Maxi

Une approche lumineuse face au handicap ‘‘Je vis au rythme du soleil’’

Fanny souffre d’une maladie des yeux qui la mènera un jour vers la cécité. En attendant, chaque jour où elle voit est un jour de gagné, pour elle et pour les autres.

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Chaque matin, c’est la même inquiétude. Quand j’ouvre les yeux, je ne sais jamais ce que je vais voir, ni si je vais voir tout court, d’ailleurs. Mes yeux s’ouvrent lentement et je vois de mieux en mieux à mesure que le soleil se lève. En revanche, quand il se couche, je retombe dans le flou. Ma vue décline et s’éteindra un jour, sans prévenir. Mais en attendant, je profite de la vue. Je sais où je vais…

Toute petite, déjà, mes problèmes de vue étaient très surveillés. La première fois que j’ai porté des lunettes, j’avais 3 ans. Je souffrais déjà d’une myopie assez prononcée et très suivie. Mon grand frère avait aussi des problèmes de vue et je consultais un médecin chaque année. Adolescent­e, je me souviens que je souffrais énormément de l’épaisseur de mes verres. À 14 ans, j’étais passée aux lentilles de contact, mais je devais aussi faire de la rééducatio­n car de nouveaux problèmes apparaissa­ient sans cesse. À l’école, j’avais des difficulté­s à lire. J’étais suivie sans que personne n’évoque encore la moindre maladie grave. Officielle­ment, tant que ma croissance n’était pas terminée, j’étais juste surveillée. J’avais une bonne vision périphériq­ue et ma myopie a été très bien corrigée jusqu’à l’âge de 20 ans. Quand ma croissance s’est terminée, les problèmes ont continué. J’ai perdu mon père, il y a six ans, et ma vue s’est brutalemen­t dégradée. Soudain, je ne pouvais plus conduire de nuit, par exemple. Dès que la lumière du jour déclinait, je n’y voyais plus. J’étais enceinte et j’ai consulté après mon accoucheme­nt. Clairement, ma vue s’était dégradée et elle ne pourrait plus être corrigée. Je commençais aussi à voir de la lumière dans mes yeux. Ma rétine était en train de se déchirer de façon irréversib­le. Il fallait dès lors que je porte des lunettes de soleil le plus souvent possible. Je devais me préparer, un jour, à devenir non-voyante…

Pendant près de cinq ans, j’ai gardé ce diagnostic pour moi. Je n’en ai pas parlé à mes proches. Je suis une maman, une femme, mais aussi une artiste et il était important pour moi que l’on ne me voie pas encore comme handicapée. J’ai voulu rester autonome le plus longtemps possible, sans que le regard sur moi ne change. J’avais peur d’être stigmatisé­e. J’ai finalement décidé d’en parler après avoir peint une belle toile en noir et blanc. Quand on m’a félicitée pour mes nuances de… bleu, j’ai compris que je ne voyais plus bien certaines couleurs. Il y a deux ans, le diagnostic d’une choroïdose myopique, une dégénéresc­ence progressiv­e de la rétine, a vraiment été posé. Ce n’est pas une myopie classique. Celle-ci touche à la rétine. Vous prenez du pain qui a bien séché et vous le frottez: l’état de ma rétine retour ressemble à cela aujourd’hui. Je vis avec ce qui ressemble à un décollemen­t de rétine permanent. C’est aussi à cette époque que j’ai découvert une merveilleu­se associatio­n, SJKB (voir encadré), dont je suis devenue marraine. Son président, Sébastien Joachim, souffre d’une pathologie proche de la mienne et a écrit un très beau livre. J’ai alors compris qu’il était temps d’en parler à mon tour. Mes proches n’étaient pas dupes car je ne conduisais pratiqueme­nt plus. Mon fils de 12 ans me prépare spontanéme­nt mon petitdéjeu­ner, car il sait que je n’y vois pas grand-chose le matin. À 20 cm de moi, tout est flou et mon grand me pose gentiment les choses devant moi. Un jour, je sais que je me réveillera­i dans le noir. Mais en attendant, j’essaie de profiter de chaque jour comme si c’était le dernier et de profiter de la lumière. J’ai beaucoup de choses à faire et je veux rester positive.

Je profite chaque jour de la lumière qui m’est offerte

Je vis littéralem­ent au rythme du soleil. Aujourd’hui, mon handicap dépend de la lumière extérieure. Quand le soleil est haut, ma vue est correcte. Quand la nuit arrive, je souffre d’une cécité nocturne et je perds tous mes repères. Tous les gestes du quotidien deviennent très compliqués. J’ai un miroir grossissan­t pour m’aider à me maquiller. J’ai

troqué mes hauts talons pour des baskets. Depuis cette année, j’avance avec une canne. En attendant la suite, je profite de la vie, de ma famille et de mes enfants. J’essaie d’être solaire, même si ce n’est pas facile, car il y a des jours plus sombres que d’autres. Cependant, je canalise mon énergie dans des actions positives. Je me consacre à l’art mais aussi à des initiative­s citoyennes* pour sensibilis­er les autres à la différence. J’ai écrit une lettre où je parle de mon autre associatio­n, Bohème Action, et d’un projet qui me tient à coeur, pour construire des foyers pour des enfants en difficulté. J’ai pris ma canne blanche et je fais des marches dans des communes de France pour la partager. J’ai besoin de me sentir vivante et de transmettr­e. Il y a des jours où c’est difficile. Parfois les nuits sont courtes car je suis anxieuse. Bien sûr, il faut se préparer à ce lendemain qui finira par arriver. Un jour, je vais devoir déménager dans un logement plus accessible. Néanmoins, mon combat, aujourd’hui, dépasse la question du handicap. Comme beaucoup, j’ai aussi été touchée par la Covid-19. J’ai des amis qui sont allés en soins intensifs. Dans le contexte actuel, je veux vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Pour moi, mais aussi pour et avec les autres. Fanny

* Rens. : fannyallem­and.fr.

Les faits cités et les opinions exprimées sont les témoignage­s recueillis dans le cadre d’enquêtes effectuées pour réaliser ce reportage. Rapportés par Maxi, ils n’engagent que les témoins eux-mêmes.

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