Maxi

« Je veux que tous les malades aient autant de chance que moi ! »

Quand elle a été malade, Anne-Sophie a trouvé un vrai soutien à son travail. C’est en réalisant sa chance qu’elle a voulu faire évoluer les mentalités face au cancer et aux maladies chroniques dans les entreprise­s.

- Anne-Sophie

Ce jour-là, au café, Martine* m’a demandé si elle devait vraiment parler de son cancer au travail. Sa question m’a surprise. J’ai aussitôt repensé à ce 7 mars 2011. Comment n’aurais-je pas pu revivre cette journée cauchemard­esque ? Dans son cabinet, le médecin m’a expliqué que cette petite boule que j’avais remarquée le matin même, en me passant du lait sur la poitrine, comportait selon les radios 95 % de risques d’être une tumeur maligne. Il fallait attendre trois semaines avant d’avoir la confirmati­on du cancer. En rentrant au bureau, je me suis aussitôt confiée à mon patron. Jean-Paul m’a rassurée en me disant qu’il était là pour m’accompagne­r et adapter mes conditions de travail à mes besoins. Sur le coup, je n’ai pas réalisé ma chance de travailler avec et pour un responsabl­e hiérarchiq­ue si compréhens­if. La probabilit­é d’échapper à la maladie était réduite. J’avais un métier très prenant. Quand on est chasseuse de têtes, il faut être disponible pour les dirigeants tôt le matin et tard le soir. J’avais une heure de trajet pour me rendre au bureau, autant pour en revenir, et trois enfants à m’occuper. Mon protocole de soin allait être lourd. Je devais mobiliser toutes mes forces pour guérir. Il était hors de question de continuer à travailler. Encore une fois, JeanPaul s’est montré formidable : il m’a promis de faire en sorte de maintenir mon niveau de salaire tout du long. Et nous avons convenu que les trois semaines devant moi serviraien­t à recruter une personne pour me remplacer durant mon arrêt maladie et à annoncer mon absence aux clients en toute transparen­ce. Dans les trois jours qui ont suivi l’annonce de ma maladie, j’ai reçu un flux impression­nant de mails, de textos et de coups de téléphone pour me soutenir ! J’étais si émue de constater à quel point les gens m’aimaient ! Beaucoup voulaient avoir des nouvelles de moi régulièrem­ent. Et j’ai pensé que, à ce rythme, je passerai les prochains mois à parler sans cesse du cancer. Pour éviter cela, j’ai décidé d’écrire régulièrem­ent une newsletter à tous (environ 80 personnes) et ainsi d’engager une conversati­on sur d’autres sujets quand je les avais au téléphone. Grâce à cette démarche, ils ont ainsi pu savoir comment s’était passée ma première chimio, le moment où j’ai décidé de mettre une perruque. Maxime, mon mari, leur a même écrit le jour de ma mastectomi­e pour les tenir au courant de mon état. Tous ont pu suivre mon parcours durant ces 12 chimiothér­apies et 35 séances de radiothéra­pie. Et, en ce début de mois de janvier 2012, j’ai annoncé que l’année commençait avec plein de projets en tête : cela a été ma dernière newsletter sur mon cancer. En rémission, je suis retournée au travail. À peine revenue, les uns et les autres ont commencé à me solliciter pour les conseiller. Martine craignait tant d’être discriminé­e si elle annonçait son cancer au travail ! Elle avait également peur de le perdre, etc. J’étais si surprise par sa réaction. Plus tard, je me suis rendu compte, en rencontran­t d’autres malades, que j’étais l’exception qui confirmait la règle. En me renseignan­t, j’ai appris qu’un malade sur trois perdait son emploi dans les deux ans suivant le diagnostic. Et puis ce jour-là, quand Frédérique, qui avait également eu un cancer, m’a expliqué qu’elle était en vie mais se sentait morte profession­nellement, j’ai eu un choc. Ce n’est pas parce que l’on a été malade que l’on perd toutes ses compétence­s, je dirais même que c’est l’inverse qui se produit. Quand j’ai été malade, j’ai démontré que j’étais d’une réactivité incroyable pour me faire soigner. Quand il a fallu annoncer la maladie à mes enfants, j’ai dû faire preuve d’une tonne de créativité pour ne pas trop les inquiéter, sans minorer non plus la gravité de la maladie. J’ai

Après le cancer, j’ai orienté ma carrière pour aider les autres malades

montré un sens de l’autonomie au moment de décider du meilleur protocole à suivre pour me soigner… et la liste ne s’arrête pas là.

En échangeant avec les uns et les autres, je me suis aperçue que le cancer touchait beaucoup de monde.

Et il existait si peu de malades qui avaient eu ma chance ! Ce constat a été un déclic pour moi. J’ai décidé de créer un club d’entreprise­s pour mobiliser ces dernières sur le thème et améliorer la prise en charge du cancer sur le lieu de travail. J’ai quitté mon emploi pour créer ce projet. Et c’est ainsi que, fin 2012, est né Cancer@Work. Une première entreprise a signé la charte, une deuxième a suivi, une troisième… Sept ans plus tard, Cancer@Work compte 34 entreprise­s et de merveilleu­ses histoires à son actif, comme cette petite société dans la région de Rouen. Sa dirigeante avait eu un cancer du sein et elle s’est rendu compte que, lorsque l’on revenait à l’usine, travailler sur des postes à la chaîne s’avérait très problémati­que. Elle a eu alors l’idée de proposer des postes adaptés à ses ouvrières. Elles ont même fini par inventer un nouveau produit adapté à leurs conditions. Quand je regarde en arrière, je pense que le cancer a donné un nouveau sens à ma vie et à ma carrière. J’ai voulu redonner aux plus démunis la chance de pouvoir affronter aussi bien que moi cette maladie. Mais le combat n’est pas fini ! Je serai vraiment heureuse et en paix le jour où l’on n’aura plus besoin de parler du thème du cancer au travail. La maladie peut, hélas, toucher tout le monde et ne doit plus être un tabou pour personne ! Quand une entreprise se mobilise sur le sujet, elle réalise des économies. Finalement, tout le monde y gagne, autant les dirigeants que les salariés.

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