“Ce défi m’a donné une incroyable confiance en moi !”
Si l’eau a toujours été son élément, Véronique y a trouvé l’occasion de relever un challenge qu’elle a décidé de dédier à la recherche contre le cancer de l’amiante. Celui qui a emporté son père, il y a 10 ans.
La première fois que j’ai évoqué la possibilité de me lancer dans la traversée de la Manche à la nage, c’était devant Wilfrid, le coach du club de natation dans lequel j’étais inscrite depuis quelques mois. Je ne suis pas certaine qu’il pensait que j’irais jusqu’au bout, mais il m’a dit : « On n’a qu’une vie ! Si c’est ton rêve, fonce ! » Ce n’était pas mon rêve alors, mais ça l’est vite devenu! Et, quoi que pensait réellement Wilfrid à ce moment-là, sa réponse m’a donné des ailes. J’irais jusqu’au bout!
Je me suis toujours sentie bien dans l’eau. De 8 ans à 17 ans, j’étais dans un club de natation. J’adorais nager. Et puis la vie m’a éloignée des bassins: je me suis mariée, j’ai eu deux enfants, j’ai déménagé pour suivre mon mari… En 2015, nous nous sommes séparés. La période a été difficile. Durant l’été, Ludovic, le mari d’une ancienne collègue, sportif de l’extrême, réalisait le Défi 41, consistant à enchaîner 41 jours de suite un Ironman (« homme de fer », en français: il s’agit d’un super-triathlon consistant à enchaîner 3,8 km de natation, 180,2 km de vélo et un marathon, NDLR). Il invitait les gens à se joindre à lui. Un samedi matin, je suis allée nager avec lui. J’ai été happée par une émotion que je n’avais plus éprouvée depuis longtemps : j’avais envie de retourner à l’eau. Quelques mois plus tard, je me suis inscrite à la piscine dans la catégorie « maître compétiteur » (cette appellation désigne les seniors qui font des compétitions). J’avais 45 ans, 20 kg de trop, mais peu m’importait. De nouveau, je retrouvais le plaisir de nager.
J’ai commencé à suivre les exploits des nageurs et à m’intéresser à ce milieu. En avril 2016, Philippe Fort (nageur en eau libre) a annoncé qu’il traverserait bientôt la Manche à la nage. Pour les nageurs, traverser la Manche est l’équivalent de l’ascension de l’Everest pour les alpinistes. C’est un vrai challenge ! Via les réseaux sociaux, j’ai donc suivi la préparation de Philippe et, peu à peu, l’idée de relever moi aussi ce défi a pris forme.
Durant l’été, j’ai contacté Hugues Le Bel, un autre nageur, qui avait tenté cette traversée à la brasse. Il m’a donné les contacts des associations organisatrices, des bateaux qui suivent les nageurs. Il m’a aussi conseillé des ouvrages sur le sujet, il m’a expliqué le déroulement de la traversée, il m’a envoyé des liens de vidéos et de photos à regarder, de personnes qui avaient réussi ce défi… Toutes ces infos étaient magiques à lire, à voir. Elles ont contribué à nourrir mon désir de réussir cet exploit.
Et, plus le temps a passé, plus j’ai nourri mon projet et je me suis entraînée. J’y ai consacré tout mon temps libre. Toutefois, rapidement, je me suis dit que je ne pouvais réaliser cet exploit pour moi seule. Mon père était mort 5 ans auparavant d’un cancer de l’amiante. J’ai contacté le CHU de Lille pour leur proposer de mettre ma traversée au service de la recherche sur ce cancer. Ils ont accepté. Une cagnotte a été mise en ligne : 60 % pour le CHU, 40 % pour financer mon projet, à savoir, louer un bateau, payer le logement en
Angleterre, les déplacements…
En souvenir de mon père, j’ai voulu que mon exploit ait un sens
Autour de moi, je savais que certains étaient convaincus que je n’y arriverais jamais. Des personnes de mon club de natation m’envoyaient des messages pour me faire part de leur scepticisme : « tu n’as pas un corps d’athlète! », « tu n’y arriveras pas »… Plus je recevais ces messages, plus j’avais envie de donner tort à mes détracteurs. Mes amies, Frédérique et Bahia, qui sont à mes côtés et m’ont toujours encouragée, m’ont recommandé de faire la sourde oreille à toute cette énergie négative. Cela a été dur; certaines remarques m’ont vraiment blessée, mais j’ai réussi à les maintenir à distance. La traversée était prévue pour juillet 2020, mais la crise du Covid l’a remise en cause. Après moult aléas et départs reportés pour
cause de problèmes de santé, de mauvais temps, de vents contraires et de courants trop forts, je me suis mise à l’eau le 20 septembre 2022, à 4 h du matin, à Douvres. Pas de combinaison, juste un maillot de bain et une épaisse couche de lanovaseline sur le corps pour éviter que le sel me brûle dans les plis de la peau et que ma température corporelle ne descende trop vite. Quand le bateau a sonné le top départ, je me suis mise en mode « machine ».
Je ressentais un peu d’angoisse et beaucoup de bonheur. J’adore nager la nuit. Le bateau éclairait la route devant moi, à 200 mètres. Je savais qu’à son bord, il n’y avait que des gens bienveillants à mon égard. J’ai vu le soleil se lever sur la mer et je me souviens qu’au bout de dix heures de nage, j’ai eu un coup de mou. J’avais froid et je me suis dit: « mais pourquoi faistu cela? », « qu’as-tu à prouver ? »… C’est à ce moment que mon amie Fred a mis sa combinaison et est entrée dans l’eau à mes côtés. Ses grands yeux bleus et son sourire, unique, m’ont envoyé un tel rayonnement que mon énergie a repris le dessus. Je me répétais ce mantra: « Je suis bien préparée, je suis déterminée, je vais y arriver. »
J’ai débarqué sur les côtes françaises 16heures et43 minutes après mon départ de Douvres. C’était incroyable, irréel. Moi qui avais toujours eu si peu confiance en moi, qui avais toujours été soumise au regard des autres, j’avais réussi ! Cet exploit m’a libérée. Désormais, quand quelque chose me semble difficile, je me dis : « Ça va aller ! J’ai traversé la Manche! » J’ai appris à être fière de moi toute seule, sans attendre les félicitations des autres. Réussir ce défi a déterminé la femme que je suis aujourd’hui et m’a donné une incroyable confiance en moi! Véronique
Les faits cités et les opinions exprimées sont les témoignages recueillis dans le cadre d’enquêtes effectuées pour réaliser ce reportage. Rapportés par Maxi, ils n’engagent que les témoins eux-mêmes.