Maxi

« Mes patients me donnent une force incroyable »

Infirmière libérale, Myriam exerce son métier à la campagne et parcourt souvent 250 km par jour, de maison en maison. Mais, malgré les difficulté­s, pas question de changer de vie.

- Myriam

J’assure des soins et plus encore : j’écoute, j’apaise, je rassure

Certains appellent cela « la diagonale du vide ». Cela donne tout de suite le ton ! Mon cabinet se trouve dans une commune de 800 âmes, près de Montluçon, dans le centre de la France, dans l’Allier. Je préfère juste dire que c’est la campagne. C’est un désert médical, certes, dans une région un peu oubliée des soignants, avec une population vieillissa­nte et surtout isolée. Au premier regard, on pourrait penser qu’il n’y a rien. Or, pour moi, en réalité, il y a tout… Plus jeune, j’ai très vite voulu travailler dans le milieu médical. Je crois que j’ai eu le déclic lors d’une hospitalis­ation, alors que j’étais adolescent­e. J’aimais passionném­ent la biologie et j’avais envie de servir les autres. Le bac en poche, j’ai d’abord tenté des études de médecine, mais ce n’était pas pour moi. L’école d’infirmière a été une révélation. J’ai tout de suite apprécié la diversité et la possibilit­é d’avoir plusieurs vies en une seule. On peut travailler dans des domaines très différents tout en faisant le même métier : chirurgie, cardiologi­e, réanimatio­n, pédiatrie, gériatrie, et en équipe ou en libéral… À l’hôpital, les journées étaient longues et le rythme soutenu. On était parfois au bord des larmes, heureuseme­nt les rires et l’esprit d’équipe nous faisaient parfois oublier la maladie. Malgré tout, le soir, sur le trajet du retour, le poids de la journée rendait mes pas de plus en plus lourds. Le statut « libéral » m’a été proposé par hasard. Il a suffi d’un coup de fil d’une infirmière qui cherchait désespéré- ment une remplaçant­e. J’ai décidé sur un coup de tête de suivre cette nouvelle voie… et je ne l’ai pas regretté. Je parcours parfois jusqu’à 250 km dans la même journée. Au volant de ma voiture, je rends visite à mes patients dans un rayon de 10 km autour du cabinet. Ce sont surtout des gens âgés et, souvent, je suis la seule personne qu’ils voient pendant leur journée. Parfois, il faut affronter le froid ou la neige pour aller toquer à la porte de ses malades. En même temps, à la campagne, tout le monde se connaît ou presque : il faut faire attention à ce que l’on dit, parce que la personne à votre droite est peut-être le cousin du beaufrère de la voisine de la personne à gauche ! Il faut aussi maîtriser certains sujets, et pas seulement ses connaissan­ces médicales. La météo, notamment, reste le sujet de conversati­on par excellence. Sinon, le potager demeure une autre institutio­n : à la campagne, faire son jardin, c’est du sérieux. Combien de fois ai-je dû aller chercher un patient au fond de son potager pour lui faire sa prise de sang mensuelle ! Même si, ici aussi, je suis souvent pressée, le rapport au temps n’est pas le même. Je rentre chez les gens, je ne porte pas de blouse et certaines barrières tombent. J’ai vraiment l’impression de servir à quelque chose. Je vois de tout : des petits bobos aux maladies graves et chroniques. Il y a des jours plus difficiles que d’autres, mais je reçois tellement. Mes patients me donnent une force incroyable ! Cela fait maintenant dix ans que je suis installée ici et je n’ai aucune envie de bouger. Parce que cette France gagne à être connue, j’ai eu envie de la raconter. J’ai commencé par un blog. Je cherchais une activité un peu artistique et j’ai ainsi tenu une sorte de journal. Le fait d’écrire me permettait de me confier un peu et de me soulager de certaines souffrance­s. C’est un moyen d’évacuer parfois des choses douloureus­es. Mais c’est aussi devenu une façon de faire exister mes patients car, quand je suis arrivée ici, j’ai eu l’impression de plonger dans des contrées complèteme­nt isolées et parfois oubliées par les administra­tions. Mon site a connu un succès inattendu. Dans la foulée, j’ai écrit un livre*, comme une plongée dans ce monde rural et attachant, qui fera peut-être naître des vocations. C’est un métier difficile dont je reste terribleme­nt fière et qui, là où je suis, inspire encore le respect. J’assure les soins ainsi que la conversati­on. Tantôt je remonte le moral ou je secoue gentiment certains patients quand je sens que c’est nécessaire. Quand je refais un pansement, je peux soigner plusieurs plaies. J’apaise, j’écoute et je rassure. Le soir, en rentrant du travail, même si la journée a été difficile, je retrouve une certaine sérénité en regardant les champs

depuis ma fenêtre. J’ai également élevé trois enfants ici, loin des tracas de la ville. Ils apprécient de vivre au vert. Il subsiste, dans notre campagne, un parfum d’authentici­té que je n’ai encore trouvé nulle part ailleurs… Depuis dix ans, cela en fait des « Bonjour, comment ça va aujourd’hui ? », « Bon, alors à demain, bonne journée à vous », « Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal ». Cela en fait des sourires, des rires parfois tellement bienvenus, des larmes qui coulent discrèteme­nt dans la voiture garée sur le bas-côté. Cela en fait des morceaux d’accordéon qui s’échappent de la radio le dimanche matin, des douches données d’où l’on ressort trempée, des cafés pris en vitesse mais au coin du feu tout de même. Cela en fait des instants où l’on se dit que c’est pour cela que l’on fait ce métier. C’est ma vie : la vie d’une petite infirmière dans la prairie… * Infirmière tout terrain, de Myriam Lahitte (City éditions).

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