commandes en salle. Il s’est créé des liens avec les clients, mais aussi une vraie synergie entre eux qui les stimule. Les aînés tirent le bénéfice de leur âge en se positionna­nt comme protecteur­s des plus jeunes. Les plus fragiles trouvent en certains des tuteurs rassurants. Ils ont réussi au bout de quelques mois à mettre en oeuvre des initiative­s de taille comme faire le buffet complet pour un repas avec trois cents couverts, mais aussi des repas d’anniversai­re ou de baptême, ou encore des plateaux-repas pour de grosses réunions d’entreprise­s. Et comme nous nous attachons inévitable­ment à eux, nous avons bien l’intention de les suivre chez leurs futurs employeurs pour vérifier qu’ils ne se font pas exploiter et qu’ils sont heureux. Notre ambition est d’être des restaurate­urs de bonheur, dans tous les sens du terme !

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À La table de Mina, restaurant d’applicatio­n, l’équipe de salle est regroupée autour de Pascale.

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