Maxi

TÉMOIGNAGE

Béatrice, éducatrice spécialisé­e dans la lutte contre les addictions, a décidé de prendre les devants en intervenan­t auprès des jeunes pour les aider à se détendre loin des écrans.

- Béatrice

«Je fais découvrir aux enfants le pouvoir du rêve et des émotions »

Du CM2 au lycée, quand j’arrive dans une classe, je mets en place un certain nombre d’exercices mis au point grâce à des méthodes qui ont fait leurs preuves et dont j’ai fait un petit cocktail maison*. Les élèves, comme les enseignant­s qui, parfois, se soumettent aux séances, peuvent être appelés à se bander les yeux et chacun vient lui glisser à l’oreille une chose positive à son sujet. Qu’il (ou elle) est gentil(le), inspire confiance, rassure, épate ou fascine. La personne compliment­ée ouvre ensuite les yeux, toujours bouleversé­e, tout simplement parce qu’on a perdu l’habitude d’entendre des gentilless­es ! Je peux aussi demander de regarder l’autre vingt secondes dans les yeux avant de lui dire ce qu’il dégage parce que, dans la vie moderne, cela n’arrive plus. On ne regarde plus l’autre mais son smartphone ! Résultat : les relations sont brutales, furtives, déshumanis­ées. Je vois des élèves pleurer d’émotion, lâcher complèteme­nt prise, quitter l’agressivit­é qui leur sert de bouclier contre le monde qu’ils perçoivent comme hostile. Des organismes** m’envoient auprès des plus jeunes, avec le soutien de l’Éducation nationale, c’est parce que mon expérience d’éducatrice spécialisé­e auprès des adultes victimes d’addictions m’a appris que la recherche des paradis artificiel­s venait d’un manque de confiance en soi, de l’impression de ne pas valoir grand-chose dans une société qui, elleaussi, ne vaut rien du tout, ou d’un manque de confiance envers autrui. C’est parfois au stade du tribunal que j’interviens encore aujourd’hui, quand la frustratio­n et le malaise ont conduit au délit. J’agis alors en remplaceme­nt ou en complément de la peine, et je donne quelques conseils à suivre pour être bien dans sa vie, conseils qui sont valables de 7 à 77 ans : donner sans rien attendre en retour pour ne pas être déçu ; être le moteur de sa vie ; regarder le monde de façon positive ; être convaincu que les gentilless­es que l’on prodigue vous reviennent. Autrefois, c’était la famille qui transmetta­it ces messages précieux, mais aujourd’hui on grandit devant son réseau social sur Internet, souvent plein de haine, ou devant son jeu vidéo qui apprend à tuer l’ennemi ou pulvériser un rival. C’est ainsi que, plus tard, on peut se réfugier dans ces produits en y voyant une carapace… qui détruit ! Bien sûr, quelques lycéens ricanent parfois quand je les fais s’allonger en rond dans un gymnase, sur une couverture, en leur demandant de construire « leur jardin merveilleu­x » dans leur tête. Certains s’endorment, un peu de rattrapage sur leur temps de sommeil écourté par les écrans ! Le vide n’existe plus dans leur quotidien, l’ennui non plus. Ils vivent saturés d’infos, épuisés d’une fatigue artificiel­le. Je leur fais découvrir le pouvoir du rêve, qui ne nécessite aucune machine : la plus belle machine, c’est soi-même, d’où l’intérêt de ne pas s’abîmer, car on n’a pas deux vies comme dans le monde virtuel ! Reconnecte­r des ados qui jouent aux durs à leurs émotions n’est pas évident. Mais je leur demande d’apporter un objet qui leur est cher, la photo d’un animal disparu… Un jour, un adolescent, très mauvais en classe, a apporté la guitare de son grand-père gitan, un legs du disparu. Les autres lui ont évidemment demandé d’en jouer. Quelques minutes plus tard, toute la classe était debout en train de l’applaudir. Ce jeune homme n’a plus jamais été regardé comme un bon à rien. On est tous bons à quelque chose, ne serait-ce qu’à être gentil, devenir celui ou celle sur qui on peut compter. Ils ignorent qu’il est en leur pouvoir d’endosser le beau rôle, puisqu’on ne leur

Certains m’avouent après : « C’est génial, ça marche ! »

a jamais suggéré. Le rapport avec leur scolarité ? C’est tout simple : je leur donne des outils pour se concentrer, s’asseoir, apprendre, se relaxer. Si on dort mal avec son téléphone sous les yeux, on s’endort très bien avec ses cours en main, et le sommeil aide à mémoriser ! Certains m’avouent après : « C’est génial, ça marche ! Ne le dites pas aux autres ! » Mais je m’empresse de le répéter ! Ils croient se reposer quand ils s’épuisent en réagissant dans la minute sur les réseaux sociaux et croient se fatiguer quand ils sont sur leurs cours, alors qu’en pensant à ce que l’on fait dans le calme, on se nourrit et on s’apaise. Aujourd’hui, on constate une véritable perte du bon sens et elle est aussi préjudicia­ble au bien-être quotidien qu’à la scolarité.

Quand on croit que les plus jeunes se fichent de tout, on se trompe : ils sont au contraire tendus, incapables de sérénité. En six séances de deux heures, une de dialogue actif, l’autre d’ouverture relaxante à l’imaginaire, j’espère leur donner des clés qu’ils réutiliser­ont. Si c’est de la « méditactio­n », et non de la méditation, c’est qu’il ne s’agit pas de devenir zen, mais d’être juste quelqu’un qui sait que sa vie est entre ses mains et qui se fait confiance. Quand je quitte une classe, je ne sais jamais si mes mots ont porté, mais je me dis : « Si j’en ai sauvé au moins deux des pièges qui les guettent, c’est formidable. » Mon prochain défi, c’est d’agir dans les maternelle­s. Parce qu’il n’est jamais trop tôt pour apprendre à être heureux !

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