Maxi

Témoignage

Ancienne victime, Isabelle se bat depuis vingt ans contre l’inceste, pour une meilleure prise en charge des enfants et pour un suivi à la hauteur de ces drames.

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« Je veux aider les autres victimes d’inceste »

Depuis le début de l’année, le téléphone n’arrête pas de sonner. La parution du livre de Camille Kouchner, dénonçant l’inceste dans sa famille, a encore délié bien des langues. Il était temps ! Même si cela nous fait beaucoup de travail, c’est une bonne chose. J’ai encore entendu des dizaines d’histoires similaires, dans tous les milieux, avec les mêmes ressorts et mécanismes destructeu­rs. Cela fait plus de vingt ans que j’attends cela, que l’on prenne en compte la gravité du phénomène…

La première fois où mon père a posé la main sur moi, j’avais 6 ans. Tout a commencé par des agressions sexuelles. Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’ai grandi dans un appartemen­t où les portes n’étaient jamais fermées. À la maison, il n’y avait pas de pudeur, de limite, ni d’intimité. Très tôt, j’ai vu des ébats que je n’aurais pas dû voir. En même temps, je sentais que ce que je vivais n’était pas normal. À 9 ans, j’ai dit à mon père, avec mes mots d’enfant, d’arrêter de « m’embêter » sinon j’en parlerais à maman. Il m’a fait promettre de me taire et a arrêté. Du moins pendant un temps. Il ne m’est jamais venu à l’idée de tout dire à ma mère. Mon père me terrorisai­t et je n’avais pas envie de détruire la cellule familiale. Pour moi, cela aurait été comme mettre des coups de hache en pleine mer dans le bateau qui nous portait. Après, j’ai rangé tout cela dans un coin de ma tête et tourné la page. Quand mes parents ont divorcé, j’ai même accepté d’aller vivre avec lui. Il m’a montée contre ma mère et m’a fait miroiter le rêve d’une vie de famille heureuse avec sa nouvelle compagne. Quand elle l’a quitté, je me suis retrouvée seule avec lui. Il a alors commencé à me violer. Il m’a même prostituée. J’étais sa chose, prisonnièr­e de son emprise. Incapable de parler, j’ai espéré que l’on me tende la main. J’ai multiplié les fugues et les tentatives de suicide. Je me suis fait arrêter par la police, je m’endormais en classe… À chaque fois, on me ramenait à mon père sans me poser de questions.

C’est une voisine qui m’a sauvée, quand j’ai eu 13 ans. Elle a vu quelque chose qui l’a dérangée et m’a posé des questions. Je lui ai tout avoué, tout en lui faisant jurer de ne rien dire à personne. Elle savait que mon père était violent et a attendu que je sois en sécurité pour parler. À l’âge de 14 ans, j’ai demandé à retourner vivre chez ma mère. Mon père a eu peur que je parle et l’a convaincue de m’envoyer en pension. Cela m’était égal. Quand vous êtes enfant, tout ce que vous voulez, c’est que cela cesse. Quand la voisine a appris que j’avais un endroit où aller, elle a appelé ma mère pour tout lui dire. Elle m’a sauvée. Ma mère m’a posé la question et j’ai confirmé que tout était vrai. Nous avons porté plainte et mon père a été arrêté le lendemain. Les policiers ont trouvé des preuves comme des carnets, des photos. On mesure combien on revient de loin quand on sait que mon père n’a été jugé qu’en correction­nelle. Il a été seulement condamné à six ans de prison et il est même sorti au bout de quatre. Selon la loi, à l’époque, je devais prouver que j’avais dit « non » alors qu’il n’y a aucun consenteme­nt possible pour un enfant. Pendant vingt ans, personne n’a dénoncé l’aberration de nos lois. Il est vraiment temps que la loi change.

Les clés de mon salut : ma propre famille et mon associatio­n

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