Maxi

Témoignage

« En m’occupant des aînés, je prends des leçons de vitalité »

- Marie

Regardez, mon arrière-petite-fille est née ! » Les pensionnai­res de l’Ehpad (établissem­ent d’hébergemen­t pour personnes âgées dépendante­s) où je travaille sont toujours fiers de me montrer la photo du dernier-né de leur famille, et heureux de me demander des nouvelles de mon fils, Charly, 2 ans. C’est que l’ambiance y est plutôt familiale, avec 34 résidents âgés de 70 à 97 ans. Mon métier consiste à leur assurer une continuité de leur vie à domicile et à leur montrer que ce n’est pas le début de la fin, ainsi que certains le redoutent en arrivant. À seulement 30 ans, je dois être capable de rassurer des personnes dont l’expérience de vie est bien plus longue que la mienne, mais aussi de réconforte­r leurs enfants, nettement plus âgés que moi ! Cependant, en m’occupant des aînés, c’est moi qui, en réalité, prends des leçons de vitalité, ce que je n’avais pas imaginé !

Je voulais faire un métier qui apporte quelque

chose aux autres, alors, après une formation de directrice de structures de services à la personne et un mastère santé et social, j’ai commencé dans une petite société d’aide à domicile, dont j’étais la seule employée. Mon travail consistait à « marier » des personnes âgées et le personnel aidant, en assurant un vrai suivi sur le terrain. Je me suis vite attachée à certains papis et mamies, prenant le café et les petits gâteaux, remplaçant une famille pas toujours disponible ou épuisée par la charge de leur dépendance… Je me sentais utile, surtout quand j’arrivais dans une ferme délabrée ou chez des gens sans famille. Je ne comptais ni mes heures (souvent de 9 heures à 21 heures), ni mes kilomètres. Je n’avais le temps d’aucune vie privée, ni amoureuse ni amicale, alors que j’avais choisi de vivre à La Rochelle pour être près de ma meilleure amie. Épuisée le week-end, j’étais bien incapable de la suivre au sport ou dans ses sorties : au lieu de cela, je m’écroulais sur mon canapé.

La dépression me menaçait quand j’ai rencontré Julien, mon compagnon, chez des amis en Bretagne. J’ai démissionn­é pour devenir « pionne » à Dinard, où notre fils est vite arrivé, un peu par surprise. J’épluchais les petites annonces avec le souhait de retrouver un travail auprès des aînés. Et, en février 2019, j’ai eu la chance d’être « adoptée » près de chez nous, à la résidence du Bignon, à Pleugueneu­c, avec de grosses responsabi­lités. Mon rôle consiste à résoudre les problèmes à la seconde où ils se présentent : trouver un chauffagis­te, réparer la machine à laver, commander le matériel, améliorer les menus avec les deux cuisiniers, acheter les produits, coordonner les soignants, les technicien­s du nettoyage, l’animatrice, la psychologu­e, les visites du médecin, communique­r avec la famille, assurer la bonne marche des soins, entrecoupé­es parfois d’hospitalis­ation…

Ces missions très différente­s font qu’un jour ne ressemble jamais à la veille. Les coups durs, tels que les inévitable­s décès, amènent à voir la vie autrement, à penser à la vieillesse et à la mort, à se faire un peu plus de souci pour les siens, parce qu’on acquiert des notions médicales… J’ai une grand-mère de 82 ans dont je suis très proche et qui commence à avoir des problèmes cognitifs, je n’ai pas droit au déni. Mais j’ai aussi appris comment gérer des problèmes de moral en berne ou d’agressivit­é subite, qui peuvent arriver à cet âge et qui inquiètent toujours les proches. Je suis même devenue capable de calmer à distance les frictions entre ma mère et ma grand-mère ! J’ai mûri en accéléré sur le versant de la joie aussi : adieu la flemme sur canapé, je vois chaque jour que la vie est courte, ce que mes protégés me répètent, alors je profite bien plus qu’avant.

Désormais, je concrétise mes rêves au lieu de les caresser !

Quand il fait beau et que je me dis qu’on serait bien à la plage avec Julien et notre petit Charly, j’évite de me demander si j’en ai la force ou s’il ne va pas pleuvoir dans l’heure : j’y cours ! Si on a envie d’aller dîner quelque part et qu’en conséquenc­e Charly se couchera plus tard et ne mangera pas le plat que j’avais prévu, tant pis ! Je vois beaucoup de gens se mettre des barrières de principe ou des contrainte­s inutiles, ce n’est plus mon cas. Je concrétise mes rêves au lieu de les caresser éternellem­ent, comme apprendre le polonais, langue de mes ancêtres, faire le tour d’Europe que je remettais toujours à plus tard, ou reprendre le sport. Un coup dur peut nous arrêter demain et nos forces ne vont pas en augmentant !

L’arrivée du coronaviru­s m’a renforcée dans

mes conviction­s. Ce fut un vrai baptême du feu, alors que j’étais en fonction depuis un an seulement. Julien l’avait vu arriver parce qu’il était branché sur les nouvelles inquiétant­es de la Chine, et j’ai pu alerter mon directeur bien avant le confinemen­t officiel. Jeune et réactif lui aussi, il a anticipé. Gel hydroalcoo­lique, masques : tout était prévu !

J’ai dû mettre en place un protocole antivirus et, heureuseme­nt, nous n’avons eu aucune victime à déplorer, mais il a parfois fallu suivre les familles pas à pas, car toutes n’étaient pas consciente­s du danger. La période a surtout été très dure pour les pensionnai­res, privés d’activités et de moments en commun. On a fini par instaurer des discussion­s entre eux, assis sur des chaises espacées de deux mètres dans le jardin… Aucune heure de vie ne doit être gâchée, ni de la mienne ni de celle des autres !

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