Maxi

« Parler de mon histoire m’a aidé à me reconstrui­re »

Dix ans après la naissance de sa fille, Sophie a appris que son bébé avait été échangé à la naissance avec un autre. Elle témoigne aujourd’hui pour que de telles négligence­s n’arrivent plus…

- Sophie

Ce sont des chiffres qui me bouleverse­nt toujours. En octobre dernier, 5,2 millions de personnes ont regardé le téléfilm Ils ont échangé mon enfant, diffusé sur TF1. C’est l’histoire, déchirante, d’une maman dont la fille a été échangée à la naissance dans une maternité. Souvent, la réalité dépasse la fiction et cette histoire, malheureus­ement vraie, est d’abord la mienne. J’avais déjà accepté de la raconter dans un livre*. Mais je n’ai pas hésité longtemps quand on m’a proposé de l’adapter à la télévision : j’ai accepté afin de laisser une trace de mon combat pour connaître la vérité. Mais aussi pour que cela n’arrive plus jamais à d’autres parents… J’ai accouché de ma première fille très jeune, à 18 ans, dans une clinique du sud de la France. Je me souviens encore qu’elle a été mise en couveuse et qu’elle m’a effectivem­ent semblé un peu différente quand on me l’a rendue. Je trouvais qu’elle avait la peau plus mate et les cheveux peut-être un peu plus frisés. J’ai posé la question à une infirmière, qui m’a tout de suite rassurée. Je lui ai fait confiance. Comment en douter ? Je suis rentrée à la maison avec Manon et nous avons mené une vie tranquille pendant dix ans. J’aurais pu ne jamais connaître la vérité si je n’avais pas rencontré des problèmes avec mon compagnon de l’époque. En effet, à mesure qu’elle grandissai­t, il a commencé à se plaindre sous prétexte que sa fille ne lui ressemblai­t pas beaucoup, selon lui. Les mois ont passé et il a commencé à insinuer que je l’avais trompé. Un jour, il a voulu intenter une action en « contestati­on de paternité » avec un test ADN. J’ai accepté le test parce que j’étais sûre de moi. J’ai des origines espagnoles et je pensais que ma fille ressemblai­t juste un peu plus à sa famille maternelle. Je n’étais pas préparée à ce qui allait suivre. Quand les résultats sont arrivés, mon avocate n’a pas pris de gants. Quand elle m’a annoncé que mon compagnon n’était pas le père de Manon, je lui ai répondu que c’était impossible. Et quand elle a ajouté que je n’étais pas sa mère non plus, je me suis effondrée. Je n’étais plus dans la pièce. Je n’entendais plus rien. J’étais comme anesthésié­e. Comment était-ce possible ? J’ai été victime d’une terrible négligence à la maternité. L’enquête a démontré que, faute de place, deux bébés avaient été placés ensemble, tête-bêche, dans la même couveuse. Plus grave encore, l’auxiliaire de puéricultu­re qui s’est occupée d’eux était fragile émotionnel­lement, sous traitement médicament­eux, et souffrait également d’un problème d’alcoolisme. Toutes ces fautes additionné­es ont bouleversé ma vie. Comment annonce-t-on à un enfant qu’il n’est pas le sien ? C’est impossible. D’ailleurs, à aucun moment, Manon n’a cessé d’être ma fille. Je lui ai dit la vérité avec des mots très simples et, surtout, en lui assurant que rien ne pourrait nous séparer. En même temps, je ne pouvais occulter que j’avais, quelque part, une autre fille « biologique ». Je devais savoir dans quelle famille elle était et si elle était bien traitée. L’enquête a permis de retrouver les autres victimes de cet échange, aussi bouleversé­s que nous. Nous nous sommes rencontrés. Ma fille biologique s’appelle Mathilde. Elle a grandi dans une autre famille, où elle est aimée. Même si je lui ai donné la vie, j’ai aussi dû accepter qu’elle avait une autre mère que moi. Ma porte lui sera toujours ouverte et, en attendant, chacun gère cette terrible histoire comme il le peut. La maternité, qui est aujourd’hui fermée, a essayé de rejeter la faute sur nos deux familles. Au terme d’une bataille judiciaire féroce, elle a été reconnue coupable de négligence et lourdement condamnée. Même si aucune indemnisat­ion ne pourra jamais réparer une telle erreur, que la clinique soit mise face à ses responsabi­lités m’a aidée à trouver une certaine paix. Parler de mon histoire a été une étape importante dans ma reconstruc­tion. J’ai d’abord essayé de me confier à des psychologu­es mais, malgré toute leur bonne volonté, ils ne pouvaient pas m’aider. Et pour cause :

J’ai dit la vérité à ma fille, en lui assurant tout mon amour

une histoire comme la mienne était inédite ! J’ai ensuite écrit un livre. C’était une façon d’essayer de tourner la page tout en répétant à Manon et à mes autres enfants combien je les aimais. Il y avait aussi une dimension citoyenne dans ma démarche. J’ai eu trois autres enfants après Manon. Lorsque j’ai accouché de ma dernière fille, il y a trois ans, son bracelet de naissance est tombé à la maternité. J’étais là et rien de grave n’est arrivé. Mais comment savoir si d’autres erreurs ne se produisent pas encore de nos jours ? C’est aussi pour cela que j’ai accepté l’adaptation de mon livre à la télévision. Quand le producteur m’a approchée, je me suis juste dit : pourquoi pas ? J’ai pensé qu’il était important de laisser une trace si un tel drame se reproduisa­it, afin que d’autres familles ne soient pas dans le noir comme je l’ai été. Je ne m’attendais pas à ce que le film soit aussi proche de la réalité. Je l’ai vu en famille avec mes enfants et mon compagnon, qui a lui aussi pleuré. J’ai déjà eu une reconnaiss­ance juridique, mais ce film m’a apporté une vraie reconnaiss­ance populaire. J’ai reçu des témoignage­s et des messages de soutien très émouvants. En tant que spectatric­e, j’ai trouvé l’adaptation très fidèle. J’ai été bouleversé­e par certaines scènes, comme celle où j’annonce le résultat du test à Manon, parce qu’elles m’ont renvoyé toutes mes souffrance­s de plein fouet. Mais devenir spectatric­e de ma vie m’a fait beaucoup de bien. Au final, je suis fière de mon combat et je veux que mes enfants sachent que je me battrai toujours pour eux…

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